Économie

Manuel Valls, Premier ministre de l'Economie

Temps de lecture : 7 min

Il aura mis une semaine, le temps d'installer la confusion autour des 3% de déficit, mais le chef du gouvernement a annoncé un plan courageux. Qui a tout pour déplaire au Parti socialiste.

Manuel Valls, le 16 avril 2014. REUTERS/Philippe Wojazer
Manuel Valls, le 16 avril 2014. REUTERS/Philippe Wojazer

Valls a pris la main sur le programme économique. Il aura mis une semaine, délai qui avait suffi à créer la confusion autour du fameux 3% de déficit. Mais mercredi 16 avril, lors de son allocution, il s’était entouré de ses ministres (sans celui de l’Economie, tiens, tiens...), et il a été le seul à s’exprimer.

Le Premier ministre a commencé à détailler les 50 milliards d’économies en s’exprimant dans la direction attendue –«l’effort collectif juste»– mais à sa façon: sans fioriture. Il a surtout confirmé ce qu’on pressentait: les ménages les plus modestes sont les sanctuarisés et les «sacrifiés» sont les élus, les fonctionnaires, les retraités.

Tout ce qu’a annoncé le Premier ministre va déplaire au PS puisqu’il cogne, et fort, sur la base électorale socialiste. Il faut souligner son courage, à lui et à François Hollande, de le faire. Telle est en effet la façon «juste», mais elle va évidemment recevoir des tombereaux de critiques.

Les fonctionnaires vont payer par leur nombre, puisque le gouvernement s’ose pas toucher leur «avancement», mais la conséquence sera que leurs effectifs vont nettement diminuer, et d’autant plus que les promesses faites à l’école, la police et la justice sont conservées. C’est un choix majeur: moins de fonctionnaires avec des rémunérations préservées, autant que faire se peut. Les retraités vont, eux, voir les allocations coupées de 3,3 milliards d’euros. Le choix présidentiel d’un quinquennat «pour la jeunesse» servira de caution.

L'exemple parlant des 3%

L’ensemble est, redisons-le, courageux. Manuel Valls a surtout bien fait d’intervenir lui-même, tant son gouvernement a flotté sur la ligne économique la première semaine. Il a laissé dire ses ministres sur la question des 3%, ils ont réussi à sérieusement écorner la crédibilité du pays.

Reprenons cet épisode, car il éclaire à la fois les hésitations et les maladresses d’un pouvoir encore bien fluctuant et très malhabile.

François Hollande lors de son intervention télévisée pour changer de Premier ministre, puis Manuel Valls à l’Assemblée, Michel Sapin et Arnaud Montebourg à Berlin, tous, avaient dit que la France réduirait son déficit à son «rythme» et qu’elle allait demander un nouveau délai à Bruxelles. Le déficit français, l’an passé de 4,3% du PIB, n’allait pas passer sous la barre des 3% en 2015 comme promis précédemment (il devait passer à 2,8%), les autorités françaises ont décidé d’adoucir l’austérité pour soutenir la croissance.

Et puis, demi-tour toute dès le 11 avril dans la bouche de Sapin: si! si! si! la France tiendra ses engagements de 3% en 2015 et on avait mal compris les autorités françaises notamment lui, Michel Sapin, qui avait parlé de rythme et pas de délais…

Comment comprendre?

Semble-t-il, les Français naïfs sont tombés sur un refus. Ni Berlin, ni Bruxelles n'ont accepté d’accorder un nouveau sursis à la France qui avait déjà obtenu un premier délai l’an dernier pour repousser le retour sous les 3% de 2013 à 2015. Reculer encore eut donné un trop mauvais exemple aux autres pays. En outre, Matteo Renzi, le chef du gouvernement italien, avait lui aussi laissé entendre qu’il allait pratiquer une «relance budgétaire», lui qui en a les moyens puisqu’il est déjà sous les 3%, mais il a renoncé. La France perdait le soutien italien qu’elle croyait avoir.

Le compromis est possible

Echec et pataquès! C’est à la fois une vexante déroute –Bruxelles a imposé ses vues et la France défaite rentre dans le rang– et c’est une confusion sur ce qu’est vraiment la politique budgétaire française: quelle austérité? Quelle priorité? La crédibilité des 50 milliards d’économies était remise en question avant même qu’on en sache les détails. La France de Valls démarrait mal.

On hésite pour savoir s’il s’agit d’une erreur de communication (la ligne serait claire mais mal expliquée) ou carrément de fond: entre les keynésiens pur jus si nombreux au PS et au gouvernement (prenez Montebourg) et les rigoristes, le compromis ne serait toujours pas fixé. Les deux erreurs s’ajoutent...

Le compromis en question n’est pourtant pas si compliqué à trouver. Contrairement à la lecture idéologique qu’en font les purs keynésiens, les organismes internationaux sont grosso modo sur une position qui est: il ne faut pas d’austérité en période de récession, il faut y aller mollo quand la croissance est faible et y aller carrément dès qu’elle est solide.

Que veut dire «y aller mollo»? Que l’arbitrage doit être fin. La baisse des dépenses publiques est nécessaire parce que la dette est devenue énorme, proche de 100% du PIB en France, et qu’il faut bien l’arrêter un jour, parce que la croissance par le déficit, c’est la stratégie choisie depuis trente ans et qu’elle ne marche plus (voir le chômage persistant même avant la crise), ce type de croissance est artificiel. Autre raison: convaincre les marchés de ne pas rehausser les taux d’intérêt, et, enfin la France s’y est engagée à ces 3% et que la France, pilier de la zone euro, a voté toutes ses règles y compris le pacte budgétaire européen.

