Ne vous fiez pas à la mine réjouie de Manuel Valls ou au tweet de victoire de Jean-Marc Ayrault. Si les deux textes de loi interdisant le cumul d'un mandat exécutif local avec un siège de parlementaire ont été définitivement votés ce mercredi 22 janvier, ils ont encore des chances de ne jamais être appliqués. En repoussant l'entrée en vigueur de la réforme aux élections législatives de juin 2017 pour les députés —les sénateurs suivront lors des renouvellements de fin 2017 et 2020 et les eurodéputés en 2019—, le gouvernement laisse une fenêtre de tir aux partisans du cumul.
Le problème est un peu technique et réside dans la période d’un mois laissée aux futurs députés cumulards pour abandonner l’un de leurs deux mandats à partir de juin 2017. Dans l’hypothèse —probable, si l’on conjugue l’impopularité de François Hollande au goût des Français pour l’alternance— où l’UMP revienne au pouvoir cette année-là, la future majorité de droite pourrait mettre à profit cette courte période pour empêcher l’application du texte. Et réduire à néant les efforts menés par le ministre de l'Intérieur entre l’Assemblée nationale et le Sénat depuis avril dernier.
Le patron des députés UMP a laissé entendre lundi dans Le Figaro que c’est exactement ce qu’il comptait faire. «C’est une question de volonté politique, précisait Christian Jacob à l’Assemblée mardi matin. À partir du moment où on décide de le faire, on peut le faire.» Mais les partisans du cumul devront agir vite pour tout régler en moins d’un mois.
«Quand une nouvelle Assemblée nationale est élue, il y a une semaine de mise en route, avec notamment l’élection du président, explique le constitutionnaliste Didier Maus. Mais au bout d’une dizaine de jours, elle est tout à fait opérationnelle.»
«Manoeuvre en deux temps»
Restent donc trois semaines pour faire voter une loi en ce sens lors de la session extraordinaire généralement convoquée au Parlement dans la foulée des élections présidentielle et législatives. Deux solutions s’offrent alors.
La première est de présenter une proposition de loi —ce qui permet d'économiser l'étape du passage du texte devant le Conseil d'État— réformant directement les règles du cumul. Une option périlleuse dans la mesure où elle suppose un travail législatif en profondeur: faut-il revenir purement et simplement aux dispositions antérieures? Ou simplement assouplir la loi votée sous le gouvernement Ayrault?
Autant de questions qui risquent de faire traîner en longueur le texte alors que le temps est compté. En bon président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, Didier Maus a une proposition beaucoup plus sioux:
«C’est une manoeuvre en deux temps. D’abord, faire un premier texte très court, afin de repousser le délai d’application de la loi d’un mois à six mois. Puis revenir quelques mois plus tard avec une nouvelle loi. C’est jouable. Cela laisse le temps de déconstruire et de reconstruire.»
Scénario clé en main
C’est d’ailleurs le scénario clé en main vanté par Daniel Fasquelle, député-maire UMP du Touquet et grand pourfendeur du non-cumul au sein de son Association des élus pour la démocratie, un club de parlementaires de droite constitué l’an dernier pour faire échec à la loi présentée par Manuel Valls:
«Je ne propose pas un grand texte sur le cumul des mandats en juillet 2017, mais un texte très simple d’un seul article qui dise que les maires qui ont été élus pour six ans restent en place pendant six ans. On permet aux maires de terminer leur mandat et cela nous laisse trois ans pour voter une réforme sur le cumul, qui ne doit pas être seulement une réforme sur le cumul mais sur le fonctionnement de nos institutions.»
Pour gagner encore davantage de temps, Daniel Fasquelle envisage même qu’une proposition de loi équivalente soit votée au Sénat sans attendre les élections législatives de 2017, à la faveur d’une alliance entre l’UMP, le centre, les radicaux de gauche et quelques sénateurs socialistes viscéralement attachés au cumul —sans oublier un scénario où la droite redeviendrait majoritaire au sein de la Haute Assemblée dès l'automne 2014...
