Culture

Frankie Knuckles, parrain de la house, est mort: l'homme qui m'avait appris à danser

Temps de lecture : 3 min

Au carrefour entre la deep house, de la house classique de Chicago et du Garage new-yorkais, Knuckles avait fait le lien tant attendu entre la musique noire des clubs et l'identité gay.

Frankie Knuckles lors d'un DJ set au festival Sonar de Barcelona en 2008. REUTERS/Gustau Nacarino
Frankie Knuckles lors d'un DJ set au festival Sonar de Barcelona en 2008. REUTERS/Gustau Nacarino

Lundi soir, les médias de Chicago ont annoncé le décès à 59 ans du «Godfather de la house» Frankie Knuckles, des suites d'un diabète handicapant qui avait mené à une amputation d'un pied en juillet 2008. Dans l'histoire de la house, désormais bien documentée, Frankie Knuckles était crédité pour son impact majeur dans la naissance de ce courant musical, au milieu des années 80, dans le club The Warehouse de Chicago.

New-Yorkais de cœur, il y était revenu à la fin des années 80 alors que sa carrière explosait et il était courant de le voir se promener dans l'East Village, faisant la tournée des magasins de disques du quartier. C'était assez tétanisant de le voir arriver comme n'importe quel client dans le qui est devenu plus tard un des meilleurs magasins de Manhattan, Dance Tracks. A l'époque, ses disques se trouvaient sur le sol en ciment, quand le magasin n'avait que quelques dizaines de maxis provenant de Chicago. C’est en courant que je m’étais précipité à la recherche d’un dictaphone pour lui demander, mains tremblantes et cœur battant comme un gamin, une interview.

Il y avait de quoi: Frankie Knucles était le DJ le plus important de sa génération. Nous sommes allés dans son appartement, sur East 3th Street. Quelques années plus tard, il remplaçait Junior Vasquez au Sound Factory et la grandeur de ce club lui permettait de déployer l'immensité de son spectre musical. Son passage au Sound Factory Bar, plus intime, n'en fut pas moins excitant.

En 1995, lors d'une nouvelle interview, cette fois à Paris, Frankie m'a fait chialer et ensuite, j'ai été triste de le voir boiter sous les arcades de Corfou, en Grèce, en 1998. Les gens savaient qu'il avait un problème de santé mais personne n'osait vraiment demander, surtout à une époque où le sida avait l'impact que l'on sait.

Son amputation il y a six ans fut tellement chargée de symbole. Les pieds, c'est fait pour marcher, mais c'est surtout fait pour danser. Et Frankie Knuckles nous a pratiquement tout appris.

Né dans le Bronx en 1955, Frankie fut un des élèves du grand DJ Larry Levan, plus tard l'âme du meilleur after hours de Manhattan, le Paradise Garage, qui a donné son nom à ce sous-genre de house new-yorkaise. Ses débuts ont marqué les nuits du célèbre sauna gay The Continental Baths, à l'époque où une jeune Bette Midler y chantait. Il déménage à Chicago en 1977 et invente quasiment au fil des années la house au club the Warehouse, mélangeant dans son mix des samples de classiques de Philly Sound et des boites à rythmes. En 1983, il ouvre son propre club à Chicago, the Power Plant.

A son retour à New York, il se concentre sur la production et la communauté house découvre alors l'étendue de son talent. Frankie avait inventé la house quand elle était brutale, sombre, recouverte de sueur dans les clubs noirs. Soudain, il amène cette house vers la lumière, vers les nuages, sa musique devient opératique et spaciale.

Il fait le lien tant attendu entre la musique noire des clubs et l'identité gay. En collaboration avec David Morales, John Poppo et Satoshi Tomiie, il invente un style unique dans ses Def Mixes: orchestral, hypra-romantique, avec des intros et des breakdowns remplis de violons et de pianos.

Son style est tellement reconnaissable qu'il est sollicité pour remixer les tubes des artistes majeurs de sa génération (Michael Jackson, Chaka Khan, Luther Vandross), mais ses fans le connaissent dès ses premiers maxis, comme le séminal Your Love et Baby Wants To Ride. C'est avec Tears que l'on découvre vraiment l'étendue de sa sensibilité. Frankie Knuckles se positionne alors au carrefour entre la deep house (ses instrumentaux sont souvent ses plus belles productions), la house classique de Chicago et le Garage new-yorkais. Et il l'amène au centre de la pop.

Au début des années 90, alors que la house et la techno explosent à travers le monde, Frankie Knuckles est au-dessus d'une vague. Chacun de ses remixes est un hit. Son classique The Whistle Song est une marque historique dans la production d'alors, un simple instrumental qui marque la spécificité de Frankie: c'est la version house de l'opéra, avec un feeling toujours working class.

C'est un refrain que l'on siffle dans les taxis de New York. Son style est le support de la scène Voguing, très mode, mais très conscient des difficultés sociales de sa communauté. Il devient un parrain, un daddy, le grand frère, celui qui était là au tout début —et même avant. Certains (votre serviteur) achètent les yeux fermés tout ce qu'il produit, l'Angleterre dévore ses disques grâce au succès remarquable de Where Love Lives d'Alison Limerick.

Frankie était une personne adorable mais absolument imprévisible en tant que DJ. Connu pour ses désidératas de prima donna, il pouvait renverser un dancefloor comme le perdre pour toujours. A force de jouer à travers le monde, il a parfois déçu ses fans et il était connu pour bouder derrière les platines, faisant le strict minimum si le son de la salle n'était pas équilibré ou si une limo ne l'attendait pas à son hôtel.

Au sommet de sa carrière en 1995 quand il remixe This Time de Chanté Moore, il est resté jusqu'au dernier moment, celui vers qui la nouvelle génération des artistes house se tournait pour recapturer la perspective sophistiquée de son époque, comme sa collaboration évidente pour Hercules & The Love Affair.

Didier Lestrade

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