Depuis quelques jours, plusieurs «révélations» consécutives aux informations sur la vie privée de François Hollande publiées par l'hebdomadaire Closer soulèvent des questions sur une possible instrumentalisation de l'affaire.
Des questions alimentées, notamment, par les éventuels liens entre l’appartement qui aurait abrité les rencontres, au 20 rue du Cirque (Paris VIIIe), et le grand banditisme. Un appartement loué par l’actrice Emmanuelle Hauck, une amie de Julie Gayet, mais figurant dans l'annuaire au nom de son ex-mari, Michel Ferracci.
Comédien dans la série Mafiosa, ce dernier est aussi connu pour son rôle dans l’affaire Wagram, un cercle de jeu qui a longtemps servi de blanchisseuse à la Brise de mer, le fameux gang bastiais. En novembre 2013, il a été condamné à 18 mois de prison avec sursis pour abus de confiance dans ce dossier.
Durant l’instruction judiciaire, le même Ferracci a déclaré à propos de Bernard Squarcini, qui fut patron du renseignement et officier traitant de la Sarkozie jusqu’en 2012:
«Je le trouvais très sympathique. J’avais sa carte avec son téléphone.»
Il n’en fallait pas plus pour voir ressurgir le spectre d’un cabinet noir.
Machine à rumeurs et complots
Depuis, Michel Ferracci a démenti être le propriétaire de l’appartement, son nom apparaissant simplement sur la boîte aux lettres car ses enfants occupent toujours les lieux avec leur mère. Le véritable propriétaire, un septuagénaire basé dans le sud de la France, a menacé de poursuites les médias ayant relayé l’information.
Ce qui n’a pas empêché l’hebdomadaire Valeurs actuelles d’écrire de son côté que l’appartement appartiendrait en fait à un grand patron du CAC 40. L’endroit aurait même servi autrefois à «de très hautes personnalités de l’Etat» pour des «rendez-vous galants et autres affaires en tout genre». La machine à rumeurs et complots est lancée.
Que savaient exactement les services de renseignement de ces rencontres secrètes et de l’appartement qui les abritait? Et qui fait aujourd’hui fuiter dans la presse ces informations plus ou moins fiables?
A gauche, beaucoup soulignent la naïveté de Hollande tout en sous-entendant que les réseaux sarkozystes pourraient être à la manœuvre. Il y aurait un scandale dans le scandale. Selon le Canard Enchaîné, François Hollande lui-même a évoqué des «barbouzeries» devant ses proches. Le chef de l’Etat a également fait référence à un rapport de la BAC ayant fuité dans la presse en décembre et impliquant le fils de Valérie Treiweiler dans une affaire de possession de cannabis. Une fuite «signée», selon le chef de l'Etat.
Une constante de la Ve République
Cette hypothèse d’une opération de déstabilisation est-elle crédible? Oui, si l’on se réfère à l’histoire politique de ces quarante dernières années. Les cabinets noirs et les officines sont une constante sous la Ve République, en particulier à droite.
Nicolas Sarkozy en sait quelque chose, lui qui se gausse ouvertement, ces derniers jours, des déboires sentimentaux de son rival. Plusieurs fois, avant d’accéder à l’Elysée, lui-même s’était dit victime de machinations.
En marge de l’affaire Clearstream, bien sûr, mais aussi en 2005, lorsque les pires rumeurs circulaient sur son couple. Le bruit d’une main courante déposée par Cécilia Ciganer-Albeniz au Val de Grâce avait alors agité les rédactions pendant plusieurs semaines.
Persuadé d’être victime d’un complot, Sarkozy s’était ouvertement offusqué du rôle de certaines officines accusées de souffler sur les braises. Il était même allé jusqu’à établir un parallèle entre ses mésaventures et l’affaire Markovic sous Pompidou, lorsque, en 1968-1969, des (fausses) photos montrant l’épouse du futur président dans des positions compromettantes enflammaient le tout-Paris.
A l’époque, l’exploitation de cette affaire scabreuse avait été attribuée au Service d’action civique (SAC), la police parallèle gaulliste où cohabitaient truands patentés et policiers ripoux. Trente ans plus tard, la référence reste très parlante à droite.
«Réseaux Pasqua» des années 80
Le SAC a été officiellement dissous en 1981 mais l’arrivée de la gauche au pouvoir n’a pas mis fin aux vieilles méthodes, loin s’en faut. Au sein de la police, les réseaux gaullistes, rebaptisés dans les années 1980 «réseaux Pasqua», sont restés très puissants.
Quand il arrive au ministre de l’Intérieur en 1986, Charles Pasqua limoge d’emblée dix-neuf directeurs de la police sur vingt. Une mainmise qui va s’amplifier sous la seconde cohabitation, à partir de 1993.