La nouvelle Assemblée nationale n’aurait plus qu’à voter le texte conforme à son arrivée à l’été 2017, et le tour serait joué. Une saisine du Conseil constitutionnel par la gauche ne mettrait pas la promulgation du texte hors délai: en vertu de l'article 61 de la Constitution, le gouvernement peut lui demander de statuer «en urgence», soit en moins de huit jours.
«Cela donnerait une image déplorable»
Mais ce scénario repose sur une grande part de politique-fiction. Les premiers textes d’une législature ont une dimension symbolique et sont censés refléter les priorités du nouveau gouvernement.
En 2007, le «travailler plus pour gagner plus» de la loi TEPA et le texte sur l’autonomie des universités devaient donner le ton du quinquennat de Nicolas Sarkozy. En s’attaquant en urgence au cumul des mandats à l’été 2017, la droite risquerait de renforcer l’image d’une classe politique qui fait primer la protection de ses privilèges sur l’intérêt général.
Une posture pour le moins baroque, alors qu'une enquête de l’Ipsos montre que 65% des Français jugent que «la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus» et qu’ils sont 84% à penser qu’ils «agissent principalement pour leurs intérêts personnels».
«Cela donnerait une image déplorable… et c’est d’ailleurs pour ça que cela n’arrivera pas!», se rassure le député UMP des Hauts-de-Seine Thierry Solère, un des cinq membres de son groupe à avoir voté pour le non-cumul à l’Assemblée. «Au fond, tout le monde a bien compris que l’on ne pouvait pas continuer à cumuler des fonctions de parlementaire et de chef d’un exécutif local. Je n’ai aucun doute sur le fait que la droite ne reviendra pas sur ce sujet.»
Des ténors de droite réticents au cumul
Sans oublier que de nombreux élus de droite ne sont pas aussi attachés au cumul que Christian Jacob, Daniel Fasquelle ou Hervé Mariton. Mercredi, les ténors de l’UDI Jean-Louis Borloo et Hervé Morin se sont abstenus.
Sans oublier le coup d’éclat de l’UMP Bruno Le Maire, qui a publié une tribune en juin 2013 pour réclamer la «disparition» des cumulards dès 2014, avec le soutien de seize parlementaires de son parti. Officiellement, l’ancien ministre de l’Agriculture n’a voté contre la réforme de Manuel Valls que parce qu’il trouve qu'elle ne va pas assez loin. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer que Bruno Le Maire et ses amis acceptent en juin 2017 de manger leur chapeau et de voter en urgence l’abrogation du non-cumul.
Les spéculations autour de la fin du cumul des mandats demeureront donc jusqu’en 2017, pour le plus grand bonheur de la poignée d’élus socialistes qui n’ont soutenu la réforme que contraints et forcés. Le député radical de gauche Alain Tourret, un des dix-huit élus de la majorité gouvernementale qui a refusé d'apporter sa voix au texte, n’a d’ailleurs pas manqué de railler la duplicité de ses camarades du groupe PS en séance publique:
«Vous êtes si peu sûrs de la force de vos arguments que vous repoussez à 2017 la date d’application de la loi pour laisser éventuellement à la nouvelle majorité qui, par malheur, pourrait nous succéder, le soin d’abroger cette loi qui n’aura pas trouvé d’application.»
Dans le doute, la grande majorité des cumulards socialistes ont pris soin de solliciter un nouveau mandat aux élections municipales de mars: Gérard Collomb à Lyon, Philippe Duron à Caen, Jean Germain à Tours... Plus surprenant, de jeunes socialistes qui ont conquis leur premier mandat de député en 2012 ont voté le non-cumul, mais envisagent déjà, dans l'attente, de cumuler avec un mandat de maire, comme Mathieu Hanotin à Saint-Denis ou Razzye Hammadi à Montreuil. On n’est jamais trop prudent.
Jean-Baptiste Daoulas