France

Une vie politique dérisoire ne peut que nourrir la dérision médiatique

Temps de lecture : 4 min

Des enregistrements de Buisson à la défense de Copé, les derniers événements sont tellement ridicules qu'ils confortent ceux pour qui Les Guignols décryptent le mieux l'actualité politique.

Patrick Buisson et Nicolas Sarkozy, le 4 mai 2012 aux Sables d'Olonne.  REUTERS/Philippe Wojazer
Patrick Buisson et Nicolas Sarkozy, le 4 mai 2012 aux Sables d'Olonne. REUTERS/Philippe Wojazer

Les caricatures sont parfois dépassées par les réalités. A l’heure où le grotesque tend à dominer la scène politique française, la dérision médiatique finit par ne plus savoir où donner de la tête. La chronique des piètres événements courants devient alors une redoutable concurrence pour des satiristes qui n’auraient jamais imaginé pareilles cocasseries.

Nicolas Sarkozy se plaint d’être moins riche que son épouse, ses proches se préoccupent des pressions à exercer sur la justice, son principal conseiller politique se définit comme «fils d’un camelot du roi» et «monarchiste» qui n’en a «rien à foutre» de l’intégration: les enregistrements, clandestins mais désormais publiés, de Patrick Buisson donnent un parfum de vérité aux plus noirs procès d’intention.

Les contempteurs attitrés du Sarkozistan se demandaient parfois, au fond d’eux-mêmes, si leurs propres accusations n’étaient pas quelque peu exagérées. «Et voilà que surgissent des poubelles des dialogues si directement démarqués de nos fantasmes, qu'ils semblent avoir été co-écrits par Pétillon, et les Guignols de Canal+», s’exclame Daniel Schneidermann.

Une identique et troublante impression d’écho entre le réel et la caricature se dégage de l’outrancière défense adoptée par Jean-François Copé face aux révélations sur les pratiques douteuses de son entourage. Sa marionnette aurait-elle eu le culot d’assimiler les critiques de presse dont il est l’objet aux pratiques mortifères de «l’Inquisition»? Les scénaristes des Guignols auraient-ils osé inventer une proposition de «transparence»... sous scellés?

Les lunettes de la dérision

Le ridicule achevé de ces épisodes récents, auxquels on pourrait rajouter la comédie du retrait des députés UMP après le rappel du passé d’extrême droite de l’un des leurs, Claude Goasguen, a de quoi désespérer l’éditorialiste sérieux et réjouir l’amuseur professionnel. Par les temps qui courent, la scène politique française finit par être mieux éclairée par Nicolas Canteloup que par Alain Duhamel.

Les humoristes «prennent de plus en plus souvent la place» des journalistes, observe Dominique Chivot. Ce journaliste catholique ajoute:

«L’opinion absout les premiers de toute complaisance, alors qu’elle a toujours tendance à soupçonner les journalistes de connivence envers les pouvoirs.»

Parions que les jeunes générations, peu consommatrices de médias traditionnels comme chacun sait, voient de plus en plus la politique avec les lunettes de la dérision. Pour beaucoup, ce sont les Guignols de Canal+ qui dévoilent la vérité cachée sur les dirigeants de ce monde, leurs frasques comme leurs impostures. Ce serait là, et nulle part ailleurs, que l’actualité serait décryptée sans hypocrisie ni artifice...

Eviction du réel

Il est vrai que le réalisme de la scène parodique de «PPD» est assez impressionnante. Le contraste entre le Bébête Show diffusé sur TF1 dans les années 1980 et les Guignols de l’info est ici frappant.

Comme le souligne la spécialiste en communication Marlène Coulomb-Gully, le premier «fonctionne sur l’opposition manifeste de deux univers bien distincts, celui de la réalité et celui de la fiction parodique» tandis que le second relève «davantage du pastiche».

Les «Bébêtes» sont des animaux qui font rire innocemment alors que les Guignols sont des marionnettes humaines qui suscitent le ricanement entendu. Ils offrent le «spectacle d’une hyperréalité coupée de toute nécessité représentative parce que l’image en constitue l’origine et le point d’aboutissement», écrit encore Marlène Coulomb-Gully. Le triangle «individu-réel-média» de l’ordre classique de la représentation cède la place au couple «spectateur-média» au prix d’une «éviction du réel».

Insolence ambiguë

Les effets politiques de cette hégémonie d’une lecture dérisoire de la politique sont pour le moins ambivalents. En première analyse, les sarcasmes médiatiques relèvent d’une saine insolence, elle-même greffée sur une longue tradition historique française de moquerie des puissants.

«Dans un pays qui a pratiqué les libelles à l’encontre de ses monarques, ceux qui dérident aujourd’hui les auditeurs s’apparentent aux hérauts d’antan des frondes populaires, aux échotiers d’un peuple rebelle avec ses élites», admet Dominique Chivot. «La dérision socio-politique suit les mêmes logiques que le carnaval en son temps, elle assure un renversement symbolique et temporaire de l’ordre politique, elle possède des vertus révolutionnaires indéniables», ajoute Arnaud Mercier.

Ce spécialiste de l’information s’empresse toutefois d’ajouter qu’elle «ritualise aussi la contestation». C’est le moins qu’on puisse dire. Le flot des ricanements en tous genres produit assurément plus de résignation et de fatalisme que d’élans subversifs. On sort d’une séance des Guignols gondolé, accablé mais aussi convaincu que la pourriture du monde d’en haut ne vaut qu’un immense éclat de rire ou un simple haussement d’épaules.

C’est sans doute Albert Cossery qui a le mieux mis en scène l’ambiguïté de la dérision politique. Dans son roman La Violence et la dérision, l’écrivain égyptien nous régale des exploits d’un groupe de contestataires, oeuvrant dans une ville du Proche-Orient, qui ridiculise le dictateur par des campagnes d’adulation parodiques. Pour autant, cet auteur ne manifeste aucune illusion dans quelque action politique que ce soit. Son oeuvre plaide, au rebours, pour une superbe et moqueuse indifférence du peuple à l’endroit des gouvernants.

Règne de l’insignifiance

La politique de la dérision ne mène pas seulement à l’impuissance. Elle a aussi des effets délétères sur la société elle-même. Déplorant le «politiquement ricanant», Alain Finkielkraut, qui ne prise guère «l’esprit Canal», considère que «le rire contemporain ne relève plus de l’humour» mais qu’il «est, entre l’injure et le crachat, une forme d’incivilité».

A tout le moins, la dérision systématique et tous azimuts s’abîme dans l’insignifiance au prix de dangereuses équivalences. Paul Yonnet n’avait pas tort de fustiger ce comique moderne qui consiste à être «cynique, amoral, grossier, ordurier, anticlérical, de s’avouer cruel, alcoolique, obsédé sexuel (...) de se moquer des juifs comme des paysans normands». Pour l’historien Bertrand Lemonnier, «c’est le conformisme de l’irrévérence, la banalisation du rire, aussi provocateur soit-il, et d’une certaine façon aussi l’entrée en dérision d’une société en plein vide critique».

Une chose est sûre: nos comiques d’aujourd’hui ne se sentent pas submergés par un sentiment de responsabilité sociale. Après sa tentative avortée de candidature présidentielle, Coluche avait créé les Restaurants du cœur en 1985. C’était il y a près de trente ans.

Eric Dupin

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