France

Politique: l'important, c'est de participer

Temps de lecture : 4 min

L'abstention aux élections ne doit pas faire croire que les Français se désintéressent de la chose publique. Mais leur engagement prend une nouvelle forme, dont la pétition en ligne est un exemple symbolique.

New York, février 2013, une femme lève le doigt lors d'un concert.  REUTERS/Mike Segar
New York, février 2013, une femme lève le doigt lors d'un concert. REUTERS/Mike Segar

Le 27 mai, 4,7 millions de Français ont voté Front national. C’est nettement moins que les 6,4 de l’élection présidentielle d’il y a deux ans, mais suffisamment pour provoquer un émoi important. Le chiffre majeur n’était pourtant pas celui-là: c’était celui de ces 27 millions de Français qui n’ont pas jugé utile de se déplacer. Comme si cette majorité était irresponsable, résignée. Comme si le glissement, depuis trente ans que le FN progresse, était inexorable, et les déterminants des comportements électoraux quasiment invariants.

En somme, on pourrait croire que les Français, désabusés, ont pris au mot le conseil de Jacques Attali: ils n’attendent plus rien du politique, se désengagent, sauf ceux qui ont encore envie de protester en votant pour des candidats qui ne serviront pas vraiment leurs intérêts, mais enverront un signal. C’est vrai, mais faux: oui, les Français se prennent en charge, mais ils explorent de nouvelles voies. Ils n’en ont pas fini avec la politique, et n’ont pas envie –sinon le choix– de se barrer. Ils ne laisseront pas les politiques tranquilles.

En témoigne l’émergence inexorable de nouvelles pratiques politiques, notamment à travers le numérique. Combien de tweets, commentaires, partages sur des réseaux, affiches créées ou mouvements politiques spontanés faudra-t-il pour montrer que les Français sont en demande de participation politique, de prise en main de leur destin, bien au-delà de cette parole?

Exemple symbolique: la pétition. Le web lui a donné une nouvelle force, une nouvelle capacité de rassemblement et d’expression. Change.org, plateforme leader dans le domaine, fête ses deux ans en France ces jours-ci, autour d’un débat avec Jennifer Dulski et François Chérèque, ce lundi soir.

Que nous disent ces deux ans de pétitions?

Agir autour d’une cause

Depuis deux ans, sur la plateforme, ce sont plus de 22.000 pétitions qui ont été déposées, et ont recueilli plus de 3 millions de signatures. C’est peu ou prou autant de votes que le FN a pu recueillir aux dernières législatives. Cela dessine un paysage de la participation autrement plus dynamique et varié que le simple vote.

Demander l’annulation de la subvention d’un concert de David Guetta, faire pression sur Eram pour que l’entreprise cesse de se fournir de cuir issu de la déforestation, exiger la transparence des indemnités des parlementaires: les Français se mobilisent. Trente pétitions ont été lancées, au moins, chaque jour, depuis deux ans, dans toute la France.

C’est la cause qui mobilise, plus que la structure. La France des structures, des corps intermédiaires, des institutions multiples, l’oublie et le dynamisme pétitionnaire le lui cri: c’est le sujet qui importe, la cause qui mobilise. Plus besoin de l’association, du syndicat pour mener une cause: la dynamique du réseau permet d’emporter le mouvement. Les poussins l’ont montré admirablement, dans leur mouvement de défense des auto-entrepreneurs, en construisant autour d’une pétition ce qui aurait pu prendre la forme, en d’autres époques, d’un syndicat.

Ces 22.000 pétitions montrent une vraie diversité d’engagements, d’attentes, une longue traîne des vigilances, mais aussi des propositions. Comme si, au top 50 de la politique, faux, professionnel, venait répondre la variété d’un monde où tous peuvent être acteurs de la politique, une utopie numérique qui n’a pas été perdue.

Du vrai militantisme, autour d’un noyau numérique

Derrière les pétitions qui marchent s’inventent de nouvelles formes d’organisation et de tactiques politiques, ouvertes, sachant rendre compte, articuler numérique, terrain, mobilisation médiatique qui pourraient servir d’inspirations à ceux qui se lamentent de la distance croissante entre les Français et leurs représentants.

La pétition est le catalyseur d’un mouvement: quand les politiques ou syndicats peinent à engager, les pétitionnaires leur montrent souvent la voie, par leur énergie, leur fraîcheur, la nouvelle forme de légitimité qu’ils incarnent. Nos structures politiques et corps intermédiaires sont bousculés par ces nouvelles formes de participation, comme le sont tous les monopoles et industries organisées face aux start-ups.

Le conflit de légitimité est celui du moment. Nos politiques s’accrochent à leur légitimité institutionnelle, quand bien même chaque élection et chaque sondage lui rappelle qu’elle n’est plus qu’un paravent, dans un monde où les citoyens sont devenus autonomes, s’expriment et se rassemblent. Pourtant, quand ils s’y essaient, qu’ils jouent le jeu de l’horizontalité, de la participation, cela marche: Charles de Courson est fort de plus de 172.000 soutiens dans son combat pour la transparence des indemnités parlementaires.

Ouvrir la participation

En 2007, le politique avait repris confiance. Deux ans après la victoire du non au référendum, dans la foulée des élans participatifs de Ségolène Royal, et surtout sur la foi d’une participation record à l’élection présidentielle, des dizaines d’initiatives de dispositifs participatifs avaient fleuri, sans toujours porter de fruits.

Depuis, on est entré dans une ère de défiance, du haut vers le bas: le monde solide, des structures, des institutions, ne parvient pas à entrer en dialogue avec le monde liquide, de la société en réseaux, des individus qui se maillent, de la société qui se bouge, y trouve son compte, mais ne s’en suffit pas.

Tout se passe comme le disait Gramsci:

«La crise consiste justement dans le fait que l'ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître: pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés

Les extrêmes excellent à profiter des opportunités offertes par cette société liquide; les institutions refusent d’ouvrir les portes à cette expression, et parlent de plus en plus de contrôler cette libre organisation.

Il faudra pourtant bien y aller. La solution n’est pas que dans les règles. Le référendum d’initiative partagée, proposé par le comité Balladur, et rejeter comme pour protéger un parlement rétif à donner prise, n’est pas une réponse à la variété des engagements de cette société qui va vite.

La réponse ne peut être que dans les initiatives des élus, de leur adaptation –au-delà de quelque tweets– à cette société qui ne veut que participer, avec exigence. A eux, dans une mairie comme à l’Assemblée, de jouer le jeu avec ces nouvelles règles!

Nicolas Vanbremeersch

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