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Wojciech Jaruzelski, dictateur communiste ou patriote polonais?

Temps de lecture : 3 min

L'homme de l'«Etat de guerre» puis du dialogue avec Solidarnocz est décédé dimanche à l'âge de 91 ans.

Wojciech Jaruzelski et Mikhail Gorbachev à Varsovie en avril 1995. REUTERS
Wojciech Jaruzelski et Mikhail Gorbachev à Varsovie en avril 1995. REUTERS

Le général Wojciech Jaruzelski, connu aussi comme «l’homme aux lunettes noires» est mort le dimanche 25 mai des suites d’un cancer. Il était au pouvoir en Pologne pendant la période cruciale qui a mené des premières grèves du syndicat Solidarnocz à l’été 1980 dans les chantiers navals de Gdansk à la constitution du premier gouvernement dirigé par un non-communiste dans un pays du bloc soviétique. Le 13 décembre 1981, il décrétait «l’état de guerre» en Pologne. Le syndicat Solidarnocz était dissous; quelque 10.000 opposants et militants syndicaux étaient internés; une chape de plomb s’abattait sur le pays.

Wojciech Jaruzelski était une personnalité complexe. Né le 6 juillet 1923 à Kurow, une bourgade des environs de Lublin, dans une famille noble, il est adolescent quand éclate la Deuxième guerre mondiale. La famille, réfugiée en Lituanie, est arrêtée par le NKVD (la police secrète soviétique) et déportée en Sibérie, son père envoyé au Goulag. Son grand-père avait déjà été déporté par le tsar pour avoir participé à l’insurrection polonaise de 1863. Wojciech rejoint l’armée polonaise «populaire» formée en URSS pour combattre le nazisme. Après la guerre, il participe à la lutte contre la résistance anticommuniste dans la nouvelle Pologne socialiste.

Sa carrière militaire et politique se poursuit sans à-coup. Promu le plus jeune général en 1956, il est chef de l’administration politique de l’armée en 1960 puis vice-ministre de la défense et chef d’état-major. Lors de la vague antisémite des années 1967-1968, il prend part activement à l’exclusion des officiers d’origine juive, y compris le ministre de la Défense Marian Spychalski, dont il prend la place.

Il restera ministre de la Défense jusqu’en 1983 en cumulant ce portefeuille avec la présidence du gouvernement. Entretemps, il est devenu membre du bureau politique du POUP, le Parti ouvrier unifié polonais (communiste) puis premier secrétaire.

Sa décision la plus controversée est bien sûr la proclamation de «l’état de guerre». Ebranlé par les grèves, la création d’un syndicat libre qui, au-delà des revendications matérielles, réclame une libéralisation du régime, le pouvoir communiste était acculé. A la frontière orientale de la Pologne, l’URSS et ses autres alliés du Pacte de Varsovie avaient massé des troupes. La direction soviétique avait-elle l’intention d’intervenir militairement dans le «pays frère», comme elle l’avait fait en 1968 en Tchécoslovaquie?

Aujourd’hui, on sait qu’elle hésitait et misait plutôt sur l’intimidation. A l’époque, le doute était justifié. Dans ses mémoires, Les Chaines et le refuge (JC Lattès, 1992), le général défend sa politique. Il affirme avoir agi pour éviter une intervention soviétique. «Cette décision fut la plus difficile de ma vie», dit-il dans un dialogue avec l’ancien dissident Adam Michnik, publié en annexe du livre.

Il fait part du sentiment de soulagement qui le saisit après avoir franchi le Rubicon. «L’état de guerre m’était apparu comme un moindre mal», écrit-il. Le soulagement est aussi perceptible à l’étranger, y compris dans les capitales occidentales où l’on craignait que le désordre polonais n’accroisse la tension Est-Ouest. Interrogé sur la réaction française à l’instauration de l’état de guerre, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Claude Cheysson, répond:

«Bien sûr, nous ne ferons rien».

Le président François Mitterrand racontera plus tard qu’en entendant cette phrase au petit matin, il faillit se trancher la gorge en se rasant.

Wojciech Jaruzelski a-t-il sauvé la Pologne? Adam Michnik, qui a connu la prison avant et après l’état de guerre, laisse la réponse à cette question aux historiens. Mais il se prononcera quelques années plus tard contre les poursuites judiciaires lancées contre le général. Il lui reconnait quelques mérites dans la transition pacifique qui, en 1989, a mené la Pologne du communisme à la démocratie. Wojciech Jaruzelski s’est montré le meilleur élève de la perestroïka inaugurée par Mikhaïl Gorbatchev en URSS à partir de 1985.

Pour sortir de l’impasse d’un système politique et social pétrifié et d’une économie au bord de la banqueroute, alors que les grèves reprenaient de plus belle et que Jean-Paul II, le «pape polonais» engageait ses compatriotes à «ne pas avoir peur», Wojciech Jaruzelski a accepté le dialogue avec l’opposition avec le feu vert de Moscou.

Le dialogue culmine, à partir d’avril 1989, dans le processus dit de la Table ronde. Le pouvoir communiste cherche à sauver ce qui peut l’être tandis que les syndicalistes et les intellectuels veulent jeter les bases d’un état de droit. La Table ronde aboutira aux premières élections semi-libres et au triomphe de l’opposition.

En janvier 1990, le Parti communiste polonaise se saborde. Quelques mois plus tard, Wojciech Jaruzelski cède la présidence de la République à Lech Walesa, le leader syndical qu’en 1981, il avait fait mettre aux arrêts.

Daniel Vernet

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