Manuel Valls doit surmonter deux menaces contradictoires, politique et économique. Politiquement, il doit rester suffisamment à gauche; économiquement, il doit encore faire du chemin vers les entreprises, ce qui est jugé, au sein des socialistes, comme «aller à droite». Il est donc sur une frêle ligne de crête.
Comment mesurer ses chances? Le pire péril n'est pas le politique.
Manuel Valls devrait pouvoir parvenir à ne pas exploser sa majorité, malgré le fort nombre, une centaine, de députés récalcitrants. Pourquoi? Parce que le député PS de base est coincé. Soit il se démarque de Hollande-Valls pour plaider devant ses électeurs:
«Vous voyez, moi j'ai résisté. Je suis vraiment de gauche, refaites-moi confiance.»
Mais alors il brave les autorités de son parti en votant contre la ligne du président et il devrait avoir en face de lui, à la prochaine échéance, un autre candidat «officiel» envoyé par la Rue de Solferino. Dans ce cas, les électeurs de notre député de base vont se diviser entre deux candidats socialistes. Peut-il être réélu avec cette division très risquée? Y a-t-il des circonscriptions où la défection sera, malgré tout, payante? Sans doute bien peu.
Reste alors à notre député de base l'autre voie, qui est de rester collé au couple Hollande-Valls, en pestant le plus fort possible pour que son électeur entende bien «qu'il est de gauche», mais en votant dans la ligne. Si le député de base socialiste fait un calcul rationnel, à mon avis, il choisit la seconde option. Mais la politique n'est pas rationnelle, ses représentants encore moins...
Trouver le bon réglage
Le plus gros péril reste économique. Manuel Valls peut échouer à relancer l'économie française et l'emploi. Trois écueils sont devant sa barque: la finance, la macroéconomie et la confiance.
Financièrement, la France, «à la traîne dans ses réformes» selon tous les observateurs étrangers, pourrait voir les marchés financiers, jusqu'alors très indulgents, changer brutalement d'attitude et remonter les taux d'intérêt. C'est la thèse de la droite: «Le gouvernement n'en fait pas assez», dit une UMP qui n'a pas fait le quart de la rigueur de Valls. Cette crainte est peu vraisemblable.
«Le changement est en cours en France, plus crédible qu'il n'apparaît. Une crise financière française du type de celle des pays méditerranéens reste peu probable.»
Qui dit ça? Le chef économiste pour l'Europe de Goldman Sachs, Huw Pill, dans le Financial Times du 23 avril. Je sais que les marchés financiers ne sont pas toujours plus rationnels que les députés socialistes, mais quand même: ils ont d'autres inquiétudes plus grandes (la remontée des taux américains), ils sont plutôt derrière Valls.
Macroéconomiquement, le Premier ministre doit manoeuvrer très délicatement. Il doit basculer le moteur de la croissance du secteur public (l'endettement) sur les secteurs privés (l'investissement, l'export, la consommation). Le bon réglage n'est pas simple à trouver.
Il peut «trop» couper dans les dépenses publiques alors que les autres moteurs restent essoufflés. C'est la thèse keynésienne des députés de base récalcitrants. C'est aussi le risque souligné par le Haut conseil des finances publiques: le gouvernement surestime les effets positifs de sa politique d'«offre». Le Haut conseil n'en tire pas, lui, la conclusion qu'il faut adoucir les coupes, mais il craint que la croissance soit, à partir de l'an prochain, plus faible que ne l'escompte le gouvernement et que la courbe du chômage tarde à s'inverser.
La critique keynésienne ne doit pas être exagérée (les dépenses publiques vont continuer à croître en volume de 0,1% d'ici à 2017), mais elle ne peut être évacuée. Le «réglage» macro est sans doute le bon, mais à condition que le gouvernement choisisse sans tabou aucun les coupes les moins «récessives».
A la recherche du concret et du symbolique
Lesquelles? On arrive à l'écueil le plus dangereux: la défiance. Comme le souligne le Haut conseil, le gouvernement est beaucoup trop optimiste sur les effets de son pacte de responsabilité et de solidarité. Celui-ci accordera des baisses d'impôts, mais il est loin d'effacer les ponctions fiscales, de droite et de gauche, de ces dernières années. Les ménages, à qui l'on promet de ne plus augmenter les impôts, vont-ils vraiment cesser d'épargner? Les entreprises, à qui l'on promet une baisse des coûts du travail, vont-elles vraiment investir et embaucher? La confiance des uns et des autres est-elle solidement rétablie? Evidemment non.
Manuel Valls ne peut pas se contenter du pacte. S'il ne veut pas que ses opposants aient raison, il lui faut trouver des mesures concrètes et autant d'autres symboliques, du cap nouveau. Il doit activer d'autres moteurs d'«offre». Par exemple, relancer en urgence la construction de logements et défaire avec systématisme tout ce qu'a fait la désastreuse ministre Duflot. Il y a dans le BTP un gisement de 0,3 ou 0,5 point de PIB.
Autre exemple: pour maintenir la consommation, vaut-il mieux geler les salaires des fonctionnaires ou réduire les effectifs? Baisser les retraites est récessif, ne vaudrait-il pas mieux trouver des économies en retardant l'âge de départ et en revenant sur les avantages des régimes spéciaux?
Le président de la République et son Premier ministre pourront surmonter le péril politique avec des résultats économiques. Mais ceux-ci ne sont aujourd'hui pas acquis, loin de là. Ils dépendent de leur hardiesse à aller au-delà du pacte pour infléchir la courbe de la défiance.
Eric Le Boucher
Article également publié dans Les Echos