France

Peut-on être blond et faire de la politique (sans perdre ses cheveux)?

Temps de lecture : 11 min

Les blondes ont la cote à droite. Les bruns sont bien vus à gauche. Mais pour les blonds, ça se passe comment?

Jean-Marc Ayrault, après la passation de pouvoirs à Matignon, le 16 mai 2012. REUTERS/Regis Duvignau
Jean-Marc Ayrault, après la passation de pouvoirs à Matignon, le 16 mai 2012. REUTERS/Regis Duvignau

N'avez-vous rien remarqué lors du dernier remaniement?

Un gouvernement pour toutes les sensibilités socialistes, pour la parité et la paix au centre, mais rien pour les blonds. Rien pour les «cheveux soleil».

Y a-t-il discrimination? Est-ce la raison du départ de Jean-Marc Ayrault? De Pascal Canfin? Du non-retrour d’Elisabeth Guigou?

Le cas «blonde de droite»: la facilité

Venons-en tout de suite au constat: la blondeur est beaucoup plus conflictuelle pour les hommes que pour les femmes. Quand celles-ci sont à droite, la mèche blonde semble même être une spécialité. Prenez l’organigramme de l’UMP. Pléthore de blondes! Valérie Pécresse, Michèle Tabarot, Nadine Morano, Catherine Vautrin, Valérie Debord... et tant d’autres. Mais pourquoi tant de blondes à droite tandis qu’à gauche, à part Barbara Pompili et Elisabeth Guigou... Parce que dans le fond, profondément, les blondes sont à droite.

Ce fut en tous cas le résultat de l’enquête menée par le magazine Causette en août 2010. Il indiquait que la proportion de blondes (naturelles et teintes confondues), au sein des instances dirigeantes des partis politiques était largement plus élevée au FN (50%) et à l’UMP (48%), qu’au PS (13%). Un sondage de l’Ifop commandé pour l’occasion confirmait cette tendance parmi l’électorat puisque 27% des blondes s’y révélaient de sensibilité de droite, contre 19% pour la gauche.

Deux explications accompagnaient cette enquête ébouriffante: une conception de la femme plus traditionnelle à droite et donc plus en accord avec l’image de la femme blonde un peu soumise, une autre associée à l’âge plus avancé de l’électorat de droite qui colle à l’augmentation du nombre de blondes avec le temps qui recouvre les cheveux blancs.

Mais pour un homme blond, de droite comme de gauche, l’ascension se révèle beaucoup plus difficile. Voire pénible et sujette au préjugé. Pourquoi? Comment font ceux qui s’en sortent? Le blond serait-il, plus qu’on ne le pense a priori, une couleur politique? Dans un moment où l’image et la communication prennent le pas sur le fond, le blond peut-il faire une différence dans la perception subjective d’une personnalité politique et de ses idées?

Pour être honnête, situons les blonds dans la société

Pourquoi si peu de blonds en haut du panier? Peut-être parce qu’il n’y en a pas plus en bas, il est vrai. La politique est affaire de représentation et, basiquement, la population française est plus brune que blonde. Aux dernières nouvelles qui tentent de discerner les vrais des faux blonds, on estime qu’environ seuls 10% de la population sont vraiment blonds.

Cela pourrait donc donner un politique blond pour neuf châtains et/ou gris et/ou blanc et/ou roux. 33% des femmes se disent par contre «blondes», ce qui vous laissent envisager la part de faux dans tout ça et le risque au niveau politique (notamment à droite).

Le blond devrait cependant s’afficher à hauteur de 1/10 de la représentation nationale, or, il n’en est rien. Les blonds sont sept à l’Assemblée depuis le retour de Jean-Marc Ayrault et Guillaume Garot. Sur 487 hommes. C’est affligeant au point qu’on peut même les nommer, les pauvres, ils méritent bien un peu d’affection.

Big up pour Dominique Tian (Bouches-du-Rhône, UMP), Jean-Luc Bleunven (Finistère, Divers gauche), Marc-Philippe Daubresse (Nord, UMP), Armand Jung (Bas-Rhin, PS) et Dominique Lefebvre (Val d’Oise, PS) qui attendent toujours le renfort de 41 blonds pour faire bonne figure dans l’hémicycle.

