On se souvient des embrassades, en 2009 à Brasilia, entre Nicolas de Sarkozy et Lula. C’était le temps où l’Elysée était quasi certain que le Rafale de Dassault (et 100% de sa technologie) remporterait le mirifique contrat brésilien de 36 avions de combat. Quitte à vendre la peau de l’ours un peu trop vite (Brasilia a fini par opter pour le Gripen suédois).
C’était aussi le temps où le Brésil de Lula déployait son ambitieuse diplomatie sur la scène internationale, faisait grossir de 40 millions de personnes les rangs des classes moyennes et décoller le PIB du pays (+7,5% en 2010). Aujourd’hui, malgré les perspectives de la Copa cet été et des JO dans deux ans, le Brésil est moins fringant, avec une croissance en berne, des mouvements sociaux, une corruption récurrente et un goût modéré de sa présidente actuelle Dilma Rousseff pour le soft power.
Certes, il n’est pas question pour François Hollande, qui a dès le début affiché son désir de rapprochement avec l’Amérique latine, de négliger la première économie du sous-continent. Mais il semble aujourd’hui que c’est avec la seconde —le Mexique— que le courant passe le mieux, y compris les courants d’affaires. La visite d’Etat, jeudi et vendredi, du président français au Mexique, accompagné d’une importante délégation d’entreprises et de plusieurs ministres, doit en être la démonstration, tant par son caractère symbolique —50 ans après la visite du Général de Gaulle — que par les accords et les contrats qui vont être annoncés.
Elle succède à celle, en novembre dernier, du président mexicain Enrique Peña Nieto en France et à plusieurs visites officielles dont celle du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, le 14 juillet dernier, à Mexico. Une activité diplomatique qui témoigne de la volonté, affichée de part et d’autre, de renouer le dialogue et de développer la relation bilatérale après l’ère glaciaire qui s’était instaurée entre les deux pays durant l’incarcération de Florence Cassez.
Depuis, les présidents respectifs Nicolas Sarkozy et Felipe Calderon ont quitté les affaires, Florence Cassez a été libérée début 2013, et les deux nouveaux chefs d’Etat veulent tourner la page. Au point d’ailleurs que, par peur d’envenimer de nouveau la situation, aucun d’eux ne souhaite manifestement mettre sur la table (à moins que le tweet de Valérie Trierweiler ne les y oblige) le délicat dossier de Maude Versini, cette Française dont les trois enfants lui ont été enlevés par son ex-mari, Arturo Montiel, ancien gouverneur de l’Etat de Mexico, par ailleurs proche parent et mentor de l’actuel président.
L’intérêt de Paris pour ce pays de 118 millions d’habitants va bien au-delà d’une normalisation des relations. Et ce, malgré la violence à laquelle le Mexique est toujours confronté —la guerre totale de l’ancien Président Felipe Calderon contre les cartels de la drogue a fait plus de 60.000 morts— et malgré le retour au pouvoir du PRI (parti révolutionnaire institutionnel, qui a régné pendant 70 ans jusqu’en 2000), dont l’image reste associée à la corruption et au clientélisme.
Certes, depuis son élection, Peña Nieto ne cesse d’affirmer sa volonté réformatrice. Revue de quelques unes des affinités franco-mexicaines.
Un potentiel commercial important
Alors que les orgueilleux Brics se font désormais traiter de «fragiles», les économistes s’intéressent de nouveau au Mexique, qui résiste mieux que les autres grands émergents et va profiter de la reprise du grand frère américain. La croissance s’est redressée depuis 2010 et devrait tourner autour de 3% cette année.
Même si le pétrole, dont il est le cinquième producteur mondial, représente encore quelque 45% de son budget, le pays est industrialisé de longue date —il est notamment le 8e producteur automobile mondial — et la main d’œuvre y est de bonne qualité.
Dans ce contexte, la position commerciale française est franchement médiocre avec 3,9 milliards d’euros d’échanges en 2013 (2,4 milliards d’exportations, qui font de la France le 14e fournisseur mondial du Mexique). «Nous n’y exportons pas plus que le Guatemala», regrette-t-on à la Direction des Entreprises et de l’économie Internationale (DEEI) du Quai d’Orsay. L’objectif commun est donc de doubler ces échanges d’ici 2017, mais aussi d’accroitre les investissements (400 entreprises françaises, dont les poids lourds Sanofi, Air Liquide, Alstom, Thalès, Faurecia… sont déjà présentes).
Pour faciliter cet essor, le ministère des Affaires étrangères a nommé un «représentant spécial», Philippe Faure. Ce diplomate, qui fut ambassadeur de France au Mexique entre 2000 et 2004 (avant d’être nommé au Maroc puis au Japon), a fait aussi une partie de sa carrière dans le privé.
Il connait très bien les grands patrons mexicains et fut même un temps conseiller de Carlos Slim, magnat mexicain des telecoms et deuxième fortune mondiale. Fort de cet entregent, il a initié la création d’un conseil supérieur franco-mexicain (CSFM) avec, côté français, de grands patrons comme Jean-Paul Herteman, PDG de Safran, Gérard Mestrallet, PDG de GFD Suez, Denis Ranque, président du conseil d’administration d’EADS ou Franck Riboud, PDG de Danone; et, côté mexicain, quelques hommes d’affaires et investisseurs puissants comme Miguel Aleman Velasco, président de la compagnie low cost Interjet, Fernando Chico Pardo, président d’Aeropuestos del Sureste ou le président de Televisa Emilio Azcarraga. Des Mexicains qui, comme il le dit lui-même, «peuvent mobiliser facilement plusieurs milliards de dollars».
