Monde

Syrie: cinq photographies qui symbolisent trois années de guerre

Temps de lecture : 6 min

Le 15 mars 2011, la rue syrienne se soulevait, déclenchant une guerre civile qu'ont couverte les photojournalistes Mads Nissen, Stephen Dock, Sebastiano Tomada, Emin Özmen et Andrew McConnell. Nous leur avons demandé de chacun choisir et commenter une de leurs images, la plus forte.

Des soldats de l'Armée syrienne libre sur le front dans le quartier de Salaheddine, à Alep, le 18 août 2012 © Stephen Dock / Agence VU.
Des soldats de l'Armée syrienne libre sur le front dans le quartier de Salaheddine, à Alep, le 18 août 2012 © Stephen Dock / Agence VU.

C'était il y a trois ans jour pour jour. Inspirée par les soulèvements d'Egypte et de Tunisie, la rue syrienne se soulevait le 15 mars 2011. Depuis, plus de 140.000 Syriens ont déjà trouvé la mort dans ce conflit.

Pendant ces trois années, de nombreux journalistes (rédacteurs, reporters d'images, photographes) se sont succédés pour documenter et comprendre les rouages de cette guerre. Selon Reporters sans frontières, 28 journalistes ont déjà été tués depuis 2011. Quatre journalistes français sont également toujours otages dans ce pays.

Slate a demandé à cinq photojournalistes ayant couvert le conflit ou ses répercussions de choisir une seule de leurs photographies. Celle qui illustre le mieux cette guerre, une image qui nous permette de la comprendre un peu plus. Pas la plus spectaculaire: la plus forte.

Les témoignages de Mads Nissen, Stephen Dock, Sebastiano Tomada, Emin Özmen et Andrew McConnell sont précieux et nous permettent d'aller au-delà de leur photo «brute» pour en comprendre le contexte et l'histoire. «Pendant une guerre, vous pouvez faire deux types importants de photographies: le témoignage et l’émotion. L'image que j'ai choisi touche et vise l'émotion pour tenter de construire un pont entre les Syriens sur cette image et celui qui la regarde», confie Mads Nissen.

Mads Nissen

Camp de réfugiés de Cyber City, Jordanie, le 2 septembre 2013 © Mads Nissen / Panos Pictures. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Ce photojournaliste danois a photographié Jalal Ahmed Aziza dans le camp de réfugiés de «Cyber City», dans le nord de la Jordanie, en septembre 2013. Ce Syrien de 27 ans y vit avec son fils, sa sœur et sa femme enceinte dans une pièce de 10m2. Explications du photographe:

«Ca fait deux ans maintenant qu'il ont ont fui leur maison de Deraa, en Syrie. Il prévoit maintenant de laisser sa famille dans le camp pour retourner en Syrie et lutter contre le régime.

De nombreuses études de l’Onu ont montré que l’exil est extrêmement difficile pour les pères de famille syriens. L’estime qu’ils ont d’eux même en souffre énormément. Des hommes comme Jalal Ahmed Aziza se blâment en permanence d’avoir fui au lieu de se battre et d'exposer ainsi leur vulnérabilité devant leurs enfants.

Pour moi, cette photographie montre la prison de l’attente. L’attente pour la paix. L’attente pour une chance de rentrer dans leur maison, retrouver leur vie. L’attente pour une réponse à la question: Combien de temps? Que puis-je faire?»

Stephen Dock

Des soldats de l'Armée syrienne libre sur le front dans le quartier de Salaheddine, à Alep, le 18 août 2012 © Stephen Dock / Agence VU. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

C'est dans l'entrée d'un immeuble du quartier de Salaheddine, à Alep, en août 2012, que Stephen Dock a réalisé ce cliché. Non loin de la ligne de front, ces membres de l'Armée syrienne libre (ASL) partagent «un moment où tout est étrangement calme», selon le photographe:

«Calme, mais dans lequel l'atmosphère reste pesante. Les visages de ces hommes sont lourds de fatigue, leurs yeux perdus dans le vide. Cette image renvoie en pleine face le poids de cette guerre, de ces destins arrachés. En regardant cette photographie, on entend, on ressent le silence de cet instant. A quoi pense cet homme?

Cette photographie me trouble toujours autant aujourd'hui, des mois après l'avoir réalisée. Le photographe qui ne partage que l'espace d'un instant, cet homme qui reste. Qu'est-il devenu? Est-il toujours vivant?

Au lieu de montrer la destruction matérielle et physique, j'ai voulu souligner les conséquences morales. De combien de temps cet homme aura-t-il besoin pour reprendre une vie normale si la guerre venait à cesser? Cette image montre plus que la guerre, elle dévoile celui qui la vit.»