Valls, ce mercredi, n’a pas dit autre chose.

Quel rythme?

Concrètement cela donne quoi? A quel rythme baisser les dépenses? C’est bien là le sujet. Le rythme dépend de deux facteurs: de quelles dépenses on parle et quelles réformes les accompagnent.

Commençons par le second: si des réformes structurelles accélèrent le potentiel de croissance, alors il devient moins nécessaire de soutenir cette croissance par des dépenses publiques. Plus on donne du muscle à l’économie, moins elle a besoin d’EPO. Il faut accélérer les réformes (marché du travail assoupli, baisse des charges des entreprises, réforme de l’éducation, etc.).

Quant au premier facteur –de quelles dépenses parle-t-on?– il est d’un maniement délicat. Il faut couper dans les dépenses qui sont les moins pro-actives sur la croissance. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, le choix est complexe en général car on ne sait pas très bien: cela change avec la conjoncture et les caractéristiques des pays. Les dépenses de BTP par exemple (les ponts) sont des travaux immédiatement utiles. Les dépenses d’investissement sont donc en général à préserver. Ne couper alors que dans les dépenses dites de fonctionnement, c’est-à-dire les salaires publics? Si la paie des fonctionnaires est transformée en consommation, et que la consommation générale est flageolante, mieux vaut ne pas trop taper là. Mais est-ce le cas actuellement? Et puis où taper ailleurs?

Ces questions sont délicates mais, depuis le temps, elles ont trouvé des réponses à Bercy. L’administration a, dans ses dossiers, des choix précis. Et entre les économistes proches du gouvernement une ligne claire de compromis existe.

Quelle est-elle? Que passer de 4,3% de déficit à 2,8% en 2015 en deux ans est rapide. D’autres pays l’ont fait, certes. La Grande-Bretagne a montré qu’on pouvait malgré les coupes retrouver de la croissance. Mais la France?

Nous en sommes ici au cœur du drame de la politique économique française. La croissance est actuellement étouffée non pas par trop de réduction de la dépense publique mais par trop d’impôts sur les ménages (40 milliards de plus depuis 4 ans) et par l’ensemble des dispositifs fiscaux et légaux qui se sont abattus sur les entreprises. Autrement dit, la confiance n’est pas là et dans ce cadre d’échec, la dépense publique est, si l’on peut dire, le seul moteur qui reste. Inverse exact de la Grande-Bretagne: la France de Hollande s’est condamnée à l’EPO pour rester dans la course!

Au coeur du drame de la politique économique française

Dans ce drame, le réalisme impose donc, à mon avis, de ne pas trop vite couper le déficit.

Soyons précis: il faut accélérer les réformes structurelles et les faire radicalement. En parallèle, il faut réduire les dépenses, mais se souvenir que le déficit est le résultat de la soustraction recettes moins dépenses. Si les recettes sont moindres qu’escomptées, il ne faut pas les couper en plus pour obtenir le déficit prévu. Il faut constater a posteriori un déficit supérieur. Il faut être rigoureux, mais pas excessivement, car la France socialiste est devenue trop fragile.

Cette faiblesse est rageante, le choix d’une rigueur douce revient à continuer l’erreur de la stratégie passée, à encore reculer pour mieux sauter, mais c’est comme ça. La démence fiscale depuis deux ans conduit à cette ligne complexe.

Le bon compromis est donc d’obtenir en effet de nouveaux délais à Bruxelles et de passer, mettons, de 4,3% l’an dernier à un déficit de 3,8% cette année où la croissance est très fragile, et à environ 3,3% fin 2015, suivant l’amélioration la croissance ou pas.

Cette ligne claire avait visiblement été retenue par le président lui-même. Mais le gouvernement a été incapable de le faire admettre à Bruxelles.

Pourquoi? Parce que ce compromis n’est pas partagé par tous les membres du gouvernement, les Montebourg pensent encore que la rigueur est «accessoire» et qu’il faut être plus fortement laxiste. En raison également d'une erreur de communication.

Les ministres continuent leur maladresse déconcertante. Pour obtenir des nouveaux délais, il ne fallait surtout pas faire comme ils ont fait: dire qu’ils allaient les obtenir de Berlin et Bruxelles! C’était vexer les autorités allemandes et européennes. C’était s’exposer au refus par crainte de laxisme. Montebourg se veut laxiste, lui qui continue de ruiner avec naïveté et constance depuis qu’il est ministre le crédit international de la France. Et les 50 milliards n’avaient pas été détaillés avec force auparavant! Il fallait inverser la chronologie: dire nos économies, montrer qu’elles sont rudes et engager les réformes structurelles pour convaincre Bruxelles. Il fallait regagner un peu de crédibilité externe et interne pour remonter la confiance perdue. Ensuite, ensuite seulement, dans six mois, constater que les recettes sont insuffisantes et que le déficit va glisser.

Faute de cela, le nouveau gouvernement a maintenu la grande confusion de son prédécesseur et entretenu la méfiance. Manuel Valls avait promis de l’ordre. Il était plus que temps qu’il reprenne la main.

Eric Le Boucher

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