David Cameron a fait le malin dans une tribune au Times en vantant les succès de sa politique qui «tourne le dos» à celle des emprunts et de la dépense publique, il visait, sans le dire, la France. Le Premier ministre de Sa Majesté n’a pas tort: c’est vrai que sa politique est à l’opposé de la française. Mais il va un peu vite en besogne en se couronnant de succès. La reprise est là, outre-Manche, mais sa bataille est loin d’être gagnée.
La bonne surprise est arrivée au tournant de l'été: l'économie britannique repart. Au printemps encore, les perspectives étaient grises.
L'organisme public indépendant, l'Office for Budget Responsibility (OBR), tablait sur 0,6% de croissance cette année. Mieux qu'en France certes (0,2%), mais ce chiffre s'ajoutait outre-Manche à trois années de quasi-stagnation avec des trimestres en récession. David Cameron, arrivé au pouvoir en 2010 pour mettre fin à l'échec de la gauche, était accusé d'avoir fait pire.
Ouf! Aux deuxième et troisième trimestres 2013, l'économie accélère à un rythme annuel de près de 3%. L'année se termine par un inattendu 1,4% et, sur sa lancée, la croissance atteindra 2,4 % en 2014, selon l'OBR. Grosso modo autant qu'aux Etats-Unis. La France ne sera qu'à 1%, l'Allemagne à 1,6%.
«Les durs sacrifices commencent à payer»
La Grande-Bretagne paraît sortie de la crise. Le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, s'est précipité à la Chambre des communes pour se féliciter: «La politique du gouvernement est un succès.» Et d'aligner les bonnes nouvelles: le chômage recule à 7,6%, la consommation est solide et l'Etat va engranger un surcroît de recettes de 8,6 milliards de livres (11 milliards d'euros), exactement la somme qui va, au contraire, manquer au gouvernement français par rapport à ses prévisions!
Les projections budgétaires meilleures, couplées avec le calme qui revient sur l'inflation, vont faciliter la tâche de la Banque d'Angleterre et lui permettre de ne pas remonter ses taux et de ne pas arrêter les achats massifs de dettes d'Etat. A l'inverse de l'hiver du mécontentement 1978-1979, celui de 2013-2014 commence pour le gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté comme celui du contentement.
«Les durs sacrifices commencent à payer», s'est réjoui le chancelier. Cette reprise met fin à trois ans de très vives polémiques outre-Manche sur la politique d'austérité.
Quand David Cameron gagne les élections, en mai 2010, le déficit public atteint 10,9% du PIB. Le Labour avait investi des milliards pour refonder les services publics et, comme tous les autres pays lorsque la crise est intervenue en 2008, a voulu «relancer» par un surcroît de dépenses.
Le nouveau Premier ministre décide de faire un complet demi-tour. Il coupe dans toutes les dépenses, sauf l'hôpital et l'éducation. L'investissement public est sabré de 30% et les effectifs de fonctionnaires seront réduits d'un demi-million sur cinq ans.
Cette austérité est réelle: de 2010 à 2013, le déficit structurel (hors effet de la conjoncture) est réduit de 4,3 points de PIB, le plus gros «sacrifice» en Europe après la Grèce et le Portugal. Les quatre cinquièmes de cet effort viennent de la réduction des dépenses et le reste de hausses d'impôts, dont la TVA. Le déficit britannique demeure quand même l'un des plus hauts: 6,8% cette année (4,1% en France).
Selon l'espoir de Cameron et Osborne, le secteur privé, un entrepreneuriat neuf, allait prendre le relais du secteur public pour tirer la machine économique. Le mode de croissance allait changer: moins de consommation mais plus d'investissements et d'exportations. Un mélange de macro à l'allemande et de micro à la californienne.
La Grande-Bretagne va mieux, pas les Britanniques
Mais, trois ans après l'alternance au 10 Downing Street, rien de tel ne se passait. Seul l'emploi donnait satisfaction, le taux de chômage n'était pas parti à la hausse. Mais les critiques relevaient qu'il s'agissait pour beaucoup de la transformation accélérée de bons jobs en jobs à temps partiel ou temporaires...
C'est dire combien la surprise de ces derniers mois est bienvenue. Le regain de croissance a forcé les travaillistes à changer d'angle de tir: ils dénoncent désormais la stagnation des revenus, la pauvreté et les taxes sur l'énergie. Leur slogan pour les élections dans dix-huit mois est devenu: la Grande-Bretagne va peut-être mieux, mais pas les Britanniques.
Pour le gouvernement, la victoire est belle, mais elle est très fragile. La reprise vient d'abord de la politique monétaire très activiste. Les ménages empruntent pas cher et ils tirent sur leur épargne: la consommation aura crû de 1,6% cette année au lieu de stagner. Soutenu par des garanties publiques, le marché immobilier est à la fête, avec des transactions en hausse de 23% et des prix de 3,8% sur un an.
Troisième facteur positif: le retour aux bonnes affaires dans la City, les banques retrouvant des profits d'avant-crise. La reprise britannique est avant tout une reprise londonienne.
Loin d'être redevenue compétitive
Le tableau est pour le reste contrasté. L'ensemble des dispositifs pour faciliter la vie des entreprises semble porter ses fruits. Le chiffre d'affaires des PME est en avance de 7% cette année et de 12% attendus pour 2014. L'activité industrielle est au plus haut depuis 1995: 1,3 million de voitures auront été produites cette année (+5,4%). Relevons que la Grande-Bretagne va bientôt doubler la France dans ce secteur...
Pour autant, le pari de Cameron de changer le modèle de croissance n'est pas gagné. La confiance des ménages est revenue, mais leur portefeuille reste dégarni: le revenu moyen est en baisse, les inégalités se creusent, ce qui arme les attaques du Labour. L'OBR résume en jugeant que la reprise n'est encore que «cyclique» et qu'«elle n'indique pas un potentiel accru de croissance».
Il faudrait que l'investissement privé reparte enfin, or, il aura à nouveau reculé cette année et ne retrouverait des couleurs qu'en 2014. Ces investissements manquent à la fois pour redynamiser la productivité britannique, défaillante, et aider à l'exportation, l'autre grand motif de faiblesse. En clair, la Grande-Bretagne est loin d'être devenue compétitive et conquérante.
Eric Le Boucher
Article également paru dans Les Echos