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Ioulia Timochenko peut-elle sortir l'Ukraine de la crise?

Temps de lecture : 4 min

L'icône de la Révolution orange, sortie de prison samedi, n'est pas Mandela. Les zones d'ombre de son passé ne plaident pas en sa faveur.

Ioulia Timochenko, samedi, place de l'Indépendance à Kiev. REUTERS/Yannis Behrakis
Ioulia Timochenko, samedi, place de l'Indépendance à Kiev. REUTERS/Yannis Behrakis

Samedi, Ioulia Timochenko, héroïne de «Révolution orange» et pour beaucoup d’opposants martyre de l’opposition ukrainienne, est sortie de prison. Cette liberté, Ioulia Timochenko la doit à la destitution —et à la fuite— de Viktor Ianoukovitch ainsi qu’une décision des députés.

Samedi soir, c’est en femme libre qu’elle a pu s’adresser à plusieurs milliers de personnes rassemblées sur la place de l’Indépendance. Les médias occidentaux la dépeignent en icône. Certains veulent même y voir une ressemblance avec la sortie de prison de Nelson Mandela. Un rapprochement auquel l’ancienne Premier ministre tient manifestement beaucoup.

Comme le souligne Christian Caryl sur Foreign Policy, il y a bien des rapprochements. Comme le leader sud-africain défunt, Timochenko est devenue une personnalité hors du commun, le symbole des espoirs et des rêves d'un mouvement politique. La fin de l’apartheid pour l’un, sortir l'Ukraine de l'orbite de la Russie pour l’autre.

Comme Mandela a tenu à se rendre dans un stade de Soweto pour y tenir le discours fondateur de sa future politique, Timochenko s’est rendu immédiatement de son hôpital de la prison de la Maidan, la place à Kiev qui est devenue l'épicentre du mouvement de protestation.

Dans un discours passionné, elle a loué le mouvement de protestation, assise dans un fauteuil roulant, paraissant émue, souvent au bord des larmes. «C'est votre victoire. Aucun homme politique, aucun diplomate n’aurait pu faire ce vous avez fait. Vous avez battu le cancer de ce pays.»

Mais il y a un problème. Ioulia Timochenko n’est pas Nelson Mandela. Si l’instinct politique a conduit l’ancien président sud-africain sur les chemins de l’unité et du compromis, ce n’est pas le cas de Timochenko, dont le parcours politique porte la marque de la confrontation.

Timochenko montre les traces des mauvais traitements qu'on lui aurait infligé dans la prison de Kharkiv. Photo reçu par Reuters en septembre 2012.

Et si les médias européens trouvent dans les tresses blondes de Timochenko le visage et le symbole de la révolte de ces derniers mois à Kiev, il est loin d’être certain que les manifestants, sur la ligne de front depuis trois mois, se jettent dans les bras de l’ancienne Premier ministre. Alors que sa libération a été saluée comme une grande victoire pour l'opposition à Ianoukovitch, il n'y a aucune garantie que ce sentiment se traduise à l’avenir par un soutien politique pour Timochenko. Selon un journaliste présent sur le Maidan, elle n'a d’ailleurs pas reçu l'accueil héroïque qu’elle espérait.

Cela a probablement beaucoup à voir avec l'héritage politique extrêmement complexe de Timochenko en Ukraine. Quand les Ukrainiens ont envahi les rues de Kiev en 2004 pour protester contre le résultat des élections présidentielles de cette année, Timochenko est devenue l'une des icônes de ce qui allait être connu comme la Révolution Orange.

Il y a dix ans, les Ukrainiens ont —déjà— évincé Ianoukovitch et installé Viktor Iouchtchenko à sa place, avec Timochenko comme son premier ministre. Mais une fois au pouvoir, le duo n’a cessé de se disputer et de gaspiller la promesse de la révolution orange. Dix ans plus tard, l'économie de l'Ukraine reste fragile, atone, et franchement en deçà du dynamique voisin polonais.

Février 2005, avec Viktor Iouchtchenko, alors qu'elle vient d'être nommée Premier ministre. REUTERS/Gleb Garanich

Après un mandat tumultueux comme Premier ministre, Timochenko a tenté de gagner la présidence en 2010. Son adversaire n'était autre que Ianoukovitch, l'homme tout juste viré. Même si elle est devenue une superstar politique désormais connu simplement comme «Julia», elle a perdu face à Ianoukovitch, lors d'une élection qui a été largement décrite comme libre et juste.

Dans les prochains jours, Timochenko sera probablement proclamée sauveur de l'Ukraine, femme politique capable de réunir le pays. Ce qu’elle a échoué à faire quand elle en a eu la possibilité en 2010, pourra-t-elle le faire en 2014?

Certes, «Ioulia», qui se voit comme la réincarnation d'Evita Peron et ne cache pas son admiration pour Margaret Thatcher, a du style. Le mélange vêtements de la vie de campagne ukrainienne, look de saint médiéval, traits austères, couronne de cheveux et rhétorique enflammée fait d’elle un des politiciens les plus talentueux dans le monde d'aujourd'hui.

Mais derrière ce vernis se cache une femme politique cruelle, avide, maladroitement cynique. Au cours de sa campagne présidentielle de 2010, elle gonfle les craintes d'une épidémie de grippe porcine afin d'accroître ses chances. Ses discours contre la corruption de l’administration Ianoukovitch —bien réelle, il suffit de regarder les photos prises hier dans sa résidence— ne doivent et ne devront pas faire oublier que durant les années 1990, elle aussi a accumulé une grande richesse en tant que dirigeant de la filière de l’énergie, au cours de la période soudainement déréglementé qui a immédiatement suivi la chute de l'Union soviétique. Une grande partie de cette richesse serait amassés dans des comptes bancaires à l'étranger.

A Londres en 2007. REUTERS/Alexander Prokopenko/Pool

Ces derniers jours, on a beaucoup parlé de la division géographique de l'Ukraine, entre un Est russe un Ouest pro-Europe. Si cette division est loin de tout expliquer les problèmes de l’Ukraine, Timochenko est toutefois emblématique de la division linguistique du pays. Né russophone dans l’Est de l'Ukraine, Ioulia Timochenko a dû apprendre à parler ukrainien et refuse désormais d'utiliser la langue russe.

Avec une élection présidentielle fixée au 25 mai, elle a maintenant la chance de racheter cet héritage politique. Pour ce faire, elle devra surmonter une série de divisions et d'énormes obstacles politiques, au premier rang desquels son rival de 2010, celui qui l’a jetée en prison il y a deux ans et demi. Jusqu'à présent, Viktor Ianoukovitch veut croire qu’il est encore là : «Je n'ai pas l'intention de quitter le pays. Je n'ai pas l'intention de démissionner. Je suis un président légitimement élu», a-t-il dit samedi, après avoir quitté Kiev et s’être réfugié non loin de la frontière russe.

Timochenko réussira-t-elle à éviter l'impasse dans laquelle pourrait avancer l’Ukraine et combler le fossé entre l'est et à l'ouest? Peut-être. Mais il n'y a rien dans son curriculum vitae politique qui indique comment elle pourrait le faire.

Christian Caryl

(Traduit et adapté par Johan Hufnagel)

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