Culture

«La Femme parfaite est une connasse»: ce livre est une connasse

Temps de lecture : 5 min

Un coup éditorial consternant. «La Femme parfaite est une connasse» est un des best-sellers de 2013. Le titre est amusant, sinon alléchant, mais le livre ne contient rien. Sinon les stéréotypes qu’il prétend dénoncer.

La couverture du livre «La Femme parfaite est une connasse».
La couverture du livre «La Femme parfaite est une connasse».

Fin janvier, La Femme parfaite est une connasse cumulait 281.685 ventes, selon les chiffres d’Edistat (et environ 500.000 d’après les auteures Anne-Sophie et Marie-Aldine Girard, sœurs jumelles). Un titre ludique et un prix de vente modique (5 euros) expliquent sans doute ce raz-de-marée commercial. Une édition «de luxe» vendue 8,90 euros n’a en effet guère attiré les foules: 13.096 ventes. Il en va autrement de l’édition «poche», qui figure en bonne place sur les présentoirs (le livre se vend beaucoup dans les gares). Surfant sur le succès, l’éditeur, J’ai lu, prépare une suite, La Femme parfaite est une connasse 2, qui doit paraître en mai 2014.

Décomplexer les femmes imparfaites

L’intention est louable: décomplexer les femmes imparfaites. C’est-à-dire toutes les femmes, puisque la femme parfaite, belle, riche, intelligente, qui réussit sa vie de couple, sexuelle et les bons petits plats…, n’existe pas. Ou bien est une connasse à laquelle il faut cesser de vouloir ressembler, car ce modèle est hors d'atteinte.

«Nous avons passé notre vie à vouloir ressembler à toutes ces femmes des magazines.»

Aussi le livre s’adresse-t-il aux «femmes imparfaites» qu’il entend «déculpabiliser» car «la femme parfaite est celle que nous serons jamais, et c’est tant mieux!».

Ce livre est drôle. Ah ah ah.

Ce préjugé favorable s’assortit d’un soupçon de légèreté bienvenue car la lecture de l’ouvrage n’est pas longue. De la page 11 à la page 157, il y a à peine 97 pages écrites (un bien grand mot), près d’un tiers du livre étant composé de schémas « proverbes », bons à découper, pointillés... Le texte est réduit à la portion congrue.

La Femme parfaite est plus facile à lire que du Joyce.

Rapidement pourtant, la déception s’installe, face à l’accumulation de platitudes et, surtout, un humour qui tombe à plat.

Les conseils dépassent rarement le niveau des pages philo de Biba.

A l’image de cette interview réalisée par MadmoiZelle.com, le ton est enjoué à l’excès, de fausses impertinences (les auteures «écrivent bite au lieu de pénis» car le mot est «bien plus rigolo»), des cris («Wooo» ou «Haaaaaaaa!!!»), des redondances de voyelles pour imiter le langage parlé («Aller voir le DJ pour lui dire qu’il assure trooooop!!!») et une accumulation de points d’exclamation, évoquant les rires pré-enregistrés qui accompagnent des émissions censément comiques. A chaque page, on a la désagréable impression de voir ce panneau:

La lectrice imparfaite

Après tout, peu importe. L’humour est chose particulière qui ne peut faire l’unanimité et, sans doute, ce livre fait-il rire ses lecteurs. Ou lectrices?

Car la cible semble être une femme citadine (qui confond le basilic avec le muguet le 1er mai), âgée de 30 ans à 35 ans. Passé les 20 ans, elle est «trop vieille pour ces conneries» comme faire la fête, coucher par terre chez un copain ou survivre à une nuit blanche.

Sans doute est-elle employée ou cadre, la vie de bureau étant souvent citée, avec ses rituels (retours de vacances, machine à café...) et ses mesquineries (comment donner le minimum dans l’enveloppe des pots de départs).

Elle est accro aux séries, parfois célibataire (et passe le Jour de l’an seule avec son chat), tient mal l’alcool, a une vie sexuelle désordonnée et peu satisfaisante.

Une vision stéréotypée de la femme

Or, sous prétexte de déculpabilisation, le livre accumule les clichés qu’il prétend dénoncer. Evoquant irrésistiblement le contenu de la presse féminine dans ce qu’il a de plus dévalorisant. La femme imparfaite est obsédée par son apparence, à commencer par son poids.