Et dans l’histoire

Peut-être le blond souffre-t-il de sa douloureuse histoire en France. Il ne s’est pas fait une place dans nos contrées sans difficulté (sauf en Normandie). En partant du sud, dans l'Antiquité, même si les dieux et déesses de l'Olympe étaient blonds, les auteurs latins tels que Properce, Stace, Ovide, Martial ou Juvénal se moquaient pas mal des Romaines qui se faisaient des mèches grâce à des potions décolorantes. Ce n’était pas tendance et les Romains le voyaient bien.

Plus qu’un signe divin, le blond est d’abord apparu comme signe de guerre. Le blond, c’était la tête qu’il ne faisait pas bon croiser, l’homme du Nord qui venait s’en prendre aux belles brunes du Sud: d’abord les Vandales, peuplade de Germanie installée dans le sud de l'Espagne au Ve siècle et dont on imagine la blondeur ravageuse vue l’acceptation actuelle du terme «vandale».

Il y eut aussi les Ostrogoths dont le nom peut aussi servir d’insulte, en tous cas chez les historiens, et les Allemands pendant longtemps encore.

L’apparition du mot lui-même, «blond», suit cette ligne défensive face aux invasions successives. Les Romains lancent un blunda en latin tardif pour décrire leurs ennemis puis alliés puis ennemis germains. Le premier blond français s'écrit semble-t-il blund en 1080, lorsque le provençal écrit blon. Le mot blond ne s’utilise pas avant le XIe siècle. A partir de là, le mot ne se décline toujours pas pour faire honneur: blondin (un homme qui fait le beau), blonderie (plaisanterie), blondasse (1755)...

De là, envisageons la perception du «blund» minoritaire et fils de Vandales sur l’échiquier politique.

La gauche: sectaire capillaire?

Dans la vieille cité provençale de Bollène, le 15 juin 2012, un cri retentit dans La Provence:

«Une honte pour notre ville et pour tous les enfants issus de l’immigration dont les parents sont venus construire le canal ou la centrale de Tricastin.»

C’est ainsi que Serge Fiori, représentant du PCF et du Front de Gauche bollénois décrit une petite blondinette en photo sur le plan de la ville édité par le conseil municipal. Une blondeur de mauvaise mémoire, capable de masquer la diversité ethnique de la région.

Cette remarque de Serge Fiori, aussi anecdotique soit-elle, a le mérite de soulever une contre-vérité, un préjugé et un comble.

  • Le comble est de s’en prendre à la blondeur enfantine quand celle-ci a toute les chances de passer grâce à la pollution et aux hormones qui finiront par faire de cette enfant une brunette comme 50% de ses contemporaines de 2025.
  • Un préjugé: le blond reste associé à une symbolique eugéniste qui exalte la pureté au mépris du métissage.
  • Enfin une contre-vérité, puisque l’étranger d’origine en Provence est un blond, et sa photo en haut de dépliant de la mairie pourrait très bien faire office de manifeste pour l’intégration.

Mais nous voyons l’idée: le blond peut encore susciter une réaction épidermique quand il est érigé en symbole. La gauche, dans sa conviction de devoir porter le développement d’une société ouverte et métissée, peut très bien se sentir mal à l’aise derrière la photo d’une blondeur un peu trop «d’origine». C’est dire la défiance tacite qui peut agiter l’imaginaire à la vue d’un homme politique blond en position de pouvoir, donc de symbole.

Est-ce le blond qui affadit l’homme? Ou est-ce l’homme qui affadit son blond? Vaste problème... Joanna Pitman, auteure d’une histoire des Blondes (Les blondes, une drôle d'histoire, d'Aphrodite à Madonna, Autrement, 2005), l’a remarqué d’emblée en s’attaquant au sujet. Dans une interview à l’Express, elle déclare:

«A l'origine, je voulais écrire sur les hommes et sur les femmes, mais j'ai réalisé qu'il y avait beaucoup moins de matière, pas de véritable enjeu et très peu d'histoires sur les hommes blonds: ce n'est pas une différence très importante entre eux, et elle n'a pas de grandes conséquences.»

Le blond sans histoire, sans saveur: un véritable obstacle sur la scène existentielle du politico-médiatique.

1. Le blanc qui cache le blond: le cas Jean-Marc Ayrault

Variante: Julian Assange

Jean-Marc Ayrault, après la passation de pouvoirs à Matignon, le 16 mai 2012. REUTERS/Regis Duvignau

D’ailleurs, que devient un blond quand il prend la tête de la gauche? Il devient blanc. Au départ, Jean-Marc Ayrault était professeur d’allemand et blond. A la fin, il est Premier ministre et blanc. Et il retourne à Nantes.

