France

Cela fait 30 ans que Chirac dirige l'opposition de droite. Et s'il était temps de changer de méthode?

Temps de lecture : 7 min

L'UMP qui ne fait aucun cadeau à la gauche, qui s'oppose systématiquement sur tout, c'est lui. Pourtant, d'autres, dont Benoist Apparu, plaident pour le changement.

Jacques Chirac, le 17 septembre 1986. REUTERS
Jacques Chirac, le 17 septembre 1986. REUTERS

Hollande? Incapable d’incarner la fonction présidentielle. Ayrault? Incapable de tenir ses troupes. Le gouvernement? Incapable d’en finir avec les couacs. A en croire l’UMP et une partie des Français, la France est dirigée par une bande d’incapables. Des amateurs. L’opposition feint la gravité sur les plateaux télé, mais en fait son miel en coulisses, et y voit une bonne occasion de montrer que si elle était aux manettes, la France irait bien mieux.

Pourtant, sondages après sondages, les Français ne font guère confiance à l’UMP pour redresser la barre. Ainsi, selon une récente étude Opinionway, trois quarts des Français estiment que l’UMP remplit mal son rôle d’opposant à François Hollande. Et si, après dix ans de pouvoir ininterrompu, l’UMP avait oublié comment s’opposer? Et si l’UMP était amatrice dans l’opposition, comme le PS absent des responsabilités nationales entre 2002 et 2012 l’est au pouvoir?

En 1981, Jacques Chirac est le chef de la toute nouvelle opposition. Il est à la tête du RPR, et liste quatre principes fondateurs auxquels son parti devra se tenir durant le septennat à venir:

  • «respect des institutions»
  • «opposition sans concession»
  • «nécessité du renouvellement»
  • «opposition constructive et active»

En d’autres termes, l’opposition de droite doit, selon celui qui deviendra chef de l’Etat deux septennats plus tard, être une opposition systématique. La droite ne doit faire aucun cadeau à la gauche au pouvoir.

Jean-Jacques Urvoas, président socialiste de la commission des Lois, voit dans la droite d’aujourd’hui les tenants de la ligne Chirac version 1981. Selon lui, le seul devoir de l’opposition est de mettre en difficulté la majorité. Le plus possible, le plus longtemps possible, et sur n’importe quel sujet:

«Le but d'une opposition à l'Assemblée est d'arriver à destabiliser la majorité. L'opposition sait qu'elle n'est pas majoritaire. Gagner une bataille parlementaire, ça veut dire reprendre la maîtrise du temps. La majorité veut en gagner toujours, le but de l'opposition c'est d'en prendre le plus possible.»

Selon Jean-Jacques Urvoas, la droite ne s’est opposée efficacement à la majorité qu’une seule fois depuis le début du mandat de François Hollande: pendant les débats sur le mariage pour tous. A coups d’amendements, de rappels au règlement, et de (nombreux) dérapages, la droite a réussi, à l’époque, à faire trembler la majorité sur ses bases:

«Je ne porte pas de jugement qualitatif, mais pendant le mariage gay, la droite a maîtrisé le calendrier. Ils ont imposé leurs thèmes, même s'ils ne l'ont pas fait de façon très élégante.»

Pour Jean-Jacques Urvoas, un bon opposant est donc un gros troll. Et le même de citer ceux que l’UMP devrait laisser en première ligne à l’Assemblée, plutôt que de donner la parole à ses têtes d’affiches médiatiques: Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson, Charles de Courson... Des députés qui se sont notamment illustrés pendant les débats sur le mariage gay.

Sous Nicolas Sarkozy, le Parti socialiste réussit quelques coups d’éclats, comme lorsqu’il rejette, à la surprise de tous, la loi Hadopi. Reconnaissons-leur un certain sens de la combine: les socialistes piègent l’UMP en se cachant derrière les rideaux de l’Assemblée, avant de sortir du bois quelques secondes avant le vote, plus nombreux que prévu.

Les députés socialistes font le spectacle, comme lorsqu’ils se tiennent tous sous les yeux du président, entonnant la Marseillaise:


Crise politique à l'assemblée ? par laboitafilms

Et si cette vision de l’opposition systématique était on ne peut plus ringarde?

Le député Benoist Apparu prépare un recueil de textes signé par douze personnalités de l’UMP, et défend une vision plus constructive de l’opposition:

«L’opposition traditionnelle, habituelle, c’est une opposition manichéenne. Par principe, on considère que ce que fait l’autre n’est pas bien. De mon point de vue, le rôle d’une opposition moderne, ce n’est pas de dire “pas bien”. C’est de dire “voilà où est l’alternative”, et de juger en fonction des situations. Sur le pacte de responsabilité, c’était caricatural. Une bonne partie de l’UMP s’y est opposée, alors que ce pacte est à la virgule près la TVA sociale que nous avions votée.»

Pour le député de la Marne, la manière dont l’UMP et le PS pratiquent l’opposition, en plus d’être inefficace, «génère du vote extrême», et expliquerait en partie la montée du Front national:

«Le sentiment que l’on donne, c’est que l’on se préoccupe avant tout des postures que de la réalité du fond. Ça démontre qu’on est beaucoup plus intéressés par la tactique électorale. Ça génère du Front national parce que les gens en ont ras-le-bol des postures.»

Voilà pour la tactique à adopter face au gouvernement. Mais la droite française a bien d’autres problèmes à régler en son sein si elle veut s’opposer efficacement.

C’est qui le chef?

Jean-François Copé, François Fillon, Bruno Le Maire, NKM, Xavier Bertrand: les grandes gueules, toutes aussi ambitieuses les unes que les autres, ne manquent pas dans le parti. Mais, paradoxalement, elles empêchent l’UMP de proposer une alternative crédible.

