Économie

Gattaz et Hollande dans le piège des «contreparties»

Temps de lecture : 3 min

Créer un million d'emplois en échange d'une baisse des cotisations et impôts payés par les entreprises est une mécanique que le président du Medef n'aurait pas dû évoquer. Et le chef de l'Etat n'aurait pas dû le suivre dans cette voix. Les entreprises ne fonctionnent pas ainsi.

Usine Michelin à Clermont-Ferrand en 2013. REUTERS/Regis Duvignau
Usine Michelin à Clermont-Ferrand en 2013. REUTERS/Regis Duvignau

Pierre Gattaz invité par le chef de l’Etat à suivre sa visite aux Etats-Unis n’aurait pas dû dire du mal de Pacte de responsabilité à Washington. Il aurait dû garder ses critiques pour son retour en France. François Hollande va plaider que la France n’est pas si méchante avec les entreprises, le patron des patrons sape sa visite. C’est une grave faute diplomatique et patriotique.

C’est la deuxième. La première a été de soulever lui-même le lièvre des «contreparties» en évoquant le chiffre d’un million d’emplois que les entreprises françaises pourraient créer si le gouvernement accédait à ses demandes. C’était certes avant le Pacte mais le côté donnant-donnant était mis sur la table par le président du Medef, il est resté dans les esprits.

Les socialistes ont évidemment bondi sur cette mauvaise idée de contreparties. Il faut reconnaître que pour eux, ça coince. Faire des économies dans les dépenses publiques, en coupant singulièrement dans les aides sociales, pour donner l’argent aux entreprises, raboter dans les services publics pour grossir les marges patronales: on comprend que les socialistes rechignent.

Beaucoup contestent l’idée même qu’il faille abaisser les charges des entreprises, ils n’ont pas vu qu’elles étaient parmi les plus hautes d’Europe –12% du PIB contre 8% en moyenne européenne)–, mais alors, a minima, il faut exiger d’elles qu’elles s’engagent à embaucher en échange. Ces 10 milliards d’euros qui viendront s’ajouter aux 20 milliards du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), voilà qui fait au bas mot ce million évoqué par le Medef. Au bas mot!

Arnaud Montebourg qui n’est jamais en reste de rien parle de 1,65 million.

François Hollande s’est mis dans un double piège. Que ne s’y est-il pris plus tôt pour réduire les dépenses publiques à la place d’élever les impôts! Pour compenser les charges sur le coût du travail, comme il faut le faire en effet, il aurait pu rehausser ensuite d’autres taxes ou impôts, par exemple la TVA. Mais à choisir la hausse de la fiscalité au début de quinquennat, il a provoqué un «ras-le-bol fiscal» qui lui interdit désormais cette voie d’une hausse d’impôts.

Il doit donc couper, et couper sec, dans les dépenses publiques. Et, premier piège, il s’expose à la critique de la gauche de la gauche de prendre aux salariés pour donner aux patrons…

Le deuxième piège vient de la reprise de cette mauvaise idée des contreparties. L’ensemble des charges et impôts payés par les entreprises s’élève à 400 milliards d’euros, ce n’est pas avec 10 milliards de baisse que la donne est changée, ni même 30 milliards. Mais surtout, le donnant-donnant va à l’encontre du fonctionnement d’une entreprise.

En France, à cause des coûts mais aussi de mille autres tracas, beaucoup de patrons n’embauchent qu’avec la garantie qu’il n’y a vraiment aucun moyen de s’en passer. C’est l’embauche en dernier ressort.

Dès lors, il ne suffira pas que le coût du travail soit abaissé de 6% (les 30 milliards) pour que les emplois suivent automatiquement. Il faudra d’abord, entre autres, que le carnet de commande soit garni. Autrement dit, une «contrepartie» si elle intervient, prendra du temps. Pierre Gattaz aurait du expliquer cela au lieu de faire des déclarations entendues comme des promesses. Il a manqué à son devoir de pédagogie.

L’effet le plus positif du Pacte pourrait être de donner aux entreprises un moyen de gagner des contrats supplémentaires notamment à l’export et alors, ensuite, d’embaucher. La Banque de France, très optimiste, a calculé que mécaniquement le PIB pourrait gagner 1 point au bout de deux ans, en 2017 donc. C’est beaucoup (beaucoup trop sans doute) mais quoiqu’il en soit pour François Hollande c’est tard.

Avec cette histoire de contreparties, il s’est glissé dans le second piège: il aura beaucoup de mal à présenter des résultats avant la campagne pour sa réélection éventuelle en 2017. Et ce n’est pourtant pas pour cela qu’il faut renoncer.

La France souffre d’un double déficit, celui des comptes publics et celui du commerce extérieur: il faut s’attaquer aux deux, en baissant les dépenses et en redonnant de la compétitivité aux entreprises. La ligne est bonne, s’il veut pouvoir présenter des contreparties aux électeurs, il faut que le PS cesse de croire en des exigences impossibles, il faut surtout que François Hollande en fasse plus et plus vite… et que le patron des patrons disent à Washington sa satisfaction.

Eric Le Boucher

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