François Hollande aussi a des cheveux blancs. Mais lui (comme beaucoup d’autres François), il continue à les teindre en brun. Il est fier de sa couleur de cheveux. Elle est virile, elle fait jeune, pas «blondin» ni «blondasse» comme risque toujours de paraître un blond. Jean-Marc Ayrault vieillissant fut sans doute très content de passer mine de rien au blanc. Pas de remarque, il s’est sauvé de sa blonderie.

Mais à y regarder de plus près, Jean-Marc Ayrault ne fut peut-être exempt d’un autre préjugé associé à la blondeur masculine: celui de la mollesse. Car si le blond-fier-de-l’être a des airs aryens qui déplaisent à la gauche, il débouche sur le «blond-profil-bas» qui donne envie de lui tendre un porte-voix quand il s’adresse à son voisin.

2. Le blond qui manque d’autorité: le cas Pascal Canfin

Variante: Enguerrand Delannoy, co-fondateur de la Boîte à Idées, courant qui voudrait refonder l’UMP pour lui donner du sens ou Patrick Puydebat, alias Nicolas dans Hélène et les Garçons.

Pascal Canfin se rend à la session inaugurale du Parlement de Strasbourg le 13 juillet 2009 AFP PHOTO FREDERICK FLO

C’est le blond invisible. Le blond qui disparaît dès qu’il y a un peu givre sur les vitres. Il est pourtant juste là, en face de nous. Elève appliqué, engagé, au fait de son sujet. Mais on ne le voit pas. Il n’est pas bête ni en manque d’ambition, il a écrit des bouquins, il est ministre avant ses 40 ans, il pourrait avoir la tête du nouveau monde, mais il est blond (vénitien). Et ça, c’est la poisse. Il voit courir Benoît Hamon, ce brun qui n’a rien à faire pour avoir l’air coriace, il voit passer Vincent Peillon, ce châtain plein de dédain qui n’a même pas à s’en excuser (enfin un peu quand même au final), mais rien n’y fait. Il est vert, certes, mais surtout blond. A un cheveu de la reconnaissance, il s’effondre.

C’est donc le cas Pascal Canfin, «véritable expert économique», «excellent député européen», convaincu et capable de batailler sur des dossiers sensibles. Dans un rapport qu'il a porté au Parlement européen, il a obtenu l'interdiction de la spéculation sur la dette souveraine et la limitation de la vente à découvert.

N’est-ce pas un exploit digne de Siegfried? Peut-être, mais rien ne vaut l’épreuve de l’existence sur le terrain médiatique. La bravoure ne fait pas la «figure» politique. Elle achoppe sur la dimension physique et charnelle du blond qui l’aspire dans son gouffre fade. Cherchez les portraits, les interviews, les aspérités du parcours de Pascal Canfin: vous n’en trouverez pas, ou si peu. Il est passé par ici, on le retrouvera peut-être là, mais entre deux, le cheveu couvre sa langue.

3. Le blond trop beau gosse: le cas Denis Payre

Variante: Brad Pitt

Autre écueil qui suit de peu celui du blond fade: le blond trop beau. Prenez Denis Payre, entrepreneur et fondateur en décembre dernier du mouvement baptisé «Nous citoyens». Voyez comment Le Monde le présente dans son édition du 2 décembre 2013 sous le titre «Denis Payre, blond en affaires, bleu en politique»:

«Mais que vient-il faire dans cette galère? Il est riche, beau garçon, il a à peine 50 ans, en paraît dix de moins et vole de succès en succès dans ses affaires. Et pourtant Denis Payre a décidé de quitter le ring balisé du business pour celui plus incertain de la politique. Œil bleu, mèche blonde, costume sage et chemise ouverte, le voilà qui écume la province française, convoque les médias et se frotte aux bêtes politiques.»

Via Le Monde

Sans que le portrait manque d’éloges sur le fond, il se termine par la figure du «gendre idéal» confronté à un monde de brutes politiques conçu comme bien pire que celui des businessmen. Mais Denis, pourquoi t’y vas?

Renversons la question: pourquoi Denis «le gendre idéal» n’aurait rien à faire «dans cette galère»? Car il a bien le profil. La politique regorge de surdiplômés plein d’ambition et à l’avenir croqué d’avance. Avoir de l’argent, comme Borloo en son temps, c’est l’idéal pour qui rêve de subventionner une «alternative».

