Société

Le made in France de notre dressing a la couleur du marketing

Temps de lecture : 7 min

Le 19 mars, Canal + diffuse le documentaire de Benjamin Cale, «L'année où j'ai vécu 100% Français». Qu'en est-il dans le domaine de la mode où une vague tricolore s'est emparée de notre garde-robe. Alors que les grands noms du luxe sont de plus en plus rares à fabriquer dans l’hexagone, une nouvelle génération de créateurs en a fait sa signature.

Saint-James
Saint-James

Ringard le béret et la baguette? Ultra branchés, oui! Depuis qu’Arnaud Montebourg a posé en une du Parisien avec une marinière et un blender Moulinex, la France voit la vie en bleu-blanc-rouge. Consommer et fabriquer local, voilà le remède à la crise! Bien dans son Slip Français et ses chaussettes Bleu Forêt, on s’habille désormais dans le Dressing du Cocardier, on ne se déplace plus qu’en Solex made in Saint-Lô, on va au salon des produits MIF* et on vit au rythme des tweets de @BenMadein-France, un jeune qui a tenté, pendant 9 mois, de ne consommer que français.

Son aventure est à découvrir sur Canal + le 19 mars. On ne compte plus les marques qui se targuent du sceau tricolore. La France est fashion (pardon, à la mode). Et son drapeau, d’ordinaire perçu comme le symbole d’un nationalisme (poussiéreux), est devenu furieusement «tendance».

Dans le prêt-à-porter, secteur qui a subi 30 ans de vagues de délocalisations successives, l’engouement du «fabriquer français» est saisissant. Alors que les grands noms du luxe sont de plus en plus rares à défendre nos savoir-faire mis à part d’irréductibles et haut de gamme Zilli, Hermès, Séraphin, Weston ou encore Louis Vuitton, une nouvelle garde s’organise sur le front de la mondialisation.

En effet, depuis quelques années, de jeunes créateurs ont décidé de faire du Made in France leur cheval de bataille. Ils s’appellent Arpenteur, Bleu de Paname, Bleu de Chauffe, Larose, Mon Petit Polo Français, Frog Save the Queens, Bérangère Claire… Ils sont très nombreux et tous revendiquent une fabrication aux quatre coins de l’Hexagone.

Un Argument Marketing

«Ce qui m’a poussé dans cette aventure, c’est autant l’acte militant qu’une envie de faire connaître un savoir-faire qui s’étiole», confie Olivier Espoeys. Depuis plus d'un an, il fait tourner le Dressing du Cocardier, une e-boutique de mode dédiée à nos talents locaux. «Nous, c’est plus la proximité qui nous a motivé, confie Thomas Giorgetti de Bleu de Paname, spécialiste du workwear. On a un regard sur la production, on peut se déplacer dans nos usines en quelques heures sans que ça ne nous coûte un bras.» Marc Asseily de l’Arpenteur, un autre nostalgique des blouses de travail, poursuit: «Ce qu’on aime dans les vêtements justement de fabrication française, c’est cette patte à la fois minimaliste, robuste et traditionnelle.»

Ah, la «patte» française! La fameuse «french touch» qui fait tant fantasmer le monde et, surtout, tant vendre. Ces jeunes créateurs, aussi passionnés soient-ils, ne sont pas non plus philanthropes: ils reconnaissent que le label tricolore est un formidable argument marketing, notamment à l’étranger où le pays jouit encore d’une aura toute particulière. L’Arpenteur réalise 95 % de son chiffre à l’export et les sacs millavois Bleu de Chauffe, 60%.

Quant aux marques plus historiques, qui aurait dit que la Michael de Paraboot ferait un carton au Japon (+ 30 % chaque année) et que les pulls de marin Saint James se retrouveraient sur Bleecker Street, la rue high fashion de New York ? Authenticité, qualité, culture… à chaque achat, c’est un petit bout de la France qu’on emporte avec soi. Enfin, que l’on croit emporter…

Car, si certaines maisons s’efforcent de jouer le jeu de la transparence sur l’origine de leurs vêtements, d’autres entretiennent un flou artistique qui trompe le consommateur et, au final, décrédibilise la notion. Bien sûr, le «fabriqué en France» l’est peu souvent à 100%, rien qu’avec les matières premières que nous devons importer (coton, laine, etc.) et nos filatures qui se font de plus en plus rares. Mais de nombreuses marques vont plus loin et profitent d’un vide juridique sur les contours de l’appellation, pour en abuser allégrement.

Attention au «Francewashing»

On ne parle pas ici de ces grandes maisons françaises, qui font réaliser les étapes de fabrication les plus nécessiteuses de main d’oeuvre dans des pays à bas coût salarial. Remborder des carrés de soie ou coudre des étiquettes à Madagascar? Quelle drôle d’idée! Non, ici, il s’agit de ces marques qui délocalisent la plus grande partie de leur production mais qui ne communiquent que sur celle – infime – réalisée en France généralement dans une usine historique qui perpétue depuis des siècles et des siècles l’héritage d’un savoir faire ancestral (Amen!).

C’est tout juste si on ne nous sort pas deux vieilles qui tricotent pour faire plus crédible. Sans compter les fanions et froufrou tricolores qui ornent les produits et leur packaging… mieux qu’un 14 Juillet! Petit Bateau qui «nous remercie mais ne souhaite pas participer au sujet», serait de celles-là avec, paraît-il, 20% de production en France et 80% au Maghreb**.