Les luttes les plus violentes opposent alors les deux clans ennemis de la droite, chiraquiens et balladuriens. En dehors des structures officielles, chaque camp peut également s’appuyer sur une pléiade d’officines fondées par d’anciens policiers, qui sont de plus en plus nombreuses à graviter autour du pouvoir.
Avec l’élection de Chirac à l’Elysée, en 1995, la paranoïa atteint son comble au sommet de l’Etat. Un véritable cabinet noir se met progressivement en place autour du secrétaire général de l’Elysée, Dominique de Villepin, et du patron des Renseignements généraux, l’incontournable Yves Bertrand.
Verrouillage sous Sarkozy
Surnommé le «Hoover français» pour sa longévité à la tête des RG, Bertrand a passé douze ans à la tête du service, survivant à deux cohabitations et huit ministres de l’Intérieur. Consignant le moindre bruit de couloir susceptible d’être exploité, il a longtemps griffonné ses ragots sur des petits carnets à spirales et rencardé quelques journalistes triés sur le volet.
C’est la grande époque des «blancs», ces notes non signées dans lesquelles figuraient toutes sortes d’informations sensibles, vraies ou fausses. Le nom de Nicolas Sarkozy, considéré comme un traître depuis son ralliement à Balladur en 1993, figure en bonne place dans ces carnets. «Je vais redevenir le patron de ceux qui font des enquêtes sur moi», menace ce dernier en 2005, avant d'obtenir la tête d’Yves Bertrand dès son retour place Beauvau et de sortir indemne de l’affaire Clearstream.
Une fois à l’Elysée, Sarkozy verrouillera à son tour un peu plus la police et les services de renseignement. Symbole de cette emprise: la nomination de Bernard Squarcini à la tête de la toute nouvelle DCRI, fusion des RG et de la DST. Pour protéger son patron, le «Squale» ne reculera devant rien, n’hésitant pas à faire les «fadettes» d’un journaliste afin d’identifier sa source dans l’affaire Woerth-Bettencourt (le procès est fixé au 17 février prochain).
Outre Squarcini, Nicolas Sarkozy a également réussi à placer ses affidés à tous les postes clefs: Frédéric Péchenard comme directeur général de la Police nationale (DGPN), Michel Gaudin à la Préfecture de police de Paris et Claude Guéant au secrétariat général de l’Elysée puis au ministère de l’Intérieur. Rarement un chef de l’Etat avait eu une telle mainmise sur l’appareil policier.
Reconversions et liens étroits
En arrivant à l’Elysée, en mai 2012, François Hollande affiche sa volonté de rompre avec les cabinets noirs et les vieilles méthodes sarkozystes. Mis sur la touche, les principaux pontes policiers se sont depuis reconvertis. Frédéric Péchenard est désormais engagé dans la campagne municipale de Nathalie Kosciusko-Morizet dans le XVIIe arrondissement de Paris. Bernard Squarcini travaille comme «consultant» pour le compte de LVMH. Et Michel Gaudin officie désormais comme directeur de cabinet de l’ex-chef de l’Etat.
Mais tous ont conservé des liens étroits avec de nombreux policiers et continuent à entretenir leurs réseaux à l’Intérieur. Et en dépit de l’alternance, la «maison Poulaga» reste largement acquise à la cause sarkozyste.
Pour assurer la transition avec son prédécesseur sans donner l’impression de mener une chasse aux sorcières, Manuel Valls a préféré s’accommoder de cette situation en redistribuant les postes au compte-gouttes. Mais l’affaire Hollande-Gayet vient rappeler la fragilité de ce dispositif.
Le ministre de l’Intérieur pouvait-il ignorer les escapades de François Hollande rue du Cirque et les «antécédents» de l’appartement? Au-delà de la question de la sécurité présidentielle, c’est aussi celle de la loyauté des services de police qui est aujourd’hui posée. En première ligne: le GSPR (Groupement de sécurité de la présidence de la République), où des fidèles de l’ancien chef de l’Etat sont encore en poste. «Il y a des gens qui étaient au GSPR du temps de Sarkozy, qui ont des informations et qui doivent les transmettre à leurs amis», a déploré François Hollande, selon le Canard Enchaîné.
«Dans cette affaire, la sécurité du Président n’a jamais été menacée», s’est défendu de son côté Manuel Valls. Le ministre de l’Intérieur rappelle qu’à son arrivée place Beauvau, il a lui-même reformaté le service de protection en réaffectant des gendarmes à l’Elysée. Exactement comme lors de l’alternance de 1981, quand François Mitterrand se méfiait trop de la police, jugée totalement gangrénée par le SAC.
Emmanuel Fansten