Boire & manger

Une distillerie renait au cœur de Paris

Temps de lecture : 4 min

Pour la première fois depuis cent ans, une micro-distillerie au souffle libertaire va bientôt ouvrir dans le Xe arrondissement.

Mai 2013. REUTERS/Benoit Tessier
Mai 2013. REUTERS/Benoit Tessier

C’est la faute à Zola, et Voltaire n’y est pour rien si la nouvelle nous fait tomber par terre. Si le grand alambic de cuivre rouge qui trône au fond de L’Assommoir, avec «sa mine sombre et son ronflement souterrain, sa cornue d’où tombe un filet limpide d’alcool», tempêtait sous le crâne de Nicolas Julhès enfant, captivé par sa lecture, plongé dans le quartier de la Goutte d’Or des années 1875.

Bientôt les «machines à soûler» le peuple, comme Zola surnomme les alambics, disparaîtraient des faubourgs de la capitale, trop d’alcool frelaté, trop d’accidents, et puis les risques d’incendie, n’est-ce pas… Mais en 2014, un rêve d’enfant allait les faire renaître au cœur d’un Xe arrondissement pas tout à fait soumis à l’embourgeoisement bohème. La Distillerie de Paris, armée de l’agrément officiel n°751301, le premier délivré depuis une centaine d’années, s’apprête à produire de nouveau des spiritueux à Paris. Les premières bouteilles arrivent en septembre.

UNE DISTILLERIE PARISIENNE! Allez-y. Laissez-vous aller à pousser de petits piaulements de joie en sautillant comme un marsupilami trépané. L’événement s’y prête, la nouvelle est de taille.

Depuis peu, la résurgence des micro-distilleries partout dans le monde reparamètre le goût et la façon des spiritueux, jusqu’en plein cœur des villes – New York, Chicago, Londres… Mais Paris, petit musée assoupi contre ses remparts, ne laissait plus les alambics franchir ses portes depuis qu’elle avait chassé les derniers bouilleurs clandestins à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Une vraie distillerie à Paris? Trop cher. Trop compliqué. Vous pouvez toujours rêver. Mais, on l’a compris, Nicolas Julhès a des rêves plein la tête depuis la lecture de L’Assommoir, et toute une vie pour les réaliser.

«J’ai découvert vraiment les spiritueux dans l’épicerie familiale. Le choc! Tout m’a séduit, le goût, les arômes, les saveurs, les textures… Et cette part d’éternité, cette pérennité que ni le vin ni les fromages ne peuvent offrir. Depuis, j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur le sujet, j’ai fait des stages de distillation… Puis, avec mon frère Sébastien, qui travaille le pain et les fermentations, nous nous sommes mis en tête de distiller. Enfin, il y a quelques années, nous avons acheté un local en friche derrière l’épicerie, un blockhaus à moitié enterré qui aurait dû devenir un parking. Et là, on s’est dit: fini de rêver. Créons ici notre distillerie. On a alors entamé les démarches officielles. C’était il y a quatre ans.»

L’aventure commence dans les bosses. Quatre ans à se cogner la tête contre les murs en recevant partout la même réponse telle une claque: impossible. «Mais on s’est acharnés sur le projet, et sur Paris. Car, si c’est une marque merveilleuse, c’est surtout un vrai terroir, au sens où le terroir vient de la culture des gens, de leur histoire.» Pas au sens où l’orge se mettrait à pousser au Père-Lachaise et les genévriers sur les carrière de Lutèce. «Dans cette ville, les influences, les rencontres, l’énergie créatrice poussent à voir les choses différemment.»

Pour distiller à Paris, il faut passer par l’Allemagne, où les frangins Julhès se font customiser sur mesures un alambic Holstein – oui, un nom de vache. Un joli joujou en cuivre flanqué d’une chaudière de 400 litres et d’une petite colonne à plateaux qui permet bien des fantaisies et où l’option «dogme» est dotée d’un bouton «off» à maintenir enfoncé!

Un alambic Holstein

Au terme d’un an de genèse pour coller l’infini des possibles en équation chimique, l’engin doit être livré en juillet et viendra tenir compagnie à la cuve d’empâtage et aux trois cuves de fermentation dans la «boutique distillerie».

Le compte à rebours pourra alors commencer. Fin juillet, au plus tard mi-août, il sera temps de réveiller l’alambic pour distiller du gin, de la vodka, du rhum de mélasse, du whisky, «et sans doute quelque chose à base de raisin, fine, marc ou brandy.»

Imagine-t-on Macallan distiller de la vodka entre deux batchs de single malt ou Havana Club cracher du cognac à la saison des pluies? C’est pourtant bel et bien cette élasticité créative qui fait tout l’intérêt des micro-distilleries et draine vers elles les amateurs de nouveauté, d’émoi et de surprise – pour le meilleur et parfois le pire, le curseur passant du vitriol au nectar d’une maison à l’autre, voire entre deux cuvées.

Mais la Distillerie de Paris place l’ambition à hauteur de tour Eiffel: il ne s’agit pas de créer un cabinet des curiosités spiritueuses, mais une encyclopédie du goût partagé. Et pour l’atteindre, mieux vaut se pointer nombreux dans les cuisines du diable. Bref, l’aventure sera collective ou ne sera pas.

«Nos inspirations viennent de partout : cognac, armagnac, whiskys, eaux de vie de fruits… Alors tout le monde est invité à faire vivre ce projet fou, s’emballe Nicolas Julhès. Pas question de prendre un consultant qui gérera tout. Des distillateurs de cognac ou de malt viendront nous aider, pour partager leur savoir-faire et surtout leur envie d’explorer autre chose. Pour eux, la Distillerie de Paris aura la taille d’un jouet, mais quel formidable outil de R&D! Libre de toute contrainte d’AOC ou autres, ils pourront se dire: et si on procédait comme ci? Et si on essayait ça? Nous pourrons expérimenter des distillations en milieu plus ou moins acide, travailler les maturations, tester les réductions à températures différentes, par goutte à goutte, pulvérisation… J’espère que l’on fera vieillir nos eaux de vie aux quatre coins de Paris, dans les caves de l’Opéra Garnier ou de l’Arc de Triomphe, sur une péniche… Une chose est sûre: la Distillerie de Paris va carburer à l’énergie transversale, à l’échange et au partage. Les gens vont se rencontrer, venus de tous les horizons, des univers de la cuisine, de la pâtisserie, de la chimie…»

A distillerie collaborative, financement participatif. Si la structure se finance par des emprunts classiques, les fondateurs se tournent vers le crowdfunding pour le fonctionnement et l’impulsion. Tous ceux qui souhaitent rejoindre l’aventure sont invités surveiller l’avancée des travaux sur le site distilleriedeparis.com et à bientôt cliquer sur le lien vers Kisskissbankbank.

Chaque donateur, en déboursant 5 €, recevra un pin’s (collector du futur) et verra son nom inscrit sur le mur de la distillerie. A partir de 19 €, il repartira avec une bouteille de 20 cl (50 cl pour 50 €, 3 bouteilles pour 120 €, 1 bouteille par mois pendant un an pour 250 €, etc). Le généreux passionné, en échange de 3.500 €, recevra une journée de formation à la distillation et un fût de 50 litres. A faire vieillir (ou pas). Et à partager. Ou pas. Le participatif a des limites.

Christine Lambert

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