L’aéronautique, cible privilégiée
Cet intéressant levier va être utilisé dans l’aéronautique, qui génère déjà 30.000 emplois au Mexique. La plupart des grands opérateurs mondiaux sont d’ailleurs présents sur le pôle aéronautique de l’Etat de Querétaro, au Nord de Mexico. Le français Safran y est le premier employeur du secteur avec 5.000 personnes et 1 milliard d’euros investis en 10 ans. Il devrait d’ailleurs annoncer une nouveau contrat de près de 400 millions d’euros dans la dronautique durant la visite de François Hollande.
Mais la France entend également encourager la venue de PME et d’ETI françaises pour répondre à la volonté mexicaine de développer une filière de sous-traitance aéronautique. Via le CSFM, un fonds de capitaux mexicains a été créé, «d’un montant de 250 à 500 millions d’euros au début mais qui pourrait monter à plusieurs milliards si les projets de co-développement sont au rendez- vous», explique Philippe Faure. Ce montage est un exemple typique de ce que veut être la diplomatie économique chère à Laurent Fabius via laquelle, comme ce dernier le résume lui-même: «nous apportons la technologie et eux les financements».
Autre intérêt des relations avec les Mexicains: «Ils veulent être partie prenante de la chaine de valeur de façon structurée et massive, mais ne recherchent pas à tout prix l’autonomie technologique, ou à devenir demain un géant de la biométrie ou des drones de combat», explique un responsable de la DEEI au ministère des Affaires étrangères.
Par rapport à la Corée, à la Chine ou au Brésil, toujours plus exigeants en matière de transferts de technologies, cela donne à la relation «un niveau de décontraction bien supérieur, qui nous permet d’investir plus massivement».
La base arrière du marché nord américain
Si Mexico souhaite sortir le pays de son tête-à-tête avec les Etats-Unis pour l’ouvrir sur le monde, ses liens commerciaux étroits avec les Etats-Unis, via l’accord de libre-échange de l’Alena, reste un atout majeur de son attractivité, en offrant un accès facile au marché nord américain. Airbus Helicopters (ex Eurocopter) a ainsi inauguré l’an dernier un nouveau site de production à Querétaro pour y fabriquer des queues d’hélicoptères mais aussi des portes pour les Airbus A320, avant de passer éventuellement à l’assemblage de pièces élémentaires.
L’investissement de la filiale d’EADS, de 130 millions d’euros initialement, pourrait ainsi monter à près de 600. Et pour cause, puisque ce site devrait à terme approvisionner la future usine Airbus d’assemblage d’A 320 à Mobile, en Alabama, qui entrera en production en 2015. «Cela revient à jouer les maquiladoras (1) de la filière française aéronautique», souligne un diplomate.
L’opportunité de la réforme de l’énergie
En décembre dernier, le président Peña Nieto a réussi à faire voter au Congrès la réforme de l’énergie sur laquelle ses prédécesseurs se sont cassé les dents. Celle-ci met fin à 75 ans de monopole de Pemex, la compagnie pétrolière et gazière et de CFE, compagnie électrique. Une véritable révolution au Mexique, farouchement condamnée par la gauche, qui ouvre de facto aux groupes étrangers la possibilité d’obtenir des licences d’exploration et d’extraction.
Total devrait ainsi annoncer un projet dans le gaz de schiste près de la frontière américaine. Les hydrocarbures, le nucléaire et les énergies renouvelables sont concernées. Les grands acteurs français sont dans les starting-blocks. Mais il est peu probable que, dans ce domaine ultra sensible politiquement, les entreprises françaises puissent investir sans partenaire local.
«L’objectif est de pouvoir participer aux appels d’offre mais surtout d’accompagner les groupes mexicains vers la privatisation», expliquait Philippe Faure lors des «Rencontres Quai d’Orsay Entreprises» le 8 avril dernier, ajoutant que le fonds du CSFM créé pour l’aéronautique pouvait s’élargir à l’énergie. Tout comme il pourrait l’être aussi à la santé, autre grand thème de coopération entre les deux pays.
Un passé commun
De l’expédition du Mexique en 1860 à la Révolution, sans parler d’une proximité culturelle à travers des auteurs comme Carlos Fuentes, le passé de la France et du Mexique sont souvent en correspondance et cela compte dans la relation bilatérale, rappelle Philippe Faure. Le passé révolutionnaire français est essentiel aux yeux des Mexicains, «tout comme le sentiment partagé qu’une économie libérale n’est acceptable que si l’Etat conserve son rôle d’intervention», ajoute-t-il. Il a d’ailleurs convié au Conseil franco-mexicain un certain nombre d’intellectuels tels Régis Debray, Jean-Noël Jeanneney ou Henri Loyrette.
Anne Denis
(1) Les Maquiladoras sont des usines d’assemblage de produits importés exonérées de taxes. Ce sont généralement filiales de groupes étrangers, installées dans les zones frontalières avec les Etats-Unis, pour y exporter les produits finis.