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Tennis: le supplice de la chaise (d'arbitre)

Temps de lecture : 5 min

Il n'est pas facile d’être exposé tout en haut d’une chaise à la vue de milliers de spectateurs et de millions de téléspectateurs à travers le monde.

Wimbledon le 25 juin 2013. REUTERS/Stefan Wermuth
Wimbledon le 25 juin 2013. REUTERS/Stefan Wermuth

Samedi 2 juin 1979. Match du troisième tour des Internationaux de France sur le central de Roland-Garros entre le Français Dominique Bedel et le Polonais Wojtek Fibak.

Alors qu’il mène 7-5, 6-5 et 40-30, Bedel engrange, grâce à un superbe passing de revers, le point qui lui permet de remporter cette deuxième manche.

Enfin, c’est ce qu’il croit et c’est ce qu’a validé l’arbitre de chaise, André Vanderpol, en appuyant sur le boîtier placé à portée de sa main.

Du coup, le tableau de score affiche bien 7-5, 7-5 pour le plus grand bonheur de Bedel et du public, mais problème: sur le passing de Bedel, le juge de ligne a annoncé faute avec sa voix et avec son bras. Vanderpol ne l’a ni vu ni entendu. Fibak refuse évidemment de se laisser «voler» ce point qui change beaucoup de choses. Il vient contester au pied de la chaise et, face à l’inflexibilité de Vanderpol, fait appeler sur le court Jacques Dorfmann, le juge arbitre.

Après quelques discussions, Dorfmann fait rendre le point à Fibak en constatant bien que le juge de ligne a annoncé la balle faute et que Vanderpol indique, lui, ne pas savoir si la balle était sur la ligne ou dans le couloir. Les minutes qui suivent tournent à la confusion générale et la foule devient inhabituellement vociférante, voire presque méchante. Vanderpol perd progressivement le contrôle des événements et Bedel finit, lui, par céder cette manche au jeu décisif après un autre incident qui a vu l’arbitre accorder, à tort, lors d’un autre échange, deux balles à Bedel au milieu du charivari. Fibak s’imposera 5-7, 7-6, 7-5, 6-2.

Au terme du match, André Vanderpol est interrogé par L’Equipe qui rapporte ainsi ses propos dans son édition du 4 juin 1979 en notant le trouble du juge de chaise, visiblement bouleversé:

«Il est vrai que dans le tumulte, je n’ai pas vu ou entendu mon juge de ligne déclarer la balle faute. Quand Jacques Dorfmann, réclamé par Fibak, est arrivé, il m’a demandé si, pour ma part, j’avais bien vu si la balle était ligne. Je lui ai répondu que non. Mon juge de ligne étant, lui, affirmatif, il ne me restait plus qu’à revenir sur ma première décision. En aucun cas, je ne pouvais donner deux balles. Il y a un règlement. Ensuite choqué par le brouhaha, encore sous le coup de l’incident précédent, énervé, j’ai eu tort d’accorder deux balles à Bedel à cause des cris des spectateurs. Quand Dorfmann est intervenu à nouveau, j’en ai convenu immédiatement

Cette histoire serait «ordinaire» si, dans le sillage de ce match, André Vanderpol, alors âgé de 58 ans, ne s’était pas ensuite littéralement volatilisé. Plus personne ne saura où il est passé, pas plus les officiels que sa famille. On ne le retrouvera que quelques semaines plus tard perdu dans les rues de Nice avant une hospitalisation pour une grave dépression dont il aura du mal à émerger, d’après le récit de Patrick Flodrops, autre arbitre de l’époque. Ce match aura peut-être été pour lui le tremblement de terre qui aura fracturé une faille personnelle. Jacques Dorfmann, juge arbitre à Roland-Garros de 1969 à 1988, se rappelle:

«Lorsque je suis arrivé sur le court lors du premier incident, j’ai le souvenir d’un homme désemparé par la situation. Ensuite, effectivement, je crois ne plus l’avoir revu

Quelques mois plus tard, toujours en 1979, à l’US Open, Frank Hammond, arbitre n°1 aux Etats-Unis, identifiable notamment en raison de sa forte corpulence, s’était retrouvé à son tour au cœur de la polémique lors d’un match à haute tension sur le central de Flushing Meadows entre Ilie Nastase et John McEnroe dont il avait été, en quelque sorte, l’otage commode dans un capharnaüm indescriptible.