Page culture

Ne pas grossir est une obsession. Sur 97 pages, la question du poids revient plus de 20 fois. Des pages entières lui sont consacrées: «on est toutes des boulimiques!», «Ces filles qui ne mangent qu’une salade...», etc. Entre deux conseils culpabilisants («Ne posez jamais sur une photo de groupe en maillot de bain s’il n’y a pas au moins une fille plus ronde que vous!», ne jamais poser la question «J’ai grossi?»...), les sœurs Girard assènent leurs généralités comme des évidences.

«Le jean-test.

On a toutes dans notre placard un jean de référence.

Un jean qu’on réessaye de temps en temps pour vérifier qu’on n’a pas trop grossi.»

Le livre renvoie implicitement à la «névrose» qu’elle prétend dénoncer. Ainsi des plans de table pour ne pas grossir qui ne sont rien d’autre que la mise en images de conseils de nutritionnistes.

Femme objet

Les enjeux de l’apparence physique sont déclinés sous diverses formes: les fringues et les chaussures, qui font de la femme une acheteuse compulsive...

«J’ai acheté une robe alors que je n’ai pas de thunes…

Foutu pour foutu, je vais m’acheter des chaussures et le sac qui va avec...»

...mais aussi le bronzage, le maquillage, le vernis à ongles, le coiffeur, l’épilation... Ignorant le retour du poil annoncé pour 2014, la lectrice est invitée à «ne pas s’épiler les jambes, lors d’un premier rendez-vous, pour ne pas céder à la tentation». Les auteures autorisent certes une coucherie le premier soir, si l’on a «plus de 28 ans», âge à partir duquel on est en «situation de crise». Mais à condition d’être parfaite, c’est-à-dire épilée: les féministes apprécieront.

Quant aux tenants de l’égalité des sexes, ils en seront pour leurs frais: hors de question de partager l’addition au restaurant, surtout au premier rendez-vous («il n’existe pas d’exception à cette règle»).

Soyons juste: question clichés, les hommes ne sont pas épargnés. Leur vie hésite entre le cul et la console de jeux, ils rompent par textos, reluquent les meilleures amies, parlent «carbu». Au lit, ils sont incapables d’assurer le «minimum syndical», les auteures en arrivant à cette «conclusion terrifiante: les hommes ne bandent plus!». Ce qui rendrait une «demi-molle» presque glorieuse.

Cache-sexe

Surtout, les sœurs Girard défendent une sexualité pudibonde, où le désir féminin est suspect. A l’exception d’un test sur le nombre de partenaires sexuels où le nombre devient un mérite («plus de 50: vous avez bien vécu»), leur approche est étonnamment binaire. Il y a d’un côté la «chagasse» ou «cagolle», c’est-à-dire «une fille ayant pour vocation d’inspirer le sexe», de l’autre la femme pour qui la sexualité est une corvée.

Ainsi, le chapitre «Ce soir, je passe à la casserole» est suivi de deux pages de «bons pour une dispense de rapport sexuel», pour les femmes qui «ont la flemme de s’y mettre». Le refus du rapport sexuel interviendra bien sûr «les soirs de diffusion de votre série préférée». On observera les diverses excuses qui permettent de s’en dispenser: «je viens de prendre ma douche!» ou de le subir: «Bon, d’accord, mais vite alors!» ou «Je le fais maintenant, comme ça, il me restera 6h30 de sommeil».

Sans entrer dans le débat du viol conjugal, on s’étonnera cependant de cette approche où le désir sexuel féminin est forcément inférieur à celui de l’homme (une approche absurde car l’inverse a souvent prévalu) auquel il faudrait se soumettre pour avoir la paix. L’idée implicite est qu’une femme aimant le sexe est une salope (chagasse..), les autres préférant regarder la télé.

Un livre pour femmes normales?

Le bouquin a rencontré son public, qui le «like» raisonnablement sur Facebook, témoigne de son plaisir ici ou , évoque une «crise de fou rire garanti avec des passages où toutes les filles vont se reconnaître», y voit même de véritables conseils pour réussir sa vie de «femme normale».

C’est aussi ce qu’en dit L’Express qui décrit «un très sympathique vade-mecum à même de décomplexer n'importe quelle donzelle en porte-à-faux avec les diktats énoncés par une certaine presse féminine et relayés par un marketing agressif».

Sans doute le livre incite-t-il à une lecture rapide avec son ton badin qui n’appelle pas de critique sérieuse. C’est du second degré et de l’humour, objectera-t-on. Mais ce second degré cache à peine une vision on ne peut plus traditionnelle de la femme. Qui a visiblement échappé à celles qui ont contribué à ce succès de librairie. Et peut-être pas à ceux qui le leur ont offert.

Jean-Marc Proust

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