Des hommes massés dans les barges de débarquement, hagards après une traversée houleuse, prêts à sauter à l'eau sous le feu de la mitraille; le pont artificiel d'Arromanches destiné à fournir en matériel les troupes alliées entièrement reconstitué en 3D; des opérateurs de cinéma tentant de capter au péril de leur vie cette gigantesque opération militaire…
Ces images choc vont cueillir plus d'un téléspectateur devant son écran de télévision les jours prochains. A la veille du 70e anniversaire du Débarquement du 6 juin 44, les chaînes de télévision montent à l'assaut pour honorer le devoir de mémoire et attirer les jeunes générations. Mais comment se distinguer dans le flot de programmes proposés pour l'occasion?
France 3 a opté pour un traitement inédit de cet événement historique, un rendez-vous diffusé ce vendredi 30 juin. Dans son documentaire, «D-Day, ils ont inventé le débarquement», Marc Jampolsky part à la découverte de l'immense cimetière sous-marin de la baie de Seine, avec ses 200 épaves oubliées, rongés par l'eau de mer, vestiges de la plus grande armada de l'Histoire. Une façon de rendre hommage aux ingénieurs de l'époque, qui avaient mis en œuvre tous les moyens technologiques et industriels nécessaires à l'opération Overlord, organisant le transport des hommes et de leur matériel à travers la Manche.
Grâce à Dassault Systèmes, spécialiste de la réalité virtuelle, et à la société MC4, le résultat est stupéfiant. «La technologie nous permet de recréer des éléments de l'Histoire, remarque Nicolas Deschamps (MC4 productions), de reconstituer en images 3 D les barges de débarquement au boulon prêt, les pontons flottants qui bougent avec la marée…Mais nous avons aussi sollicité la mémoire des vétérans dont certains ont plongé dans des sous-marins de poche à la découverte de leurs bâtiments enfouis.»
Autre chaîne, autre approche. Pour son documentaire, «Sacrifice», diffusé le jeudi 5 juin, veille de l'anniversaire (pour «griller» France 2 au poteau?), TF1 a emprunté à France Télévisions la paire Daniel Costelle-Isabelle Clarke, déjà signataire de la série à succès Apocalypse. Des préparatifs du Débarquement à la libération de Paris, en passant par l'avancée des troupes dans le bocage normand, ce documentaire riches d'archives colorisées, dont la plupart, américaines ou allemandes, ont été récoltées par le réalisateur franco-américain Frédéric Lumière, nous permet de revivre l'épopée en temps réel, façon reportage et à hauteur d'homme. Ou de femme…
L'un des héros fil-rouge de Sacrifice est l'Anglaise Kay Sommersby, chauffeur (et présumée maîtresse) du général américain Dwight Ike Eisenhower. «Plus que de porter la Grande Histoire, ce qui importe là, ce sont les témoignages, les voix, insiste Isabelle Clarke. Ensemble, nous avons pensé à eux pour raconter une histoire, au-delà de la stratégie, du contexte géopolitique. Daniel (son mari dans le civil) était obsédé par Kay, moi, mon préféré, c'était Guillotin, le fils du cafetier normand…»
Documentaire émouvant, incarné donc, et revendiqué comme tel. Entre la petite histoire et la Grande Histoire, qui l'emportera? «Les films colorisés, cette volonté de faire un récit avec des images piochées un peu partout, de rendre la réalité plus jolie, plus accessible, je n'aime pas cela, déclare François Jost, professeur en Sciences de l'information et de la communication à Paris 3. Les documents historiques, ce ne sont pas des images de fiction. Il faut les resituer dans leur contexte, les analyser, les critiquer en tant qu'image. Les regarder demande un effort, ce n'est pas de l'ordre du pur spectacle. »
Comment éviter dés lors que le genre historique, de plus en plus prisé par le téléspectateur et diffusé en prime time, ne verse dans le divertissement? «Quand on travaille sur des archives, qu'on retire un commentaire, qu'on recadre, on perd déjà de l'information, reconnaît Jean-Christophe Rosé, auteur de 6 juin 44, la lumière de l'aube, beau documentaire de facture plus classique, diffusé sur France 2 le 6 juin prochain. La couleur, c'est une réinterprétation de plus. Mais, quand on fait un prime time, les chaînes nous la demandent parce qu'elles ont peur de perdre un public de jeunes. »
Pour raconter l'opération Overlord, ce réalisateur a choisi de s'attacher aux témoins de l'événement, Anglais, Américains, Canadiens —chaque armée avait ses opérateurs— qui filmaient l'assaut au péril de leur vie. «Je ne peux pas être plus humain en parlant d'eux, précise Jean-Christophe Rosé. Mais, je suis tenu par leurs images. Je montre ce qu'ils sont à travers ce qu'ils filment.»
Pas question pour lui d'extrapoler ou de bâtir une fiction. Et de poursuivre en guise d'avertissement:
«Tous les rushes anglais sont conservés à l'Imperial War Museum de Londres, avec le clap de l'heure et du lieu précis où ils ont été pris. Les Canadiens, qui arrivaient sur la plage de Juno, avaient accroché une caméra à un bastingage. Quant aux bobines des Américains, filmées à Omaha Beach, elles ont été toutes perdues, sauf une, celle de Dick Taylor, cameraman blessé dans la bataille. Ce sont les images des quatre soldats débarquant à Omaha, dont deux sont fauchés par les Allemands. Toutes les autres sont des images prétextes ou bidon!»
Isabelle d'Ornon
Programmation:
Vendredi 30 mai: «D-Day, ils ont inventé le Débarquement», documentaire dans Thalassa, sur France 3, 20h45
Dimanche 1e juin: «Seconde guerre mondiale: les incroyables techniques du Débarquement» dans E=M6 sur M6 à 20h05
Jeudi 5 juin: «Sacrifice», documentaire, sur TF1 à 20h55
Vendredi 6 juin:
«6 juin 2014 : journée spéciale» sur TF1. En direct à partir de 13h00
«Les 70 ans du Débarquement» sur France 2. En direct à partir de 13h55
«L'Histoire du jour le plus long», documentaire sur Arte, à 20h50
« 6 juin 44, la lumière de l'aube», documentaire sur France 2 à 20h45