La dissolution de l’Assemblée nationale est une idée saugrenue mais susceptible de faire son chemin. A court terme, il est bien sûr exclu que le président de la République précipite un nouveau retour aux urnes, alors même que le PS est plus faible qu’il ne l’a jamais été. Une déroute parlementaire assurée, et de très grande ampleur, oblitérerait jusqu’aux chances de son maintien à l’Elysée.
En toute logique, Manuel Valls a ainsi clairement écarté une telle hypothèse. Le Premier ministre s’en est tenu à l’étrange raisonnement en deux temps contradictoires déjà servi aux électeurs après la débâcle municipale des socialistes : on a parfaitement entendu votre colère, mais on ne changera rien à notre politique. Mieux, on va «l’accélérer». Et le chef du gouvernement de promettre un surprenant cocktail de nouvelles baisses d’impôts, de réduction des déficits et de maintien des dépenses sociales ou militaires…
Pas de mandat populaire
Et pourtant, la dissolution n’est pas une idée aussi idiote que cela. Il est symptomatique qu’un dirigeant centriste — une espèce d’ordinaire ennuyeuse mais pondérée — évoque cette solution dans la fièvre d’une soirée électorale. Hervé Morin (UDI), puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’est certes repris dès le lendemain matin, avec un argument un peu trivial: «On ne va pas se taper encore deux ans de cohabitation, avec une UMP affaiblie.» Le FN n’est pas seul à prôner un retour des députés devant les électeurs. Jean-Vincent Placé, l’écologiste qui se rêvait ministre, a admis lui aussi que «la question de la dissolution va finir par se poser».
En effet. Le spectaculaire rétrécissement électoral du PS et de la gauche rend encore plus fragile la majorité parlementaire élue il y a moins de deux ans. Rarement le divorce entre «pays légal» et «pays réel» n’a été aussi prononcé. Peut-on vraiment gouverner et réformer en profondeur lesté de la confiance d’un électeur sur sept?
La difficulté est aggravée avec le virage politique symbolisé par le «pacte de responsabilité». Le pouvoir exécutif ne peut revendiquer, en soutien à son action, le mandat populaire confié, au printemps 2012, aux députés de la majorité. Notre démocratie représentative ne vit certes pas sous le régime du mandat impératif, mais une contradiction trop évidente entre l’engagement auprès des électeurs et les choix effectués au pouvoir mine la légitimité des dirigeants. Les députés socialistes ont-ils, par exemple, été élus pour alléger les charges des entreprises ou pour supprimer les départements?
Grande coalition à la française
La logique voudrait qu’à une nouvelle politique corresponde une nouvelle majorité. Le Front de gauche et les écologistes partageant de moins en moins les options du pouvoir, les socialistes devraient se trouver de nouveaux alliés du côté du centre-droit, voire de la droite républicaine. On sait pourtant qu’une telle clarification a fort peu de chances de se produire, tant le «campisme» survit, en France, à la confusion idéologique.
On ne voit guère le PS et l’UMP gouverner ensemble ainsi que le font paisiblement la CDU et le SPD en Allemagne. Comme le fait observer Jérôme Sainte-Marie, l’équivalent de la «grande coalition» de nos amis d’outre-Rhin s’appelle chez nous «cohabitation». Ce président «de gauche» et une hypothétique majorité «de droite» pourraient parfaitement conduire une politique cohérente. «Les institutions européennes, les marchés financiers et les agences de notation n'y verraient rien à redire, tant la démarche du "pacte de responsabilité" s'en trouverait confortée», observe le politologue.
L’occasion se présentera
On imagine certes mal Hollande dissoudre l’Assemblée nationale au motif qu’il a besoin d’une majorité plus en phase avec son tournant politique. Mais nul doute que la période de fortes secousses politiques qui s’ouvre lui offrira de vraies raisons d’en appeler à l’arbitrage des électeurs.
La crise politique est latente. L’irrésistible dynamique du FN et les embarras des deux principaux partis de gouvernement créent une situation potentiellement explosive. Dans les rangs socialistes, de plus en plus nombreux seront ceux qui chercheront à se dissocier d’une aventure gouvernementale promise à l’échec. Les dissidences et votes hostiles au Parlement ont vocation à se multiplier. Au fil du temps, la peur de la dissolution sera moins prégnante pour des députés qui savent que, de toutes manières, ils sont promis au tapis. La réforme territoriale peut ainsi être un moment de vérité périlleux.
Une crise sociale n’est pas non plus à exclure. L’état d’exaspération des Français est tel que le feu risque de prendre en bien des domaines. La faiblesse avérée de l’exécutif encouragera les manifestations les plus diverses. Et l’appel aux urnes pourrait, ici encore, être une porte de sortie pour un pouvoir discrédité.
Calcul tacticien
Meilleur tacticien que stratège, Hollande est suspecté, depuis quelques temps déjà, par certains de ses camarades de songer à l’hypothèse cohabitionniste pour se redonner une chance d’être réélu en 2017. Les précédents historiques militent en faveur d’un tel scénario.
Depuis le général de Gaulle, aucun président de la République n’a réussi à se faire réélire avec une majorité parlementaire de son bord. Valéry Giscard d’Estaing a été battu en 1981, comme Nicolas Sarkozy en 2012. François Mitterrand et Jacques Chirac ont conservé leur poste à l’Elysée, en 1988 et 2002, en tant que présidents de cohabitation.
Homme qui répugne à trancher, même lorsqu’il s’agit du budget militaire, Hollande serait sans doute plus à l’aise en tant que «président-arbitre». Le problème est qu’il n’a toujours pas parfaitement endossé le costume de chef de l’Etat. Son road-trip de dimanche pour aller voter comme «président normal», au point de se laisser bloquer au péage de Saint-Arnoult, ne contribue pas précisément à l’installer dans ce rôle. C’est peut-être la principale faiblesse du scénario de la dissolution: il suppose un Président capable de dominer le jeu politique et institutionnel.
Eric Dupin
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