Culture

A la rencontre de ceux qui vous donneront (ou pas) envie de voir un film: ceux qui font les bandes-annonces

Temps de lecture : 5 min

LES LIEUX DE POUVOIR DU CINÉMA FRANÇAIS | Elles sont la plupart du temps votre premier contact avec un film, et pourtant, ce n'est pas le réalisateur qui s'en occupe.

Yann Kebbi © Illustrissimo pour Slate.fr
Yann Kebbi © Illustrissimo pour Slate.fr

Joinville-le-Pont, moins de dix kilomètres à l'est de Paris. Petite ville de banlieue cossue qui s'étire le long de la Marne, son silence, ses saules pleureurs et ses canoës-kayaks. C'est ici, un peu à l'écart mais proche de tout, que Limelight a élu domicile.

La société, fondée en 2001, est spécialisée dans le montage de bandes-annonces de cinéma. Près de 500 en treize ans, dont quelques grands noms: Elephant et Last Days (Gus Van Sant), Bowling for Columbine (Michael Moore), certains films de Ken Loach, Guédiguian et presque tous ceux des frères Dardenne, entre autres. Plus récemment, l'équipe est derrière les BA de Take Shelter, Mud, A Touch of Sin, Nebraska, Gerontophilia ou encore Bird People de Pascale Ferran, à Cannes cette année.

Une productivité solide pour une entreprise aux dimensions familiales: trois employés permanents pour autant de postes de montage, quelques écrans de contrôle, le tout dans un open-space classique et confortable. Loïc Barbier, co-fondateur de Limelight, explique le processus de création de la bande-annonce:

«Après avoir été contacté par le distributeur, nous regardons le film plusieurs fois. D'abord en tant que spectateur, pour en saisir l'esprit, le discours, puis en tant que monteur. Nous soustrayons alors tout ce que nous ne voulons pas montrer: les scènes trop violentes ou choquantes et celles qui gâchent le suspense de l'œuvre.»

Pour ce premier jet, Loïc Barbier et son équipe sont en général assez libres. C'est par la suite que d'éventuels aménagements adviennent:

«Si notre proposition ne plaît pas au distributeur, on en discute, il y a un petit brief, ils nous proposent des pistes et on fait une nouvelle version. Le processus peut durer plusieurs jours ou plusieurs mois, c'est très variable... Pour Mud par exemple, nous sommes passés par de très nombreuses étapes car une infinité de BA étaient possibles.»

Garder 90 secondes d'un film d'une centaine de minutes, la tâche est complexe, peut se prévoir jusqu'à huit mois avant la sortie sur les écrans et a un coût: entre 5.000 et 10.000 euros par bande-annonce en ce qui concerne Limelight, facturés au distributeur.

En retour, ces derniers n'hésitent pas à mettre les boîtes de montage en concurrence et à leur commander des «essais», avant de faire leur choix définitif. Il existe en effet une dizaine d'entreprises du même type en France, avec quelques poids lourds comme Aparté, SLP ou Sonia tout court.

Le marché est en pleine expansion, galvanisé par l'importance de plus en plus importante des bandes-annonces.

«Avec le bouche-à-oreille, c'est aujourd'hui le meilleur outil pour inciter les spectateurs à aller voir un film, loin devant les critiques, confirme Frédéric Gimello-Mesplomb, professeur des universités, spécialiste de l'économie du cinéma. Elles sont désormais accessibles partout, sur Internet, à la télé, dans les salles... C'est devenu un événement en tant que tel, très attendu, et toute une stratégie marketing s'est construite autour de ça.»

Thomas Mignot, président de Parenthèse Cinéma, société de conseil en promotion, confirme:

«Les gens allant davantage au cinéma qu'avant, les bandes-annonces ont forcément plus d'impact et sont commercialisées par les exploitants de salles. Il faut donc réfléchir à ce médium, maximiser son potentiel quitte à rendre le produit fini mensonger.»