Par contre, la politique, c’est aussi le Pôle emploi des petits bruns en mal de séduction. Ils y pointent dès leur plus jeune âge et se nourrissent de chaque élection comme d’un élixir à la pomme d’amour. Des blonds aux yeux bleus, (à part Jean-Marie Le Pen et on remarquera qu’il n’avait pas grande envie d’être élu), il n’y en a pas.

Denis Payre fait dans le cumul: des diplômes, de l’argent, de l’ambition et un physique de beau gosse par excellence. Points 1, 2, 3, on comprend. Pour le 4: on s’interroge. Il est déjà beau. Il séduit déjà. Pourquoi se battre et prendre des coups quand on a déjà tout? Pourquoi «désirer» l’élection?

Le blond type Viking-tranquille a l’art de déstabiliser notre vision revancharde et un brin archaïque du combat politique. Sans doute pour réussir devra-t-il se salir un peu, exhiber ses failles, sa peur du vide, du gluten... ce genre de choses.

4. Le blond américain: le cas Geoffroy Didier

Variante: Jean Sarkozy

Geoffroy Didier / Thibault Savary Delestrez via Wikimedia Commons

Allo, Mickael Douglas? Non, c’est pas possible. Voilà le problème du blond qui vient du beau gosse mais qui, trop veule et trop fringuant, se prend les pieds dans la caricature du blond-qui-se-la pète.

Ce blond américain a le marketing politique dans la peau, il n’a aucune limite, persuadé de pouvoir se faire une place comme le vers dans le fruit mûr. Il est bien-né, bien préparé, bien mis, il adore la télé et les mots jaillissent de lui comme d’une bouche d’incendie pétée en pleine rue. Ses idées changent avec l’air du temps, mais son cran d’un blond ardant ne craint rien moins que le vent.

Ce qu’il attend: un plébiscite dans un monde peuplé de mamies. En attendant, il fera peut-être du cinéma.

5. Le blond qui met mal à l’aise: le cas Brice Hortefeux

Variantes: Jean-Marie Le Pen, Geert Wilders

Brice Hortefeux à l'Elysée en mai 2010. REUTERS/Lionel Bonaventure/Pool

Blond, ancien ministre de l’Intérieur, défenseur des Auvergnats et de la carte d’identité... Sans avoir à en dire plus, en colorimétrie capillo-politique, on atteint le point Godwin. Peut-être une des raisons de son parcours finalement peu reconnu dans les urnes.

Dans le cas Geert Wilders, leader du PVV (parti de la droite populiste néerlandaise) aux allures de chevalier peroxydé un peu maboule, on voit tout de suite qu’un pays plus blond que le nôtre a moins de chance d’en déceler le potentiel malfaisant. Pourtant, ça se voit.

6. Le blond «cash and trash»: le cas Boris Johnson

Variante: Daniel Cohn-Bendit en plus roux

Boris Johnson dans le métro de Pékin, le 15 octobre 2013. REUTERS/China Daily

C’est rare, mais parfois le blond fait mouche. Pour y parvenir, Il lui faut alors casser tous ses stéréotypes, du mou, du beau gosse, du viking et du nazi. De Madonna à Jean-Paul Gaultier, en passant par Bowie et Andy Warhol, il y a un blond fou, cash et trash qui donne un air de star déjantée et hyper populaire, même à un homme conservateur.

C’est le cas de Boris Johnson, le maire de Londres. En campagne, en 2001, il avait lancé:

«Votez conservateur, votre femme aura de gros seins

Le blond pas chic, c’est choc. Les sondages le placent loin devant tous ses concurrents, on veut passer Noël avec lui et s’il était candidat à la place de David Cameron en 2015, il ferait gagner cinq points à son camp. Succès sur toute sa raie qui part en vrille, mais difficulté à imaginer son équivalent français (Jean-Claude Gaudin avec des cheveux? Mais Marseille ne voudra jamais d’un blond... quoi qu’il y a déjà Dominique Tian).

7. Le blond transformiste: l’option «perruque blonde»

Enfin pour finir, évoquons ce qui se développe comme une option «perruque blonde» pour quelques hommes politiques en mal de pop-hilarité. Sur I-Télé en avril 2012, Louis Aliot raillait la danse du ventre de Nicolas Sarkozy pour les électeurs du Front national en lui offrant de lui faire livrer «une perruque blonde», «parce que manifestement il aura la panoplie complète pour aborder ce deuxième tour». Louis Aliot et Jacques Dessange: même combat.

Marika Mathieu

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