A l’école, de la maternelle au lycée, il existe en marge des programmes et des disciplines de multiples enseignements spécifiques, parfois ponctuels. Dans le jargon des spécialistes on appelle cela «l’éducation à». Voici ce que les profs du premier et du second degré donnent comme exemple de ces «éductions à»: à la citoyenneté, au développement durable, à la sécurité routière, à l'orientation, à Internet, aux médias, à la santé (comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté dans le secondaire: prévention tabac, drogues, addictions), éducation à la responsabilité face aux risques. Et puis il y a bien sûr, le fameux «vivre ensemble» qui est au cœur des programmes de la maternelle.
Héritage moral
Cette conception est liée à un héritage historique, un idéal révolutionnaire: l’institution scolaire est le creuset de la République et on y forme des citoyens. L’école de nos parents enseignait la morale et celle de nos aïeux l’amour de la patrie. Nous avons assisté après 68 à un reflux de ces conceptions, mais à partir des années 90 et plus encore depuis dix ans, l’«éducation à» s’est peu à peu installée dans les emplois du temps des élèves, de la primaire jusqu’au lycée. L’école réaffirmait à la manière contemporaine sa mission citoyenne. Avec un raisonnement qui témoigne, et après tout c’est un point positif, d’une extraordinaire confiance en l’institution.
Une confiance incroyable qui consiste à penser que des problématiques pourraient être surmontées si le sujet est pris en charge par l’école. Malgré une forte présence dans les programmes scolaires «le vivre ensemble» ne se porte pas formidablement bien actuellement en France. Evidemment l’école n’a pas le magistère de la parole, les enfants et adolescents sont aussi baignés dans les conceptions qui circulent autour d’eux, en famille, entre pairs, via les médias.
Comment aujourd’hui par exemple démêler la vérité du fantasme sur le genre alors que la formule «théorie du genre» est répétée en boucle partout depuis lundi? Rappelons que la «théorie du genre» est une formule inventée pour servir de repoussoir et qu’il n’y a pas de théorie en tant que telle.
Et puis tous les sujets de l’«éducation à» paraissent importants, essentiels, cruciaux mais l’école peut-elle tout prendre en charge? Toutes ces heures passées à parler de santé, alimentation, sexualité sont-elles vraiment si utiles, d’autant que ces modules d’«éducation à» ne sont ni systématiques ni systématiquement évalués. Ils se multiplient mais les emplois du temps et les programmes sont aussi, c’est un fait reconnu, trop lourds, il faut les alléger, c’est d’ailleurs un des axes de réflexions sur lequel planche le nouveau Conseil supérieur des programmes.
Forcément si l’école doit parler de tout, elle va manquer de temps!
… Mais de manière ponctuelle
Surtout l’école doit-elle être une institution globale qui distribue un enseignement spécifique sur tous les sujets sociaux et sociétaux? Ces questions doivent-elles être traitées à part? Car c’est bien une manière de penser contemporaine que de confier à l’école le rôle de transmettre des idées voire des valeurs (l’égalité) mais sur des thèmes précis, isolés, pris pour eux-mêmes.
Cela revient en somme pour l’école à considérer qu’elle ne donne pas les outils intellectuels pour penser en général et qu’elle doit donc fournir un mode d’emploi spécifique pour chaque thème: les médias, les inégalités, la discrimination, Internet…
Exemplarité
L’ABCD de l’égalité, qui revient tout simplement à réfléchir avec les enfants au fait que l’identité sexuée ne résume pas les êtres est un dispositif à la fois inoffensif (il ne contient rien de scandaleux) et qui répond à des problématiques sociales réelles, graves et scandaleuses (que les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes par exemple) paraît a priori une initiative intéressante qui permet aux élèves et aux enseignants de se questionner ensemble.
En même temps, le taux de 97% d’enseignantes à la maternelle et les 100% d’Atsem (agent Spécialisé des écoles Maternelles) rappellent quotidiennement aux enfants que certes, les filles peuvent devenir pompiers et les garçons infirmiers mais que les adultes qu’ils fréquentent quotidiennement semblent mystérieusement êtres tous du même sexe pour pratiquer le même métier, les éduquer et s’occuper d’eux.
Ethocentrisme de classe
Marie Duru-Bellat, sociologue de l’éducation nous confie partager ces interrogations, mais elle se pose tout de même la question, la grande question qui va sans nulle doute agiter le débat ces prochaines semaines:
«Qui doit forger les valeurs de l’enfant? L’état, l’école, les familles? Peut-être l’institution a-t-elle été trop rapide. Il y une forme d’ethnocentrisme de classe à penser que tout ce qu’on pense est évident pour tout le monde, quand bien même ces idées paraissent fondées! Il y a un conflit, nous voyons apparaître des groupes qui disent «ce ne sont pas nos valeurs». Les militants de l’égalité ont pensé naïvement que tout le monde était pour l’égalité.»
Contradictions
Enfin, et surtout, surtout, si on véhicule des valeurs, il faut aussi rechercher la cohérence. Quelle institution oriente les filles et les garçons dans des filières ultra-genrées: les garçons dans l’industrie et les filles en sanitaire et social? Qui trie les élèves selon leur origine sociale mais aussi ethnique, comme le chercheur Ugo Palhetta l’a montré dans ses travaux sur le lycée professionnel?
Les dernières statistiques de l’Insee le montrent, si les jeunes français sont davantage diplômés qu’il y a trente ans, leur diplôme est largement indexé à la profession de leur père. Il y une forme de pensée magique à penser que parce qu’on délivre une certaine parole, en gros les inégalités et la discrimination c’est mal, mais que dans le même temps l’ordre établi n’est jamais remis en cause par l’école dans les faits, cette parole suffira à changer les mentalités. Car pour le moment le vrai sujet c’est que l’école ne combat pas tellement les stéréotypes et les destins écrits à l’avance, elle les coproduit.
Louise Tourret