On s’attendait à un mariage bien arrosé. On s’y attendait même depuis des mois. Mais pas avec ce fiancé-là! Tous les acteurs majeurs de l’industrie du whisky lorgnaient avec concupiscence sur l’américain Jim Beam Inc, mais les observateurs voyaient plutôt s’écharper les deux leaders des spiritueux, le britannique Diageo et le français Pernod-Ricard, pour conduire la belle à l’autel, quitte à la réduire en morceaux à se partager sous la pression des juges anti-trust. Et voilà qu’un troisième larron est venu piquer la mariée.
Le Japonais Suntory Holdings a lâché 16 milliards de dollars pour payer l’alliance de sa dulcinée. A ce prix-là, ce n’est plus de l’or mais du platine serti de diamants: le groupe nippon rachète la moindre action de Beam 25% au-dessus de sa valeur, soit 83,50 dollars, s’imposant au passage comme le numéro 3 mondial des spiritueux.
Les deux trousseaux se complètent: Suntory possède notamment Yamazaki, Hakushu, Hibiki, Morrison-Bowmore (Bowmore, Auchentoshan, Glen Garioch) – de quoi faire saliver tout amateur de whisky qui n’a pas fait vœu d’abstinence –, mais aussi Orangina-Schweppes, des bières, du vin.
Beam de son côté, apporte en dot de belles marques sur les trois segments qui connaissent les plus fortes croissances: le bourbon (dont le plus vendu au monde, Jim Beam, ainsi que Maker’s Mark, Knob Creek, Baker’s, Old Crow, entre autres), qui excite plus que jamais le marché, le whiskey irlandais (Kilbeggan, Connemara, Tyrconnell, Greenore) et le whisky canadien (Canadian Club, Alberta Distillers). Ainsi que les scotchs Laphroaig, Ardmore, Teacher’s, la tequila Sauza ou le cognac Courvoisier.
Cette acquisition prouve l’incroyable dynamisme du whisky japonais. Suntory, qui créa en 1923 la première distillerie sur l’île du Soleil-Levant, Yamazaki, est resté un groupe au capital familial, qui voit vieillir, et surtout rétrécir, la demande intérieure, mais dont l’excellence des eaux de vie dépasse les frontières. Aller draguer à l’exportation devenait une nécessité, et tant qu’à se caser, autant épouser une entreprise américaine et empocher une précieuse green card.
Ce mariage va lui permettre de booster la présence de ses marques aux USA, le plus grand marché mondial en valeur pour le whisky (la France, moins regardante en qualité, restant leader en volume), tout en embellissant son tableau de chasse et en lui générant un revenu annuel de 4,3 milliards de dollars.
Le contrat pré-nuptial devrait être finalisé au 2e trimestre, après accord des actionnaires et des autorités de régulation. Il peut certes encore capoter, même si aucun analyste sérieux n’y croit. Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais. Anyone? Personne? A vrai dire, tout le monde a fini par s’habituer aux mouvements de concentration dans les spiritueux. Même la presse populaire américaine ne craint plus de voir un good old bourbon pur Kentucky depuis 7 générations passer sous drapeau nippon. Un saké progrès (1).
Christine Lambert
(1) Oui, je sais…