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Le pape François va-t-il entrer en communion avec les divorcés remariés?

Temps de lecture : 7 min

L'Eglise se penche sur un véritable casse-tête: le mariage est strictement indissoluble, mais l’augmentation du nombre de divorces, y compris dans ses rangs, rend insupportable l’attitude discriminatoire à l’égard des divorcés et remariés. Mais un changement d'attitude serait fort surprenant.

Mariages à Lisbonne en 2009. REUTERS/Nacho Doce
Mariages à Lisbonne en 2009. REUTERS/Nacho Doce

La situation des personnes divorcées et remariées dans l’Eglise est devenue le test principal de la politique de réformes voulue et engagée par le pape François, élu il y aura un an le 13 mars. L’Eglise condamne depuis toujours le divorce et elle ne reviendra pas sur cette condamnation. Mais les divorcés non remariés continuent d’y être accueillis, baptisés, admis à la table de communion. En effet, pour l’Eglise, malgré le divorce, le mariage religieux reste «valide».

Comme est toujours valide le baptême reçu dans l’enfance par celui qui, adulte, ne pratique plus, ou la prêtrise pour un homme qui rompt son engagement sacerdotal et se marie civilement. Un sacrement, donné par Dieu, ne peut jamais être retiré.

Aux yeux de l’Eglise, les divorcés restent donc «mariés» jusqu’à leur mort. Seuls ne peuvent se remarier religieusement que les veufs, les veuves ou les mariés en premières noces civiles. Contracter de son vivant une nouvelle union religieuse, vivre de manière stable avec un autre conjoint, est strictement interdit. Car c’est vivre de manière «adultère» et donc contrevenir à la loi de Dieu, avec les conséquences qui en découlent.

Les divorcés qui se sont remariés peuvent évidemment continuer de fréquenter l’église et participer à la messe. Contrairement à ce qu’on dit souvent, ils ne sont pas exclus de l’Eglise, encore moins «excommuniés» dans les formes. Mais ils sont interdits chaque dimanche du banc de la communion, ce qui est vécu douloureusement par des croyants fervents, surtout celles ou ceux qui ont été victimes –et non responsables– de leur divorce (abandon conjugal) et celles et ceux qui ne se sentent pas capables de vivre dans les conditions de chasteté alors exigées par leur Eglise.

Cette situation injuste et discriminatoire ne peut plus durer. L’augmentation du nombre des divorces (129.802 en 2011, soit 46,2 divorces pour 100 mariages) n’épargne pas les couples catholiques. Eux aussi connaissent les échecs, les séparations, les naissances hors mariages, la nécessité d’élever seul des enfants. Il y a belle lurette que le modèle familial «un homme, une femme, un enfant», auquel s’accrochent par exemple les partisans de la Manif pour tous, a volé en éclats y compris dans les rangs catholiques.

En outre, cette discipline de l’Eglise sur les divorcés-remariés est de moins en moins appliquée: des prêtres ferment les yeux au moment de donner la communion à leurs fidèles.

L'indissolubilité, parole d'évangile

La question des divorcés-remariés est devenue la plus symbolique de l’inadaptation de la doctrine catholique aux évolutions de la société moderne. C’est pourquoi le pape a décidé de s’y attaquer. Quelque 200 cardinaux vont se réunir en «consistoire», les 20 et 21 février, pour en débattre pour la première fois. Un «synode» d’évêques (assemblée consultative) aura même lieu en octobre, au Vatican, portant sur l’ensemble des questions disputées à propos de la famille.

Un questionnaire, précis et explosif, a été distribué, par le canal des conférences d’évêques, aux fidèles du monde entier, ce qui est une démarche inédite. Il passe en revue tous les sujets de divorce entre la morale sexuelle et la société moderne (contraception, divorce, avortement, unions de même sexe). Mais c’est la situation faite par l’Eglise aux divorcés-remariés qui suscite le plus de passion. La controverse entre conservateurs et libéraux va prendre ces prochains mois une nouvelle ampleur.

Quelle est la marge des autorités de l’Eglise pour revenir sur l’une de ses disciplines les plus fondamentales et sacrées, ancrée dans la lettre même des Evangiles. Pour elles, le mariage est strictement indissoluble. Il en va de la volonté même de Dieu et de la parole de Jésus-Christ:

«Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni

Pour l’Eglise, le divorce est «une offense grave à la loi naturelle», «une injure faite à l’alliance de salut dont le mariage sacramentel est le signe». Il introduit «un désordre immoral dans la cellule familiale et dans la société» (Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 2384-2386).

Le fait de contracter un nouveau mariage, même reconnu par la seule loi civile, «ajoute à la gravité de la rupture». Le conjoint remarié se trouve «en situation d’adultère public et permanent». Il ne peut accéder au sacrement de communion, ni prendre des responsabilités dans son Eglise, et il ne peut recevoir le pardon de ses péchés (sacrement de confession) que s’il s’engage à vivre «dans une continence complète».

On voit mal l’Eglise renoncer demain à cet interdit du sacrement et au principe absolu de l’indissolubilité du mariage, qui puise sa justification dans la lettre de la Bible, à une époque même où l’institution du mariage est de plus en plus menacée et déstabilisée.

Un sentiment de révolte et un comportement impitoyable

Les premières réponses aux 39 questions posées par le Vatican, en prévision du synode d’octobre sur la famille, ont été publiées dans certains pays. Ils montrent déjà un sentiment de révolte qui annonce bien des empoignades à venir. En Allemagne, l’impression générale est que l’Eglise a «un comportement impitoyable» à l’égard des divorcés-remariés. Les évêques font état d’une pratique «diffuse» de réadmission à la communion, au cas par cas, après entretien avec un prêtre. Certains d’entre eux admettent que ce serait la voie à explorer pour la suite. Il y a quelques mois déjà, le diocèse de Fribourg avait publié des «orientations pastorales» autorisant, sous certaines conditions, un régime moins sévère et un accès des divorcés-remariés à la pleine communion.

Conformément aux sondages, les premières réponses à ce questionnaire –en Allemagne comme en France– enregistrent une incompréhension croissante des croyants et des non-croyants pour une morale sexuelle «éloignée de la vie réelle», résumée, le plus souvent, à «une morale de l’interdit». Les affirmations de l’Eglise catholique sur les rapports sexuels avant le mariage (toujours désavoués), sur l’homosexualité, sur les divorcés-remariés et sur la contraception (limitée aux moyens naturels) ne rencontrent que peu d’adhésion, voire sont rejetées en bloc. L’Eglise est invitée à mieux prendre en compte les difficultés et situations d‘échec rencontrées par les couples et les familles.

Comment en sortir? En mettant ce sujet polémique à l’ordre du jour, cette semaine, d’un consistoire de cardinaux et, en octobre, d’un grand synode sur la famille, le pape François montre un signe d’ouverture qui n’a pas de précédent. Accepter que soient débattues au grand jour des questions aussi taboues sur la famille, rompre avec une attitude séculaire de crispation, alors même que le modèle de la famille traditionnelle se décompose et que l’Eglise est malmenée, est une preuve d’audace et de courage.

Autoritarisme et moralisme

Qu’y a-t-il de plus passionnel que la rencontre de la sexualité et du dogme catholique? Le nouveau pape prêche depuis un an une attitude de «miséricorde» pour les personnes éloignées de l’Eglise, les divorcés-remariés, les homosexuels, les femmes qui se font avorter. Dans l’avion qui le ramenait de Rio de Janeiro, en juillet 2013, il a loué (devant les journalistes) l’exemple des chrétiens orthodoxes, qui ont une attitude moins rigide et «donnent une seconde possibilité de mariage».

L’un de ses meilleurs interprètes, le cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, coordinateur du «G8» des cardinaux conseillers du pape, a donné une interview choc, le 20 janvier, à un journal allemand dans laquelle il admet que la famille à l’ancienne n’existe plus, que tout est nouveau et que, par conséquent, l’Eglise doit, elle aussi, apporter des réponses nouvelles et «en accord avec notre temps», des réponses qui «ne peuvent plus être fondées sur l’autoritarisme et le moralisme».

Mettre en œuvre une pratique de pénitence, de pardon et de communion pour les divorcés-remariés qui, en même temps, ne serait pas en contradiction avec ce que disent les Evangiles sur le mariage: tel est le casse-tête auquel est aujourd’hui confrontée l’Eglise catholique.

Les chances d’évolution sont peu nombreuses et fragiles. Celle qui est le plus souvent évoquée est l’assouplissement des procédures pour déclarer «nul» un mariage contracté religieusement. Actuellement, dans le droit de l’Eglise, les procès en déclaration de nullité (qui vont jusqu’à Rome) sont rares et ne retiennent que le vice de forme: la tromperie de l’un des partenaires, l’immaturité, le manque de liberté au moment du mariage.

Il s’agit de déterminer si les promesses du mariage étaient solides ou viciées à l’origine. Mais chacun sait que les problèmes de couple surgissent le plus souvent après le mariage, sans qu’il soit possible d’y trouver un vice de forme.

Une large majorité de catholiques exprime le souhait que leur Eglise retrouve la volonté, qu’elle a connu dans certaines périodes du passé, de pardonner les échecs en matière matrimoniale et d’admettre de nouveau à la communion, après une période de pénitence, les divorcés-remariés. Ils souhaitent qu’on étende à l'Occident une pratique de seconde noce, plus indulgente et bienveillante, semblable à celle qui existe dans les Eglises d'Orient.

Mais l’attitude de «miséricorde» ou l’exemple des autres Eglises –orthodoxes, orientales, protestantes– ont été par avance condamnées, dans un ferme rappel à l’ordre en octobre dernier, par le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican: l’insistance sur la miséricorde, a écrit le futur cardinal Gerhard Müller, est «un argument insuffisant en matière de théologie du sacrement». Et le remariage religieux dans l’orthodoxie est une pratique «inconciliable avec la volonté de Dieu, telle qu’elle a été clairement exprimée dans les paroles de Jésus-Christ».

A peine ouvert, ce débat, si symbolique du rapport de l’Eglise à la société moderne, serait-il déjà refermé?

Henri Tincq

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