Rappelons au passage qu’Armor-Lux, la marque de la marinière du ministre socialiste, affiche, quant à elle, un ratio de 40 %/60 %. De son côté, le Léon, «petite marque parisienne contestataire à la cocarde inversée» (sic.) surfe sur les clichés franchouillards avec des sweats imprimés «Purée Jambon», «Grande Gueule», «Cassou Laid», «Rockfort»… Des baguettes de pain en guise de logo, une étiquette bleu-blanc-rouge et une fabrication… népalaise. Cherchez l’erreur.

Et la marque France Espadrille? Serait-il totalement aberrant qu’avec un nom pareil, on s’attende à ce que la fabrication soit faite en France? Pourtant, elle est bangladaise.

Difficile d’y voir clair dans ce «Francewashing» qui n’a de tricolore que l’étiquette. Et ne comptez pas sur la loi pour vous aider. Il n’existe aucune définition juridique du Made in France. Mieux, au nom de la libre circulation des marchandises, il n’est plus obligatoire dans l’Union européenne de mentionner l’origine des produits (sauf dans le domaine agroalimentaire). Le marquage est donc facultatif et répond à des règles différentes selon les produits. Un vrai casse-tête.

Pour les vêtements qui n’entrent pas dans les définitions, les douanes s’intéresseront au lieu de « leur dernière transformation substantielle ». Autant dire, qu’il est impossible de savoir ce qui se cache réellement derrière un marquage bleu-blanc-rouge. Pour offrir une information honnête aux consommateurs, le label Origine France Garantie est né, il y a deux ans, à l’initiative de l’association Pro France.

Ce sont les entreprises qui doivent en faire la demande et qui financent l’audit. Il repose sur deux critères : d’une part, la valeur ajoutée dont 50 % doit être acquis en France et, d’autre part, les caractéristiques essentielles du produit obligatoirement réalisées sur le territoire. On compte une dizaine de maisons de mode dont les plus connues – et moins poussiéreuses – sont Mon Petit Polo Français, les bérets Laulhère et les costumes Smuggler. Un peu comme avec les vêtements bio, le Made in France certifié manquerait-il de glamour ?

Une prise de conscience ?

Quoi qu’il en soit, Smuggler, qui habille aussi le ministre du Redressement productif, appartient à France Confection, la dernière unité de production de costumes de l’Hexagone. Si les vôtres sont estampillés «made in Limoges», il y a de forte chance qu’ils soient fabriqués par cette entreprise. Pour son patron Gilles Attaf, bientôt décoré de l’ordre national du Mérite en raison de son engagement pour la France (!), «le label a une vraie légitimité dans le no man’s land du Made in France. Il lutte contre ceux qui blousent. Bientôt, la Marque France devrait aller plus loin encore en permettant, grâce à des codes barres, d’accéder à la traçabilité du produit.»

En attendant, les Français qui ont toujours eu tendance à snober la France, commencent à se réveiller. Non, on ne peut pas produire ailleurs et maintenir nos emplois. «Même les CSP+ sentent, qu’eux aussi, ils peuvent être délocalisés», ajoute Gilles Attaf. Il y aurait une vraie prise de conscience. D’un côté, la crise; de l’autre, les scandales éthiques et les vêtements toxiques au Bangladesh et en Chine : les Français sont de plus en plus nombreux à accorder de l’importance à l’origine de leurs vêtements. Plus de 9 sur 10 estiment qu’acheter français est synonyme de qualité et de respect des normes sociales.

Seul hic, le prix. Le Made in France est aussi synonyme de «pas donné». Normal, les coûts de production sont élevés. «Le prix ne se limite pas à l’étiquette, s’énerve Florence Delahaye, commissaire général du Salon MIF. Il se limite à la valeur d’usage. Il n’y a pas de père Noël, le pas cher a un prix. Il a un coût sur la planète, sur la santé, sur nos emplois!» Et au ministre (toujours le même) d’ajouter: «On pense que c’est moins cher d’acheter low cost, mais c’est 40 fois plus jetable. » 100 euros une chemise en moyenne, 700, un costume, 250, un pull, 300, des chaussures…

Certes, ce sont des produits qui vont durer dans le temps et que nous pourrons réparer. Le service, c’est aussi l’avantage de la proximité de fabrication. Mais, à ce prix-là, n’allons-nous pas privilégier la réelle qualité du savoir-faire plutôt que l’acte citoyen? En clair, n’allons-nous pas préférer un costume italien parfaitement coupé dans un sublime tissu dont seul la péninsule a le secret ? Au Portugal ou en Espagne, le coût du travail est moins cher qu’en France mais cela ne veut pas dire qu’ils fabriquent moins bien que nous. Si?

N’y a t-il pas une vraie tradition de la chaussure dans ces pays-là ? Pour Luc Lesenecal, le patron de Saint James, «le Made in France ne suffit pas. Il n’a de l’avenir que dans la mesure où il présente une différence: de la haute qualité, un savoir-faire ancré ou innovant». Et si le véritable enjeu du Made in France était d’en faire une vraie filière d’exception ? De fabriquer, pas seulement bien, mais encore mieux?

Hélène Claudel

* Salon Made in France, les 14, 15 et 16 novembre 2014
** Made in France, une marque nous mène en bateau, UFC Que Choisir, 30 janvier 2013.

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