Le sénateur UMP Roger Karoutchi l’admet sans ambages: l’UMP ne pourra s’opposer efficacement que lorsqu’elle aura un chef, un vrai, incontesté et incontestable, avec 2017 en ligne de mire:

«Très traditionnellement, le patron de l'UMP est le candidat à la présidentielle. On a le chef de l'opposition qui est président de l'UMP. L'écoute ou la vision sont plus faciles quand celui qui préside est le candidat incontesté à la présidence de la République. En ce moment, le 20 heures invite un coup Fillon, un coup Copé. Les gens se disent “mais ils sont combien? C'est qui le candidat?”»

Benoist Apparu dresse le même constat d’une droite déboussolée:

«Dans notre ADN, tout émane du chef: stratégie, idéologie, tactique. Un parti bonapartiste qui n’a pas de chef est mal barré. La difficulté principale que nous avons, c’est que nous n’avons pas de chef évident.»

Avec Jean-François Copé, mal élu et illégitime pour une bonne partie des cadres et de la base militante, avec un ancien Premier ministre qui ne cesse de rappeler sa volonté d’en découdre avec François Hollande, et avec une horde de jeunes loups prêts à tout pour porter les couleurs de la droite en 2017, l’UMP donne, en effet, l’image d’une pétaudière.

C’est la première fois ou presque depuis le début de la Ve République que la droite française se retrouve dans une telle situation: De Gaulle, Giscard, Chirac, les Français de droite ont toujours su à qui s’en remettre... jusqu’en 2012. La droite se retrouve dans l’opposition lorsque François Mitterrand prend les clés de l’Elysée en 1981. Elle est alors divisée en deux grands pôles: l’UDF, dont Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre se disputent le leadership, et le RPR, dirigé par Jacques Chirac. Ce dernier parviendra rapidement à couper les ailes de ses concurrents et à s’imposer comme le leader incontestable de la droite.

Plus tard, lorsque Lionel Jospin devient Premier ministre, la droite connaît bien quelques remous. Michèle Alliot-Marie voit son autorité contestée par les Philippe Seguin, Edouard Balladur ou Charles Pasqua. Mais au final, le boss est le même: Jacques Chirac, qui se représentera en 2002, avec la suite que vous connaissez.

A la question du leadership s’ajoute celle de la synthèse idéologique. Et là encore, le bât blesse.

Les 4 familles de la droite française

Le spécialiste des droites René Rémond comptait dans Les droites en France trois grandes familles au sein de la droite française: légitimiste, orléaniste et bonapartiste. Le politologue Thomas Guénolé, qui publie Petit Guide du Mensonge en politique chez First, en compte plutôt quatre: gaulliste, libérale, moraliste et sécuritaire.

L’UMP actuelle compte dans ses rangs l’incarnation de ces quatre familles: Bruno Le Maire pour la droite gaulliste, Laurent Wauquiez pour la droite libérale, Hervé Mariton pour la droite moraliste et Jean-François Copé pour la droite sécuritaire.

Mais si personne ne parvient à récupérer efficacement et pleinement le leadership de l’UMP, c’est qu’aucun des cadres du parti n’incarne ces quatre familles à la fois, condition indispensable pour souder le parti et le mener vers la victoire. Enfin, personne...

«Le seul qui a réussi à faire ça récemment, rappelle Thomas Guénolé, d’où l’amour délirant que lui voue le peuple de droite, c’est Nicolas Sarkozy.»

L’ancien Président compte pour l’instant un seul adversaire lui disputant le titre de champion des quatre droites: son ancien Premier ministre François Fillon:

«François Fillon vient de la droite gaulliste. Depuis 2007, il occupait également l’espace de la droite libérale sous l’angle de l’obsession de la maîtrise des comptes publics. La droite moraliste, ce sont ses positionnements de plus en plus durs contre le mariage homosexuel. Et il tente également d’incarner la droite sécuritaire quand il met sur le même plan le sectarisme du PS et le FN.»

En voulant restreindre l’adoption pour les couples gays, en appelant à voter entre un candidat PS et un autre FN pour «le moins sectaire» des deux, François Fillon tente d’incarner d’autres familles que celle dans laquelle les militants le rangent. Mais ces tentatives de synthèse, vécues comme des sorties brutales, ont un prix: elles ont brusqué pas mal de ses partisans et François Fillon a dû, bon gré mal gré, s’expliquer.

La question Sarkozy

Reste un problème central pour l’UMP: Nicolas Sakozy. Une partie des cadres entonne l’air messianique du «Sarko reviens», et manque de tourner de l’œil à chaque apparition de l’ancien Président. Mais d’autres croient en leur chance et veulent forcer l’ancien chef de l’Etat à passer, comme tous les autres, par la case primaire. S’il veut revenir, qu’il revienne à la régulière! Et Thomas Guénolé d’estimer que, primaire ou pas, Nicolas Sarkozy doit reprendre les rênes du parti, et bien avant 2017, s’il souhaite installer l’UMP dans l’opposition et préparer la reconquête, sa reconquête.

Problème, Nicolas Sarkozy n’a probablement pas envie de faire ce que François Hollande, puis Martine Aubry, ont dû se coltiner avant 2012 à la tête du PS: ménager les sensibilités, élaborer des accords politiques et motiver les troupes.

S’opposer efficacement, s’unir derrière un chef, faire la synthèse des quatre droites et régler la question Sarkozy: l’UMP a encore du boulot avant 2017. A défaut, elle peut aussi faire le choix d’une opposition classique à la Chirac, trancher la question du leadership avec une primaire et laisser faire les choses. Après tout, le Parti socialiste s’en est très bien sorti ainsi.

Thibaut Pézerat

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