Bravant les moqueries de soi-disant intellectuels parisiens, j’ai toujours revendiqué ma passion pour certaines séries américaines. De Colombo à MacGyver, des Sopranos à Friends, de The West Wing à Urgences, d'abord.
Et puis, pour mon plus grand bonheur, sont arrivées des séries de plus haut niveau encore, que je peux regarder sans trop de remords, et dont on a commencé à avoir le droit de dire qu’on y était addict: Dr House, au cynisme rafraîchissant; 24, au sulfureux parfum néoconservateur; Homeland, infiniment plus subtil sur le même terrain.
Et puis vint la géniale The Wire, qui en dit plus sur la société américaine que mille cours de science politique. Et puis encore House of Cards, pas meilleure à mon sens que The West Wing, mais dont il est plus toléré de se reconnaître fan. Et tant d’autres tout aussi passionnantes: Mad Men, The Good Wife, In Treatment (sur la psychanalyse, inspirée d’une série israélienne), Borgen, The Office, et enfin récemment True Detective, un joyau.
On y découvre de formidables histoires, de savoureux dialogues, de magnifiques comédiens, des réalisateurs de haut niveau. De chacune d’elles, on pourrait parler des heures.
Toutes disent beaucoup sur notre temps. Elles constituent aussi un formidable facteur d’accélération de l’occidentalisation du monde. Et sont, comme le football, des sujets planétaires de conversation.
Game of Thrones est incomparable
Et puis vient la plus grande, à l’heure où j’écris, celle qui emporte tout sur son passage, la plus extraordinaire aussi par ce qu’elle dit sur notre temps: Game of Thrones, production de la chaîne américaine HBO, inspirée des romans de R.R. Martin, dont trois saisons ont déjà été diffusées et dont on découvre maintenant la quatrième dans une hystérie planétaire inégalée.
Elle raconte les conflits politiques dans un Moyen-Âge imaginaire, sur les continents de Westeros (Occident) et d’Essos (Orient). On suit d’abord, à la fin d’une période de sécheresse d’une dizaine d’années, le combat de plusieurs familles pour la conquête du Trône de fer dans le Royaume des Sept couronnes. Puis, avec le retour du froid, l’arrivée menaçante de créatures monstrueuses venues du Nord, pendant que la dernière héritière d’une dynastie déchue tente de reprendre le pouvoir.
Si tout cela ressemble à d’autres choses lues ou vues chez J.R.R. Tolkien, Robert Howard ou Clive Lewis, le succès de Game of Thrones est incomparable.
Trois éléments l’expliquent: d’abord, les moyens financiers inédits dont cette série dispose, grâce au caractère mondial de son marché, lui permettent d’avoir des scénaristes, des effets spéciaux, des acteurs de très haut niveau. Ensuite, l’utilisation des réseaux sociaux démultiplie son impact: ainsi, le neuvième épisode de la saison 3 a entraîné plus de messages Twitter qu’aucun autre évènement mondial et une vidéo culte sur YouTube montre les réactions des spectateurs du monde entier la regardant. Au point même que nul ne lutte plus contre ses téléchargements illégaux, par Netflix ou tout autre logiciel, car ils contribuent à sa renommée.
Moyen-Âge flamboyant
Enfin, et sans doute surtout, parce que son scénario renvoie très précisément à ce que notre planète va bientôt vivre: une sorte de nouveau Moyen-Âge, plein de violences, de désordres, de catastrophes naturelles, de seigneurs de la guerre, de querelles de pouvoir aux rebondissements très rapides. Games of Thrones décrit le monde qui s’annonce après la fin de l’Empire américain, un nouveau Moyen-Âge flamboyant où aucun pouvoir n’est stable, où tout devient possible.
On peut refuser la globalisation. On peut vouloir s’enfermer dans son petit univers. Heureusement, ou malheureusement, c’est impossible: le nouveau Moyen-Âge est là. Il nous fascine. Il est plein de belles histoires et de promesses; plein de barbaries aussi. Il nous attend; à nous d’en faire le meilleur usage.
Jacques Attali
Cette chronique a été également publiée par L’Express.