Seul sur ce trône imaginaire

Ubuesque sous bien des aspects, cette rencontre avait été aussi pour lui une sorte d’humiliation personnelle (il avait dû quitter sa chaise et démissionner en quelque sorte en cours de match) qui avait contribué, selon lui, à lui faire prendre sa décision d’abréger sa carrière d’arbitre quelques mois plus tard.

Les mésaventures d’André Vanderpol et de Frank Hammond sont des cas extrêmes dans l’arbitrage, mais ils mettent néanmoins en relief la difficulté d’être ainsi exposé tout en haut d’une chaise à la vue de milliers de spectateurs et de millions de téléspectateurs à travers le monde.

Depuis trente-cinq ans, le tennis s’est (heureusement ou hélas selon les opinions) policé au prix de règlements parfois draconiens qui ont formaté et adouci les caractères des joueurs ou grâce à des innovations, comme l’arbitrage électronique, qui peuvent faire retomber la pression par le biais d’un ralenti. Il n’empêche, le métier (puisque c’en est un désormais) est ou reste difficile dans des cadres aussi imposants que le central de Roland-Garros.

Seul sur ce trône imaginaire, face à un public volontiers frondeur, l’arbitre est comme suspendu au fil de sa concentration balançant entre les coups des deux joueurs.

Jacques Dorfmann, qui a arbitré sa première finale du simple messieurs à Roland-Garros en 1974 et les a enchaînées jusqu’en 1988, avait des rituels simples pour ne pas se laisser trop envahir par le stress.

«Le meilleur moyen, c’était de parler à son équipe de juges de ligne et de mettre tout le monde en confiance.»

Sandra de Jenken, première femme à officier lors d’une finale masculine en 2007, procédait de la même manière en allant également «humer l’air du central quelques heures avant le match». Mais que ce soit hier ou aujourd’hui, il n’y a pas de clé psychologique offerte, même si les arbitres professionnels sont désormais rigoureusement formés par le biais d’écoles spécialisées et d’études de cas à travers la vidéo.

Comme un joueur qui a ses bons et ses mauvais jours, le juge de chaise peut aussi passer à côté d’un match en dépit des garde-fous mis à sa disposition et être du coup remis en cause au niveau de sa confiance.

«Parmi toutes les finales de Roland-Garros que j’ai arbitrées, je n’en ai raté qu’une, même si cela ne s’est pas forcément vu, admet Jacques Dorfmann. Celle, très connue, de 1984 entre Ivan Lendl et John McEnroe où, de mon point de vue, je n’ai pas été très bon

Notés comme des élèves par des supérieurs qui examinent leurs comportements, les juges de chaise sont dans des situations plus inconfortables que peut l’imaginer le public qui les siffle parfois à Roland-Garros.

«Au début de son introduction, le hawk-eye (l’arbitrage électronique qui n’est pas en vigueur à Roland-Garros) a pu être perçu comme un outil nous disqualifiant en quelque sorte puisque faisant la preuve que nous nous trompions à certaines occasions, analyse Sandra de Jenken. Mais nous ne sommes pas infaillibles et nous n’avons jamais pensé l’être. C’est un plus mis à notre service et il faut le voir ainsi.»

A Roland-Garros, la trace laissée par la balle est, en principe, suffisante pour trancher les débats entre arbitres et joueurs, mais certains estiment que le «hawk-eye» ne serait tout de même pas du luxe sur la terre battue parisienne dans des cas vraiment litigieux.

En 1999, lors de la finale dames entre Steffi Graf et Martina Hingis, Anne Lasserre, la juge de chaise, aurait aimé, a posteriori, en bénéficier au cours d’un match qui avait complètement dérapé au début du deuxième set quand Hingis avait contesté vigoureusement l’une de ses décisions sur une trace non marquée.

A partir de cet instant, la Suissesse avait perdu ses nerfs et le match était devenu une sorte de bateau ivre transporté sur une tempête d’émotions. Anne Lasserre, arbitre professionnelle de 1993 à 2002, aurait pu disqualifier la provocante Martina Hingis en pleine dérive:

«Beaucoup m’ont dit qu’ils n’auraient pas pu aller au bout de ce match. Sur le coup, c’était une situation difficile à vivre car elle était explosive à tous les niveaux. Je l’ai gérée comme j’ai pu, mais ce n’est évidemment pas un bon souvenir. Mais comme une sportive, j’ai réagi en enchaînant ensuite par une demi-finale à Wimbledon.»

Anne Lasserre n’a jamais reparlé ensuite de ces incidents avec Martina Hingis qui n’a jamais gagné les Internationaux de France. Sur le central de Roland-Garros, les désillusions restent tout de même et avant tout l’apanage des champions.

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