Imaginez que l’on vous propose le bulletin de vote idéal. Un bout de papier qui vous dispenserait de la corvée de choisir entre des candidats aux mines plus ou moins patibulaires, de lire leurs programmes soporifiques, de soupeser leurs turpitudes, de les écouter se contredire en proférant les mêmes banalités? Un rectangle magique qui vous donnerait la garantie absolue de ne jamais regretter votre vote, d’être certain de ne pas avoir soutenu un menteur, un corrompu ou un incapable?
Réjouissez-vous, électeur vivant ces heures sombres de notre démocratie représentative, ce bulletin providentiel s’apprête à être officiellement reconnu par la République: c’est le «vote blanc». Une proposition de loi en ce sens, déposée par le député (UDI) de Côte d’Or François Sauvadet, a été adoptée par l’Assemblée nationale, en deuxième lecture, le 28 novembre et devrait achever son parcours législatif en début d’année 2014.
En ces temps de discrédit de la chose publique, l’idée d’accorder un statut juridique au vote blanc bénéficie d’un préjugé favorable. Une démoralisante crise de l’offre politique, aggravée par le nombrilisme de la plupart des partis, pousse de nombreux citoyens à des comportements, plus ou moins radicaux, de rejet des rituels électoraux.
Le blanc, c’est tendance
Les groupes qui militent en faveur de la reconnaissance du vote blanc s’indignent d’abord que cette option soit, en l’état actuel des choses, confondue avec les «votes nuls» (bulletins raturés, déchirés, voire même maculés de substances diverses). On oppose parfois à l’abstentionniste coupable de se soustraire à son devoir électoral le courageux citoyen qui prend la peine de se rendre au bureau de vote afin de manifester son civisme contestataire.
Le politologue Alain Lancelot célébrait, dés les années soixante-dix, cette «part la plus exigeante de l’électorat» composée d’individus «suffisamment habiles» pour distinguer «les nuances d’un choix et en peser les implications» au point de s’y refuser in fine. On verra plus loin que cette vision élitiste est tout de même contestable.
Toujours est-il que les «votes blancs et nuls» progressent tendanciellement. Ils ont battu leur record absolu au second tour de l'élection présidentielle de 2012 avec pas moins de 2.154.956 bulletins, soit 5,8% des votants et 4,7% des inscrits. Même au premier tour de ce scrutin, ils totalisèrent 701.190 bulletins, c’est-à-dire un peu moins qu’Eva Joly (828.345) mais un peu plus que Nicolas Dupont-Aignan (643.907). A Caen, aux élections municipales de 2001, une liste prônant exclusivement la reconnaissance de ce type de bulletin avait recueilli 8%... des suffrages exprimés.
L’aspiration à une prise en compte du vote blanc est en lien étroit avec l’insatisfaction à l’égard du système institutionnel. Ses promoteurs prétendent qu’elle permettrait de faire reculer l’abstention. D’autres ajoutent qu’elle offrirait une alternative aux électeurs excédés tentés, les malheureux, de voter aux «extrêmes».
Touche pas à ma légitimité
Ces effets attendus sont très loin d’être assurés. Une pleine reconnaissance du vote blanc aurait, en tous cas, pour conséquence de porter un coup à la légitimité symbolique du vote.
C’est bien pour cette raison que la classe politique se montre d’une extrême méfiance à ce sujet. Pas moins de 26 propositions de loi relatives au vote blanc ont été déposées depuis vingt ans sans qu’aucune ne soit finalement couronnée de succès.
Il convient ici de distinguer soigneusement deux types de reconnaissance juridique du vote virginal. A un premier niveau, il s’agit seulement de distinguer, dans les procès-verbaux, entre votes blancs et votes nuls. Le tableau des résultats y gagne en précision d’information mais la règle du jeu électorale demeure identique.
Toute autre est la comptabilisation des votes blancs au sein des «suffrages exprimés». Reconnaître au non-choix un statut identique aux votes exprimés serait lourd de conséquences. François Hollande n’aurait pu être élu président de la République en 2012 puisqu’il n’avait été choisi que par 48,6% des votants (suffrages exprimés plus blancs et nuls). Pareille mésaventure serait arrivée à Jacques Chirac en 1995, élu avec tout juste 49,5% des votants. Rappelons que l’article 7 de la Constitution dispose que «le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés».
Cette règle pourrait certes être modifiée. Mais ce serait briser l’épreuve symbolique du franchissement de la barre des 50% des suffrages exprimés, intimement liée au sacre du suffrage universel. Une crainte, dans l’esprit des élus, qui vaut pour d’autres scrutins. Voilà pourquoi la loi prête à être définitivement adoptée admet un comptage particulier des votes blancs sans pour autant les intégrer dans les suffrages exprimés.
Contestation de basse intensité
Faut-il déplorer une telle timidité? Observons tout d’abord l’inclusion du vote blanc dans les suffrages exprimés, au-delà des contradictions logiques à laquelle elle expose, aurait des conséquences paradoxalement favorables aux partis les plus puissants. En élevant les effets de seuils, souvent calculés sur les «exprimés», elles réduirait la représentation des formations marginales à la proportionnelle.
Ce n’est pas un hasard si les cas de reconnaissance pleine et entière du vote blanc à l’étranger sont rares et souvent de peu de conséquences pratiques. Le Pérou fait exception avec un dispositif prévoyant l’annulation d’un scrutin si... plus des deux tiers des bulletins sont blancs! La barre est placée bien haut pour ne pas demeurer théorique.
Concrètement, ceux qui votent blanc ne sont pas aussi politisés que ses zélateurs se l’imaginent. Une enquête du Cevipof indiquait qu’une majorité d’entre eux se réfugient dans ce non-choix par manque d’information et d’intérêt pour le scrutin. C’est notamment le cas dans les zones rurales où il est mal vu (et visible) de bouder l'isoloir.
Parions que la comptabilisation séparée des votes blancs ne les favorisera guère. Les électeurs mécontents préfèrent souvent affubler leurs bulletins de mentions vengeresses ou de propos peu amènes qui expriment leur douloureux ressenti politique. Cette prose parfois très crue, et d’ailleurs conservée, peut être considérée comme une source précieuse d’information alors que le bulletin immaculé exprime une contestation de basse intensité qui restera à jamais énigmatique.
Ajoutons que la contestation de masse de l’offre politique se manifeste d’abord et avant tout par l’abstention. C’est elle, bien plus que les «blancs et nuls», qui a spectaculairement progressé au cours des dernières décennies. C’est d’elle que l’on parle -pour la déplorer plus ou moins hypocritement- lors des soirées électorales.
Les commentateurs et les acteurs seraient certes bien inspirés d’être un peu plus attentifs aux bulletins atypiques glissés dans les urnes par des citoyens insatisfaits. Mais nos politiques devrait surtout avoir le courage de calculer leurs scores par rapport aux inscrits. Ils y gagneraient avantageusement en modestie.
Eric Dupin