La France vient de vivre quelques tristes journées au rythme de «l’affaire Dieudonné». Laquelle, aux dires mêmes de l’intéressé, serait désormais terminée. Il a annoncé l’abandon de son «spectacle», Le Mur, interdit à plusieurs reprises par les préfets, interdiction validée par le Conseil d’Etat. Si telle est la conclusion de cette «affaire», elle est heureuse. Car il s’agissait d’un «spectacle» au contenu négationniste et antisémite. Conformément à la vision du monde de celui qui, d’humoriste, s’était progressivement transformé en propagandiste d’une doctrine qui désignait les juifs comme la cause de tous les maux de la planète, que nos pays ont déjà subis dans l’Histoire, et qui porte un nom: le nazisme.
Telle était bien la question posée: à partir de quand allait-on prendre la mesure des dégâts que cette propagande pouvait faire auprès d’un public de plus en plus large? Avec pour signe de ralliement une «quenelle», c’est-à-dire le salut nazi contrarié, celui du dictateur dans le film de Stanley Kubrick Docteur Folamour.
Peut-être est-ce là le seul service rendu par Nicolas Anelka qui avait salué un but marqué par ce geste de «solidarité» avec Dieudonné: les footballeurs pour nombre de jeunes sont des modèles. Cela a sans doute convaincu ceux qui hésitaient encore. Il était donc temps de réagir.
Des propos antisémites répétés à l’envi depuis des années
Mais comment réagir? Deux thèses se sont affrontées. Celle du ministre de l’Intérieur et du gouvernement qui ont décidé d’interdire la répétition des «spectacles» de Dieudonné; celle de la Ligue des droits de l’homme pour qui l’arsenal judiciaire existant était suffisant. C’est un peu facilement tirer un trait sur l’impunité de fait dont bénéficie depuis des années Dieudonné. Elle lui a permis de prospérer et d’attirer un public crédule, adepte des théories du complot simplistes, en recherche de bouc émissaire facile à son mal être ou déjà acquis aux thèses communes de l’extrême gauche et l’extrême droite.
Remarquons au passage que l’Etat de droit a parfaitement fonctionné. L’interdiction demandée au préfet par une circulaire du ministère de l’Intérieur a été soumise au juge administratif, en urgence, comme il est normal en première instance puis en appel devant le Conseil d’Etat. Lequel s’est prononcé dans la continuité de sa jurisprudence, celle-là même qui l’avait conduit en 2002 à refuser qu’il soit fait obstacle à la tenue de l’université d’été du Front national; une jurisprudence qui est protectrice des libertés, mais qui devait, en la circonstance, invoquer le respect de la dignité humaine comme une composante de l’ordre public.
Laissons donc de côté ceux qui ont applaudi lorsque le tribunal de Nantes a décidé d’autoriser le «spectacle» et qui ont ensuite crié au scandale lorsque le Conseil d’Etat a confirmé l’interdiction. Les opposants à l’interdiction ont fait valoir qu’il s’agissait non d’une sanction mais du rétablissement d’une censure a priori. Donc d’un recul grave des libertés.
Raisonnement contestable. Le recul grave pour la société et la dignité humaine, c’est de tolérer le négationnisme et l’antisémitisme sous le couvert de la liberté d’expression. Ce serait même une certaine forme de lâcheté. Car personne n’est dupe de la toxicité des propos prononcés depuis des années par Dieudonné. Et il les répétait à l’envi à chacun de ses meetings-spectacles et notamment dans le dernier, Le Mur. On en connaît précisément le contenu puisqu’il a été joué chaque jour ou presque depuis des mois. Il ne s’agit donc plus de prévention mais de sanction. Il n’y a pas de censure a priori, mais protection de la société contre un cancer.
Encore à l’appui de la décision de l’interdiction, il faut rappeler que dans toutes les démocraties dignes de ce nom existent des dispositions qui prémunissent contre le retour d’une idéologie barbare et mortifère. La Cour européenne des droits de l’homme, elle-même, prévoit des restrictions proportionnées à la liberté des réunions.
Une impunité organisée
L’arrêt du Conseil d’Etat ne vaut, bien sûr, que dans des circonstances précises, celles qui étaient invoquées à Nantes, à Tours, puis à Paris. Et surtout, l’interdiction fait suite à un constat: les poursuites habituelles, notamment au titre de la loi Gayssot qui réprime le négationnisme et l’antisémitisme, ont été rendues inopérantes pour une raison que l’on ferait mieux de ne pas oublier: Dieudonné avait organisé son insolvabilité, donc son impunité.
Dans cette affaire, il est regrettable que la petite politique, dans les médias notamment, l’ait emporté sur le débat: Manuel Valls s’est retrouvé en position d’accusé. Interdire Dieudonné, c’était le transformer en «victime», comme si la victime principale de la perpétuation de ce «spectacle» n’était pas la société française elle-même en danger de voir se développer une propagande abjecte. On parle souvent de «vivre ensemble». Ce «vivre ensemble» passe, faut-il le rappeler, par le respect de valeurs fondamentales, donc d’interdits absolus que sont le négationnisme et l’antisémitisme.
Jean-Marie Colombani