Inde-Etats-Unis, phase 3: après l'ignorance et l'opposition durant la guerre froide, la «redécouverte» du pays par son époux, alors président, Bill Clinton en 2000, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton veut ouvrir un nouveau chapitre des relations américano-indiennes. «Nous voyons l'Inde comme l'un des quelques partenaires clés dans le monde qui nous aideront à modeler le 21 siècle», déclarait-elle un mois avant sa visite en Inde. Pour appuyer son propos, Hillary Clinton a mis un point d'honneur pour sa visite, la première d'un haut responsable de l'administration du président Barack Obama, à visiter l'Inde longuement — trois jours pleins — et sans, comme c'est souvent le cas, se rendre ensuite au Pakistan voisin.
La sollicitude et la tolérance très intéressée de Washington vis à vis du Pakistan, les visites innombrables de responsables américains à Islamabad ont rendu les Indiens quelque peu méfiants vis à vis d'une administration Obama qui a fait de «l'Af-Pak» (Afghanistan-Pakistan) sa priorité. Des déclarations américaines ambiguës sur la nécessité de demander des gestes à l'Inde au Cachemire pour faciliter la coopération du Pakistan dans la lutte anti-terroriste ont irrité des responsables sur un sujet hypersensible.
Hillary Clinton qui est plutôt considérée en Inde comme une «amie» s'est donc efforcée de rassurer et surtout de souligner que Washington considérait l'Inde comme un égal et n'avait aucune intention d'exercer au moins publiquement la moindre pression sur le pays. Les enjeux pour les Etats-Unis sont de taille. L'accord signé par Clinton et son homologue indien S.M. Krishna donnant la possibilité aux Etats-Unis de s'assurer que les armes et la technologie vendus à l'Inde sont utilisés conformément à l'usage annoncé ouvre le fabuleux marché indien de l'armement aux compagnies américaines. L'Inde prévoit de dépenser entre 50 et 55 milliards de dollars d'équipement militaire en cinq ans et devrait annoncer prochainement l'attribution d'un contrat pour l'achat de 126 chasseurs de combat. Deux compagnies américaines — Boeing et Lockheed Martin — sont parmi les cinq sociétés retenues.
Au grand soulagement de Washington, l'Inde a annoncé la localisation de deux sites pour de nouvelles centrales nucléaires qui seront équipées de réacteurs américains. Là encore, les potentialités sont énormes. 56% d 1,1 milliard d'Indiens n'a pas l'électricité et le gouvernement a des plans ambitieux pour accroître le développement de l'énergie nucléaire. Celle-ci ne représente aujourd'hui que 2,8% de toute la production électrique et les investissements prévus pourrait atteindre jusqu'à 100 milliards de dollars à l'horizon 2035.
En choisissant de se rendre à Mumbaï, capitale économique, avant New Delhi, le siège du gouvernement, Hillary Clinton a voulu — au delà de l'hommage aux victimes des attentats de novembre — souligner le changement qualitatif qu'elle voudrait imposer aux relations en les élargissant aux sociétés civiles des deux pays. Elle a multiplié les contacts avec des femmes, des acteurs, des étudiants, des hommes d'affaire, soulignant que les rapports entre Washington et New Delhi ne pouvaient se réduire aux contacts diplomatiques.
L'approfondissement des relations pourrait toutefois se heurter aux divergences notamment sur le réchauffement climatique qui continuent d'exister entre les deux pays et aux susceptibilités d'une administration indienne encore très méfiantes vis à vis de Washington. Brillamment réélu, le Premier ministre indien Manmohan Singh se sait très observé dans les relations avec Washington et l'opposition est prompte à dénoncer tout ce qui peut ressembler à tort ou à raison comme un alignement sur les Etats-Unis.
Il faudra à la fois patience et modestie aux Etats-Unis pour ancrer durablement des relations avec un pays en pleine expansion et qui n'est pas connu pour accepter les leçons.
Francoise Chipaux
Image de une: A Gurgaon, le 19 juillet. REUTERS/Adnan Abidi