Le phénomène a débarqué massivement sur les timelines Facebook des utilisateurs français depuis quelques jours. Si vous avez entre –à la louche– 18 ans et 30 ans, vous l’avez sûrement déjà aperçu.
Venues du Royaume-Uni, mais surtout d’Australie, les «neknominations» rencontrent un succès croissant en France. Ce terme barbare, tiré de l’anglais «Neck your drink» (l’équivalent de «cul-sec»), correspond à une vidéo postée sur le réseau social par un internaute qui boit un verre d’alcool cul-sec et «nomine» plusieurs de ses amis Facebook. A leur tour, ces derniers doivent poster une vidéo et citer plusieurs noms… Et le phénomène est extrêmement viral.
A titre d’exemple, la page Facebook «Neknomination France» créée le 10 février, comptait 1.544 «likes» le 11 février à 21h 59. Le lendemain à la même heure, son chiffre avait quasiment été multiplié par 10.
Les médias britanniques, eux, se sont emparés du phénomène à coup de gros titres tapageurs depuis les morts récentes, plus ou moins liées aux neknominations, de quatre jeunes au Royaume-Uni et en Irlande.
Des amis d’Isaac Richardson, un Britannique de 29 ans décédé dimanche après avoir absorbé un «mélange létal de vin, bière, vodka et whisky» ont ainsi affirmé à la police qu’il avait posté une neknomination le jour même. Le 8 février, Nikki Hunter, une mère de famille, a aussi choqué l’opinion en rendant publique une photo de son fils, retrouvé inconscient dans son vomi après avoir été «nominé» et avoir avalé un cocktail d’alcools forts.
Il n’en a pas fallu plus pour que les classes politiques britannique et irlandaise s’insurgent contre les risques de cette nouvelle pratique. Devant ces décès, le président de la haute cour irlandaise, Paul Cartney, a affirmé lundi que ces «concours de jeu d’alcool sur Internet» pourraient mener à «un tsunami de viols et homicides».
Par ricochet, les médias français n’ont pas manqué de reprendre l’information.
«Un dangereux jeu alcoolisé se répand sur Facebook», pouvait-on lire en une du site Ouest-France mardi. «#Neknomination, le nouveau jeu dangereux sur Facebook», titrait de son côté Le Point sur son site dimanche.
Un journaliste d’un site d’informations générales nous explique:
«Un collègue a vu le phénomène monter sur son profil personnel. On en parlait depuis quelques jours. Avant de réaliser l'ampleur que cela avait pris aux yeux des autorités en Irlande. C’est donc logiquement que je me suis dit que cela méritait un sujet. Je me suis lancé dedans, avec pour consigne de ne pas faire de la pub pour le jeu et de surtout bien en signaler les dangers.»
Dans l’analyse de ce phénomène, la majorité des politiques britanniques (et peut-être bientôt français) font pourtant fausse route. Les neknominations ne sont pas dangereuses en soi. A l’origine, la pratique est plutôt festive et ne consiste pas à enfiler le plus de litres d’alcool possible dans son gosier. Justine, étudiante de 21 ans qui a partagé une neknomination sur son profil, nous confie ses motivations:
«J'ai participé à ce jeu plus pour le défi, voir si j'étais capable de le faire, mais en soi je trouve que c’est stupide. Avec mon groupe d’amis, ça reste gentillet, c'est avec de la bière, mais le jeu commence à se propager et se diversifier... Peut être pas dans le bon sens.»
Le comptoir a été remplacé par le réseau social
Sur le site d’information Irish Examiner, un journaliste qui a assisté à la montée du phénomène sur sa page Facebook écrit :
«Descendre une pinte de bière n'a jamais tué personne, mais comme dans toutes soirées, certaines personnes vont plus loin et se mettent en danger.»
Une idée corroborée par Garry, Irlandais de 22 ans:
«A mon avis, c'est juste un délire qui est plutôt amusant au départ. Après, cela reste un jeu stupide et j'imagine que si c'était un membre de ma famille qui était mort après y avoir participé, je serais très très amer envers ce phénomène. Mais le problème est surtout que ces gens qui ont eu des soucis étaient stupides dans leurs actions.»
Une neknomination n’est finalement qu’un jeu d’alcool répandu en soirée ou dans certains bars et transposé sur Facebook.
Dans cette histoire, on a simplement changé de «média». Le comptoir de bar autour duquel on se lançait dans un concours de pinte «neck your drink», est devenu le célèbre réseau social. Tous les week-ends, en France et au Royaume-Uni, des jeunes –ou moins jeunes d’ailleurs– décèdent à la suite d’une surconsommation d’alcool. Et Internet n'a rien à voir là-dedans.
Le vrai risque dans la montée des neknominations est plus sûrement le partage public d’une pratique qui risque de faire froncer les sourcils de bien des employeurs potentiels ou de parents inquiets du comportement de leurs progénitures.
«Le fait que ce soit public, c'est vrai que c’est assez gênant», poursuit Justine.
«Au début, avant de publier la vidéo, tu penses aux conséquences, aux personnes qui vont te voir et qui sont peut-être dans un entourage plus professionnel que personnel. Après, ça dépend de ton statut. Puis quand tu publies ta vidéo, c'est différent, cela devient moins gênant. C'est bizarre, mais le fait que les gens aiment, partagent, au fond de toi, ça te fait plaisir et je pense que c'est pour tout le monde pareil, même si on n’ose pas l'avouer. C'est peut-être cela aussi qui rend le jeu fun.»
Le sociologue John Suler, professeur de psychologie et spécialiste des nouvelles technologies à la Rider University, située dans l'Etat du New Jersey, pense lui que «les normes sociales dans le rapport à l’alcool sont les mêmes sur Facebook et dans la vie réelle, même si ces normes pourraient être exagérées sur le réseau social». Dans notre échange par mails, le professeur Suler ajoute que «les neknominations (lui) rappellent le fonctionnement de certaines fraternités, très en vogue dans les campus américains».
Au fond, ce «neck your drink» 2.0 est un jeu d’alcool comme les autres. Un «rite» social pour s’intégrer à un groupe. Et un jeu festif, avec parfois ses propres dérives.
D’ailleurs, surveillez votre fil Facebook. Vous avez peut-être déjà été neknominé.
Quentin Ruaux et Camille Belsoeur