Monde

Les limites de la Chinafrique

Temps de lecture : 3 min

Les émeutes et autres "colères populaires" se multiplient contre les entreprises et les commerçants chinois

Le président chinois Hu Jintao et son homologue tanzanien Jalaya Kkwete le 15 février   STR News/Reuters
Le président chinois Hu Jintao et son homologue tanzanien Jalaya Kkwete le 15 février STR News/Reuters

Sa première tournée à l'étranger, le président chinois Hu Jintao l'a réservée cette année à l'Afrique. Commencée le 12 février à Bamako -en plein pré carré français- et achevée le 17 février à l'ïle Maurice, cette visite est intervenue à un moment où la Chine affirme sa toute puissance sur ce continent. Les échanges commerciaux de Pékin avec l'Afrique auraient, selon les autorités chinoises, dépassé les 106 milliards de dollars en 2008. Une progression de plus de 40 % par rapport à l'année passée. Et un nouveau record. Les échanges entre l'Afrique et la Chine ont été multipliés par dix depuis 2000.

Cette montée en puissance inquiète les Occidentaux qui accusent l'empire du milieu de s'intéresser uniquement aux matières premières. Lors de sa précédente tournée, Hu Jintao s'était d'ailleurs rendu essentiellement dans des pays exportateurs de pétrole, notamment au Gabon, l'un des pays où la Chine est le mieux implantée. Cette fois, il a bien pris soin d'éviter la piste du « naphte ». Il a visité le Sénégal, le Mali, la Tanzanie et l'île Maurice, pays parmi les moins bien dotés en ressources naturelles.

Cette stratégie présente deux avantages : montrer que la Chine ne s'intéresse pas uniquement aux matières premières -Même si le Mali est le troisième producteur d'or en Afrique et que le Sénégal dispose d'importantes réserves en fer-, mais aussi raffermir des liens politiques. Pékin convoite les voix des Etats africains dans les instances internationales. D'autre part, Pékin montre aux Occidentaux qu'ils n'ont plus de chasses gardées en Afrique. Jusqu'alors la France était le principal partenaire de Dakar et Bamako.

La montée en puissance de Pékin est si fulgurante que les observateurs n'hésitent plus à parler d'une Chinafrique remplaçant une Françafrique à l'agonie. Partout sur le continent, les produits chinois bons marchés prennent le pas sur ceux de l'Occident. Les contrats de construction sont trustés par des entreprises chinoises qui pratiquent des tarifs très inférieurs à ceux de leurs rivales. L'Afrique noire devrait compter, selon l'ONU, 1,7 milliard d'habitants en 2050. Un immense marché en perspective.

Pékin s'est récemment rapproché de Kinshasa, alors que le RDC avait plutôt l'habitude de faire des affaires avec les Européens ou les Américains. Pékin exploite des mines dans ce pays considéré comme un « scandale géologique ». En échange, elle promet au régime de Kabila de doter le pays en routes. Il est vrai que cette puissance, contrairement à ses rivales, ne demande pas des gages en matière de bonne gestion ou de respect des droits de l'homme. D'où l'établissement de liens solides avec quelques-uns des régimes les plus liberticides d'Afrique : du Soudan à la RDC en passant par le Zimbabwe ou l'Angola.

Au sein du conseil de sécurité de l'ONU, Pékin a fait preuve d'une belle constance pour empêcher que des sanctions soient prises contre ses amis sur le continent noir.

Pourtant la Chine n'est pas à l'abri de revers de fortune : il n'est pas sûr que Robert Mugabe soit un bon investissement à long terme. Agé de quatre-vingt cinq ans, à la tête d'un régime à bout de souffle, il devrait rapidement passer le relais. Et ses successeurs risquent d'être moins bien disposés à l'égard d'une puissance qui l'a aidé à se maintenir aussi longtemps au pouvoir.

Près de la moitié des pays africains se démocratise, bon an mal an : l'opinion publique et la société civile font de plus en plus entendre leurs voix. Et elles sont fréquemment hostiles à la mise en place d'une chinafrique. Lors des récentes élections zambiennes, l'opposition, qui a failli l'emporter a développé un discours très antichinois. Elle accuse les entrepreneurs chinois de ne pas respecter les droits syndicaux et de traiter avec férocité les Zambiens dans les mines qu'ils exploitent.
Ailleurs, en Afrique, les griefs s'accumulent. Les Chinois sont aussi suspectés de ne pas offrir d'emploi à la main d'œuvre locale. Une accusation qui porte d'autant plus dans des pays où le taux de chômage peut dépasser les 80 %.

D'autre part, contrairement aux Occidentaux, les Chinois sont perçus comme une menace pour tous les emplois. Des émeutes ont récemment éclaté sur des marchés africains, notamment à Kinshasa, parce que des Chinoises vendaient des beignets où d'autres produits qui sont d'ordinaire l'apanage des populations locales. Même la concurrence des prostituées venues d'Asie suscite l'inquiétude. En outre, les commerçants africains ont l'impression que les « Chinois ne veulent pas se contenter d'une part du gâteau, mais qu'ils veulent le manger tout entier ». De Cotonou à Lomé, ils créent leurs propres marchés, cassent les prix. Et des commerçants locaux autrefois tout puissants se retrouvent sur la paille. Dans des régimes démocratiques ou en voie de démocratisation, les dirigeants sont obligés de tenir compte de ces « colères populaires ».

Mêmes les régimes autoritaires comme l'Angola, où les Chinois sont particulièrement bien implantés, essaient de limiter le poids de Pékin. « Tout le monde s'affole devant l'influence croissante de la Chine en Angola, observe Lucy Corkin, une analyste du cabinet sud-africain Project for China studies, interviewée par le Financial Times. Mais on n'a pas suffisamment confiance dans la capacité des Angolais à gérer leurs propres affaires. Le pays est conscient du danger de mettre tous ses œufs dans le même panier et il veut tirer de la Chine le meilleur parti possible, sans pour autant miser sur un seul partenaire économique ».

Avec la compétition continentale entre la Chine et l'Occident, les Africains ont compris qu'ils seront de plus en plus courtisés. Et ils sont bien décidés à faire monter les enchères.

Pierre Malet

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