Sebastiano Tomada

Des soldats de l'Armée syrienne libre tentent de sauver la vie d'un civil gravement blessé par un sniper de l'armée du régime sur une ligne de front d'Alep, le 21 octobre 2012 © Sebastiano Tomada / Sipa Press. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Cette photographie a été prise par le photojournaliste américain Sebastiano Tomada dans une rue d'Alep, en octobre 2012. Elle montre un civil allongé sur le sol, grièvement blessé. A gauche, un homme tente de l'aider:

«L'homme sur le sol est un civil qui voulait traverser une rue d’Alep contrôlée par le régime pour atteindre celle contrôlée par l'Armée syrienne libre. L’homme, qui ne portait pas d’arme, ne constituait une menace pour aucun des deux bords. Mais un sniper de l’armée du régime lui a tiré dans le cou.

Un des soldats de l’Armée syrienne libre [sur la gauche de la photographie] a couru vers l’homme blessé et a tenté de le tirer pour le mettre en sécurité. Le civil a été touché une seconde fois alors qu’il était au sol.

Il a été très difficile d'extraire cet homme car les tirs ne cessaient pas et aucun mur ne pouvait protéger le soldat qui tentait de l’aider. Finalement, le blessé a été mis en sécurité, mais je ne sais pas s'il a survécu.»

Une autre photographie de Sebastiano Tomada a retenu l’attention de certains médias. Elle montre un bébé blessé, assis en train de hurler, les mains pleines de sang. Quelques mois plus tard, ce cliché a gagné le second prix World Press Photo 2013 dans la catégorie «actualité générale».

Emin Özmen

Des rebelles anti-régime tiennent un homme au sol avant son exécution dans la ville de Keferghan, le 31 août 2013 © Emin Özmen / Agence Le Journal. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Emin Özmen a pris cette photographie le 31 août 2013 à Keferghan, une petite ville proche d’Alep, dans le nord de la Syrie. Elle témoigne d'une exécution commise par une milice islamique proche d'al-Qaida:

«C’était la quatrième et dernière exécution de la journée. Les habitants du village observaient la scène en silence avec leurs enfants

Plus tôt dans la journée, trois autres exécutions avaient été perpétrées à Ehtemlat, A'zaz et Savran, d'autres villes du nord de la Syrie. «Ces quatre soldats du régime d’Assad étaient accusés d’être des informateurs, des assassins, des voleurs et d’avoir livré presque dix soldats de l’ASL au régime de Bachar al-Assad», explique-t-il:

«Mais je crois que ni moi, ni mes paroles ne sont assez puissants pour exprimer ce qui s’est passé. Après l’exécution à Ehtemlat, le corps a été mis sur un pick-up et emporté vers un autre village.

L’exécution suivante a eu lieu à A’zaz et la scène s’est répétée plusieurs fois. Les corps étaient transportés de village en village sur les pick-up. Il y a eu une exécution juste après A’zaz, puis Savran, puis Keferghan.

En tant qu'être humain, je n'aurais jamais souhaité voir ce que j'ai vu. Mais en tant que journaliste, j'ai un appareil photo et une responsabilité. J'ai la responsabilité de partager ce que j'ai vu ce jour-là. C'est pourquoi j'ai pris ces images. Je n'étais même plus sûr de quel genre de photographie j’étais en train de réaliser. J’ai lutté pour ne pas baisser l’appareil.

Je crois que si je l’avais fait, je n’aurais pas été capable de vivre cette scène. J’ai seulement tenté d’enregistrer des documents dans mon appareil photo. Je devais exprimer ce que j’avais vu, d’une manière ou d’une autre, même si ce moment était insupportable.»

Andrew McConnell

Une nouvelle mariée danse avec ses invités devant une photographie du président syrien Bachar al-Assad lors de la réception pour son mariage au Cham Palace Hotel, à Damas, le 2 juin 2013 © Andrew McConnell / Panos Pictures. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Cette photographie d'Andrew McConnell montre une mariée qui danse avec ses invités devant une photographie du président syrien Bachar al-Assad. La réception a lieu dans le Cham Palace Hotel à Damas, le 2 juin 2013:

«Malgré la guerre civile toujours en cours en Syrie, Damas, la capitale, peut parfois paraître insensible à l'effusion de sang qui fait rage dans certaines parties du pays et les banlieues de cette ville, d'où d'intenses bombardements peuvent être entendus presque tous les jours. Le week-end, des mariages fastueux se déroulent dans des hôtels du centre-ville, où la haute société se réunit pour des réceptions somptueuses organisées par les familles aisées.»

Fanny Arlandis

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