La scène du jazz

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En général, les musiciens de jazz se produisent dans des clubs qui leur offrent un espace très limité. La scène extérieure de Juan-les-Pins est d’un tout autre style.

En général, les musiciens de jazz se produisent dans des clubs qui leur offrent un espace très limité. Une fois installés, ils ne peuvent guère bouger, contraints également par la présence d'un public, lui-même confiné, qui se trouve quasiment devant eux. Cette promiscuité présente des avantages pour ceux qui apprécient le contact le plus direct avec la musique et ses interprètes.

Récemment, au Duc des Lombards, à Paris, le célèbre couple Tuck & Patti fêtaient leurs trente ans de vie commune, dans le civil comme dans leur carrière, devant une audience - été oblige - un peu clairsemée. Ils avancent vers le centre de la salle. Patti doit à présent monter sur scène. Elle a un peu de mal à se hisser. Tuck l'aide, mais Patti semble gênée qu'il le fasse sous le regard des spectateurs. Puis elle enlève ses chaussures. Cette petite préparation, dont la chronique peut sembler un peu prosaïque, vaut également pour les auditeurs, avant que la musique ne prenne toute son ampleur. Tout se joue bientôt dans l'écoute, à deux mètres à peine, mais aussi dans la distance qui s'installe quand le chant de Patti nous transporte ailleurs, dans l'espace ouvert de la musique. Les artistes sont maintenant à leur aise. Tuck se lance dans un solo de guitare d'une très grande vivacité, qui se prolonge sans baisser de rythme. Patti se tourne vers lui, presque surprise par ce chorus. Nous aussi sommes admiratifs, en même temps que témoins de ce moment.

La scène extérieure de Juan-les-Pins est d'un tout autre style: très large, relativement profonde, elle s'inscrit dans un environnement splendide, permettant au public installé en hauteur de voir la baie fermée par un phare, d'où un éclat vert scintille toutes les trois secondes, mais aussi les pins. Que Francis Marmande n'ait consacré qu'un seul article cette année au festival, pour y évoquer la santé déclinante des pins de Juan, est un signe qui ne trompe pas: le site est historique pour ce qui s'y est passé depuis bientôt cinquante ans, mais aussi pour son décor.

En passant de l'exiguïté des clubs à l'espace ouvert de Juan, que se produit-il? Très précisément ceci: est rendu visuel ce qui, dans le jazz, est son essence même, le moment où l'on bascule du socle de la partition aux variations qui vont permettre successivement à chacun des musiciens présents de prendre leurs chorus. Il y a bien une scénographie qui se met alors en place, certains artistes jouant de l'espace qui leur est offert pour s'écarter de la scène, se rapprocher d'un autre interprète, faire face au public. C'était particulièrement le cas avec le trio de guitares SMV (Stanley Clarke, Marcus Miller, Victor Wooten), regroupé de front ou se répartissant dans l'espace selon les moments.

A Nice, la scène Matisse, de taille plus modeste que Juan, mais également montée dans un décor attrayant, celui du jardin et des arènes de Cimiez, offre un espace plus intime qui permet, à l'occasion, de saisir les jeux subtils d'échange entre artistes. Il nous a ainsi été donné à voir comment le saxophoniste Joshua Redman dialogue avec son batteur et son contrebassiste davantage par petites touches que par de longs chorus, redoublant son jeu par une gestuelle très expressive (les photographes s'agitaient beaucoup ce soir pour saisir ces moments).

Au contraire, le pianiste Brad Meldhau, tout en intériorité, tournait le dos au public, et presque à ses musiciens, pour trouver la plus grande concentration, celle qui sied à un jeu très cérébral. C'est ainsi que, pendant de longues minutes, il a joué tout seul, se tenant quasiment à l'oblique de son piano, pour échapper aux regards, créant une sorte de vide autour de lui pour nous offrir, en un medley exceptionnel, une sorte de synthèse de ses inspirations musicales, étonnamment diverses, quoique toutes très européennes. Regardez-le jouer. La caméra est sans doute trop proche de lui, et peut donner l'impression qu'il est un peu maniéré. Notre œil est plus vif, qui saisit en même temps que le cadre isolé de son espace de jeu, celui, partagé ou non, de ses musiciens, et celui, très resserré ce soir-là, du public dans lequel nous nous fondons.

Christian Delage

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(Photo: Jazz players, Quartier Latin, Paris, pedrosimoes7 / Flickr )

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