Publicité mensongère, l'expression est lâchée. Certaines des propositions de Thomas Mignot sont d'ailleurs sans ambigüité:

«Pourquoi ne faire qu'une seule bande-annonce? C'est un problème que je dénonce quotidiennement. Il faut au contraire tricher, s'adapter au public. Avant un film fleur bleue, on devrait diffuser une BA à dominante romantique. Avant un film grand public, un trailer plus classique. Même chose pour les sites et les blogs: selon le lecteur type, on aménage la BA qui y est proposée. Dans les années 1980, c'était encore un moyen de présenter un vrai aperçu du film. Mais les temps ont changé.»

Les habitudes du public, un peu moins. En 2011, une Américaine s'estimant lésée par le trailer de Drive, qui promettait un film centré sur les courses-poursuites, a porté plainte contre le distributeur avant d'être déboutée.

Les exemples de bandes-annonces trompeuses sont légion: en 2007, la BA de Sweeney Todd de Tim Burton, n'annonce absolument pas un film musical; celle de Cosmopolis de David Cronenberg, laisse imaginer un film d'action classique et accessible sur fond d'apocalypse; plus récemment, la BA de 12 Years a Slave accorde une belle place à Brad Pitt, même s'il n'apparaît qu'une poignée de minutes dans le film. Une tendance d'ailleurs moquée par une vidéo parodique hilarante, qui transforme « Shining » en comédie musicale tout à fait crédible.

Pour autant, cette vision biaisée de la bande-annonce est-elle partagée par l'ensemble de la profession?

«C'est au cas par cas, répond Boris Pugnet, responsable marketing de la société de distribution Le Pacte. On choisit parfois un angle qui n'est pas forcément celui du film, mais donne envie à beaucoup plus de gens d'aller le voir. Il est aussi possible d'utiliser une musique qui n'est pas dans le métrage, d'accentuer certains effets sonores, accélérer le rythme... Certes, cela peut donner une perception mensongère du film, mais il faut élargir le public cible car sinon, on risque de perdre de l'argent. Pour autant, si on ne parvient pas à accrocher les spectateurs auxquels le film est avant tout destiné, c'est forcément un ratage.»

Des choix qui dénaturent l'œuvre originelle et risquent logiquement de déplaire au cinéaste. Boris Pugnet se veut pragmatique:

«Il faut être pédagogue, leur expliquer que le distributeur a une meilleur visibilité du marché et de la concurrence. Mais le réalisateur a tout de même un droit de regard sur la bande-annonce et peut faire des suggestions pertinentes.»

Ce n'est pas l'avis de Thomas Mignot:

«Le mieux est que le cinéaste ne soit pas impliqué dans le marketing du film. En France on a cette tradition, on est respectueux de l'auteur, mais je pense qu'ils ne devraient voir que le produit fini. Quitte à les frustrer...»

Une frustration déjà connue par Pierre Salvadori, réalisateur du merveilleux Dans la cour, sorti en avril dernier.

«J'étais très mécontent de la bande-annonce de mon film De vrais mensonges, sorti en 2010. Elle était interminable et dévoilait toute l'intrigue. Le producteur et le distributeur ont eu gain de cause mais à mon avis, ils se sont clairement trompés sur ce coup. De manière générale, je suis très impliqué dans la confection des BA. Il faut s'autoriser la lenteur, l'originalité, et le cinéaste a le droit d'intervenir. Car lorsqu'elles sont ouvertement mensongères, je ne pense vraiment pas que cela serve le film.»

Un point de vue partagé par l'équipe de Limelight, dont le credo est justement d'adhérer au maximum à la vision du cinéaste. «Notre objectif est de coller au mieux au film, de collaborer avec le réalisateur», confie Loïc Barbier. Les frères Dardenne par exemple, ont pour principe de ne rien dévoiler dans la BA et de seulement poser les enjeux du film, pour que les spectateurs le découvrent avec un regard vierge.

De fait, on ne sait pas grand-chose de Deux jours, une nuit, leur dernier film présenté à Cannes.

«Il est fondamental, pour nous, de recueillir l'assentiment du réalisateur, poursuit Loïc Barbier. C'est parfois un défaut, car certains n'ont plus trop de recul lors de cette phase promotionnelle, mais nous y tenons car nous sommes parmi les derniers à défendre cette conception de la BA: on ne triche pas.»

Nous voilà prévenus.

Axel Cadieux

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