Culture

L'après hadopi : l'état des lieux pour les industries culturelles

Temps de lecture : 4 min

Il est évident que les lois Hadopi n'arriveront pas à atteindre leur objectif qui est de supprimer ou de réduire le téléchargement illégal de musique et de films sur Internet. Tout le monde (ministre, parlementaire, industries culturelles) est maintenant dans l'après Hadopi. Je vais tenter, par une série de billets, de dresser l'état des lieux des acteurs et des enjeux de ce débat qui doit s'ouvrir.

***

L'arrivée d'Internet a bouleversé les équilibres anciens. Le «business model» des industries culturelles, qui reposait sur la maitrise de la distribution, a explosé. Les maisons de disques avaient un monopole de la production des supports, seul moyen d'accès aux œuvres. Ils pouvaient ainsi organiser la pénurie sur certains secteurs et au contraire, une offre abondante dans d'autres. Leur emprise sur les distributeurs (par ailleurs complices) et sur les médias leur permettait de mettre en avant les produits les plus rentables. En face, il y avait un consommateur captif, qui prenait ce qu'on lui donnait au prix qu'on lui demandait. La musique était vendue par album, avec quelques tubes et beaucoup de médiocrités; l'achat au titre était prohibitif.

C'est cela qu'Internet a mis à mal en permettant que l'on se passe du support physique pour accéder aux œuvres. A partir du moment où il n'est plus nécessaire de presser des CD, avec ce que cela coûte, et de passer par les réseaux de distribution, il devenait très facile d'établir un contact direct entre l'artiste et son public. Ce qui était encore assez virtuel il y a quelques années est en train de devenir la norme. Plusieurs groupes ont montré qu'elle pouvait se passer de maison de disque.

Les industries culturelles ont alors commis une grosse erreur. Plutôt que d'accepter le fait et de renégocier un nouveau compromis qui tienne compte du bouleversement technologique, ils se sont crispés sur l'ancien modèle économique, conscient que le nouveau compromis leur serait moins favorable.

Ils n'ont pas compris que leur positionnement était voué à l'échec, car ils avaient perdu leur capacité à rationner le marché et à orienter le choix des consommateurs. Une offre parallèle s'est mise en place très rapidement, et a été plébiscitée par les utilisateurs, qui pouvaient enfin avoir accès à ce qu'ils voulaient, et plus seulement à ce que l'industrie voulait leur fourguer, et qui plus est gratuitement ou presque (il fallait tout de même payer l'accès à l'Internet). Toutes les tentatives pour colmater la brèche ont échoué!

Les industries culturelles auraient réagit dès 1999, elles auraient encore pu sauver les meubles. A l'époque, on m'aurait demandé de payer un petit abonnement pour accéder à Napster, j'aurais signé, et sans doute beaucoup comme moi. Par facilité, par confort parce que mes connaissances en Internet étaient limitées. Au même moment, alors que le haut débit n'en était qu'à ses balbutiements, il aurait fallu «intéresser» les fournisseurs d'accès au système. Free et consorts n'auraient alors peut être pas développé des offres surdimensionnées dont la seule utilité pour les particuliers était le téléchargement.

Résultat des courses, des habitudes se sont prises, des infrastructures techniques ont été mises en place. La nature ayant horreur du vide — il n'y avait pas d'offre légale digne de ce nom, une offre parallèle s'est mise en place. Et on s'est aperçu alors que l'on pouvait très bien se passer de l'industrie culturelle en matière de distribution.

S'est alors posée la question: quelle est la valeur ajoutée de l'offre légale qui justifie que l'on paie les tarifs jugés exorbitants pour le service rendu? L'industrie culturelle a soit ignoré complètement cette question, soit elle a été incapable d'y répondre de manière satisfaisante.

L'industrie culturelle part avec de gros handicaps dans le débat qui s'ouvre.

- Elle a grillé une importante cartouche en montrant son incapacité à mettre un terme au contournement mis en place par les usagers.

- Son image de marque est sérieusement écornée auprès de son public. La confiance ne règne pas entre les différentes parties prenantes.

- Elle a perdu également beaucoup de crédit auprès des politiques, en les entraînant dans des aventures législatives qui ont été politiquement couteuses vis-à-vis d'une partie de leur électorat et leur faisant clairement comprendre que la répression était une impasse.

- Le Conseil constitutionnel a fixé des limites et une jurisprudence qui va dans le sens des intérêts des usagers, de manière irréversible.

- La coalition qui s'est mise en place dans le cadre d'Hadopi a éclaté, les industries du cinéma reprenant leurs concessions en terme de chronologie des médias, abandonnant les sociétés de gestion de droits en rase campagne.

- Elle a perdu plusieurs années et se trouve maintenant financièrement au pied du mur.

Mais l'industrie musicale garde aussi quelques atouts. Quoiqu'elle dise, elle reste encore assez prospère, avec de gros moyens. Et si elle est mise en difficulté dans la valorisation de ses produits, elle n'est pas franchement menacée dans la production de contenus. Tout le monde n'est pas en mesure de devenir Radiohead et la production de contenus de qualité restera pour longtemps l'apanage de professionnels.

Dans le même ordre d'idée, il ne viendrait à l'esprit de personne de demander l'abolition de la propriété intellectuelle, car sans rémunération, pas de création. Donc pas de contenus à se partager.

C'est juste la position des industries culturelles dans la négociation qui s'ouvre sur la redéfinition de champ et de contenu du droit d'auteur à l'heure numérique qui est un peu inconfortable, mais les fondamentaux ne sont pas menacés. Ayons confiance dans leur capacité à rebondir.

Samuel Authueil

Image de une: Ditto, la chanteuse du groupe The Gossip, en concert à Nyons, le 21 juillet. Valentin Flauraut/REUTERS

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