Économie

Le problème de l'industrie automobile française expliqué en une pub

Temps de lecture : 4 min

Faut pas se moquer des profs de maths.

Article actualisé le mardi 31 décembre à 11h30: Est-ce dû aux abus liés aux fêtes ou à la douce oisiveté des vacances scolaires, mais je n'ai guère été plus clairvoyant que le prof incriminé dans l'article. D'où une grosse erreur de virgule à la fin du texte ci-dessous (qui, certes, n'invalide pas le constat de l'absurdité mathématique de la publicité en question): j'ai en effet fondé mon deuxième calcul, qui fait intervenir pi et la TVA, sur la somme de 4,539 euros et non de 4.539 euros. En se fondant sur le bon chiffre, on n'aboutit pas si facilement à un résultat négatif, puisque l'on obtient environ 53.578 euros moins la fameuse prime, ce qui signifie qu'il faudrait que le constructeur verse environ 940 euros par année pour que l'on tombe en-dessous de zéro. Toutes mes excuses: pour me faire pardonner, j'ajouterai 2 points à votre prochaine note de devoir surveillé. T.M.

***

Même la pub s'y met: l'imagerie du prof de maths pervers et antipathique est désormais un argument marketing destiné à vanter la simplicité de certains services et la lisibilité des factures proposées. C'est ainsi que Citroën a choisi de mener l'une de ses dernières campagnes, destinée à promouvoir la TVA à 0% (sous conditions, évidemment).

Mais je crois que tous mes collègues tiennent ici leur vengeance: une brève analyse du spot en question permet de prendre conscience de l'état désastreux de l'industrie automobile française.

Voici le problème soumis par le «héros» de la publicité Citroën à ses élèves médusés:

Pierre achète une voiture neuve dont le prix est la racine carrée de 72.400 euros moins le tiers de 2427. Bien.

Paul, lui, achète un modèle à 4.539 euros multipliés par pi au carré, auxquels il doit ajouter la TVA à 19,6%, d'accord, et soustraire une prime proportionnelle à son âge sachant qu'il a 57 ans.

Dire qui, de Pierre ou de Paul, fait la meilleure affaire. Vous avez quatre heures.

Avant même de se consacrer à la résolution de ce problème supposément épineux, pointons quelques aberrations qui prouvent que cet enseignant est la honte de son métier et qu'il est à peu près aussi crédible que les héros des Profs (dégradante série de bandes dessinées devenue un succès gênant du cinéma français sous la houlette de Pierre-François Martin-Laval).

Tout d'abord, l'état du tableau. Sinusoïdes approximatives, gribouillis dans tous les coins: surchargé, illisible, il ressemble davantage à une œuvre d'art moderne qu'à un support de travail pour aspirants matheux. Ensuite, le choix des prénoms. Pierre et Paul. Sérieusement? Comment jouer la modernité et l'ouverture avec de tels prénoms? Les manuels de mathématiques ont au moins compris cela: par exemple, le livre avec lequel je travaille en classe de sixième est animé de part en part par une petite Maréva, et les héros des premiers exercices se prénomment Mario, Robbie, Titouan et Salima.

Je passe sur les scories («bien», «d'accord», à proscrire pour éviter que tous les petits blagueurs de la classe finissent par vous imiter pour amuser la galerie), sur ce «vous avez quatre heures» exprimant assez clairement la jouissance éprouvée par ce bourreau qui n'aime rien tant qu'observer les mines déconfites de ses élèves, et sur le fait que ce type n'est même pas capable de noter clairement l'énoncé au tableau. Car le meilleur est à venir.

Figurez-vous que d'après mes calculs (qui ne prennent pas du tout quatre heures, mais seulement une poignée de minutes), l'enseignant en question est si incompétent qu'il fournit à ses élèves un énoncé aussi incomplet qu'aberrant.

Intéressons-nous d'abord au prix de l'automobile de Paul. Si on retranche le tiers de 2.427 (c'est-à-dire 809) à la racine carrée de 72.400 (soit environ 269,07), on obtient ce curieux résultat: la voiture neuve de Paul lui a coûté environ... -539,93 euros. Je vous laisse, je vais acheter un million de voitures de cette marque et je reviens.

Chez Pierre, le calcul est à la fois plus compliqué et plus mystérieux. Commençons par multiplier 4.539 par le carré de pi, puis par ajouter les 19,6% de TVA (pour cela, on multiplie par 119,6 et on divise par 100). Il faut ensuite soustraire une prime proportionnelle aux 57 ans de ce cher Pierre... ce qui ne veut rien dire si le professeur ne donne pas plus d'informations. Combien économise-t-on suivant son âge? Ce prof si antipathique oublie de le dire… mais quelle que soit la valeur de la donnée manquante, on risque de nouveau de tomber dans des valeurs négatives.

Il suffit que la marque offre 1 euro par année, donc 57 euros en ce qui concerne Pierre, pour que la somme due finisse en dessous de zéro: dans ce cas, Pierre repartirait non seulement avec une voiture neuve, mais également avec un chèque d’environ 53,58 euros.

Se dégagent alors plusieurs hypothèses pouvant expliquer l’incongruité totale du problème énoncé plus haut. Soit le spot publicitaire est un appel à l’aide déguisé de la part de Citroën, qui hurle sans le savoir sa peur de voir le marché automobile français s’effondrer encore un peu plus et filer vers la banqueroute… soit j’ai mal évalué le professeur, qui souhaite en fait que ses élèves exploitent les quatre heures d’épreuve pour affûter leur esprit critique, contester la pertinence de l’exercice et proposer spontanément un énoncé plus judicieux.

Cela pourrait donner :

Pierre achète une voiture neuve dont le prix est le produit de la racine positive de l’équation 1,4 x2 – 5000 x + 3 et de la racine carrée de 54,76.

Paul, lui, achète le même modèle, dont le prix est le quotient de l’exponentielle de 15 par la somme des entiers de 0 à 15, auquel on ajoute la TVA à 19,6% puis auquel on soustrait une prime égale à 108 fois l’âge de Paul, sachant qu’il a 57 ans.

Dire qui, de Pierre ou de Paul, fait la meilleure affaire.

Ne soumettez pas ce problème pendant le repas du 31, vous risqueriez de recevoir des coquilles d'huîtres et autres projectiles.

Thomas Messias

Newsletters

Les grandes entreprises françaises n'ont rien à envier à «Succession»

Les grandes entreprises françaises n'ont rien à envier à «Succession»

Les Arnault, les Mulliez, les Dassault… La France n'échappe pas à une règle qui se vérifie à travers le monde: son économie est dominée par de grandes familles.

Panique bancaire: la faute aux réseaux sociaux?

Panique bancaire: la faute aux réseaux sociaux?

La crise de confiance et la viralité des réseaux expliquent les récentes secousses bancaires.

Banques en faillite, établissements qui trébuchent... Doit-on vraiment paniquer?

Banques en faillite, établissements qui trébuchent... Doit-on vraiment paniquer?

Après les soubresauts bancaires outre-Atlantique et le sauvetage du Crédit Suisse, les mesures nécessaires ont été prises et les risques de contagion à notre système bancaire sont extrêmement faibles, selon le discours officiel.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio