Usain Bolt vient de remporter, jeudi 20 août, la finale du 200m des championnats du monde d'athlétisme de Berlin en 19''19, écrasant ainsi son propre record du monde sur la distance. Il avait déjà battu son propre record du monde et glané le titre de champion du monde sur la discipline reine, le 100m, dimanche 16 août. En moins d'une semaine, Bolt vient de confirmer qu'il fait bien partie des plus grands sportifs de tous les temps. L'article ci-dessous revient sur ce qui fait la marque des champions de légende.
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Roger Federer, Tiger Woods, Usain Bolt, Michael Phelps, Lance Armstrong. Cinq champions d'aujourd'hui. Cinq champions au sommet de leur discipline. Cinq champions de légende. Cinq champions dans l'actualité.
Le premier est peut-être devenu, dimanche 5 juillet, le plus grand champion de tennis de l'histoire en remportant le 15e tournoi du Grand Chelem de sa carrière. Le second est tout proche des 18 victoires de Jack Nicklaus qu'il surpassera très vite selon nombre d'observateurs. Le troisième, sprinteur aux semelles de vent, vient de battre le record du monde du 100m en 9s58 dimanche 16 août aux championnats du monde de Berlin. Le quatrième a conquis huit médailles aux Jeux Olympiques de Pékin. Quant au cinquième et dernier, à 38 ans, il termine sur le podium de la Grande Boucle, dont il est septuple vainqueur, alors qu'il sort à peine d'une retraite de plus de trois ans.
C'est le paradoxe du sport. Il nous fait nous interroger en permanence en raison des affaires de dopage qui émaillent son quotidien. Certains auront toujours des doutes sur Lance Armstrong, Roger Federer, Tiger Woods, Usain Bolt et Michael Phelps tant il n'est pas «normal» de se constituer des palmarès de la sorte. Mais le sport réussit encore à nous surprendre. Et à nous subjuguer, en nous proposant de voir évoluer, en même temps, cinq phénomènes qui sont peut-être les plus grands que leur sport -et donc le sport- ait connus. Comme si nous vivions une sorte d'âge d'or avec ces cinq maestros au cœur des années de plomb de la triche.
Au-delà de leur «monstruosité», notamment en termes de régularité dans les résultats, et des questions qu'elle peut engendrer, qu'est-ce qui rend ces cinq-là si différents des autres ? La même chose qui rendait Michael Jackson si spécial, y compris à 48h de sa mort, comme nous l'ont montré les images de ses ultimes répétitions au Staples Center de Los Angeles : le mouvement. La précision de l'exceptionnelle gestuelle de Jackson était encore intacte malgré l'état de santé dans lequel il semblait se trouver. Jusqu'au bout, elle est restée sa signature.
Personne n'a jamais aussi bien bougé sur un court que Roger Federer -allez peut-être à égalité avec Steffi Graf dont le jeu de jambes était également digne d'un ballet du Bolchoï. Le swing de Tiger Woods est jugé inégalable à cause de la flexibilité étonnante de son dos qui lui permet de frapper la balle sans donner le sentiment de forcer -il l'envoie en moyenne à une vitesse de 290km/h quand ses rivaux se contentent de 257km/h. L'ampleur des foulées chaloupées d'Usain Bolt qui avale, dit-on, 2,70m à chaque enjambée, et le catapultent à la vitesse de l'éclair des starting-blocks à la ligne d'arrivée. Michael Phelps tire toute sa puissance d'un battement de dauphin unique qui le propulse dans l'eau tel un Superfish, son surnom. Le coup de pédale de Lance Armstrong est, lui, jugé phénoménal grâce à une fréquence élevée et une utilisation répétée de la danseuse. Tous ont cette souplesse et ce rythme qui n'appartiennent qu'à eux et leur permettent d'allier puissance et légèreté, qualités au centre de leur exceptionnelle réussite et de celle d'anciennes gloires du sport comme Pelé, Carl Lewis, Diego Maradona ou Muhammad Ali. Ali ne disait-il pas, en parlant de lui-même, qu'il flottait comme un papillon et qu'il piquait comme une abeille ?
Chacun des cinq champions en question a inventé et imposé son style. Après eux, plus rien ne sera comme avant dans leur sport. Ils n'ont pas seulement fait bouger leur corps comme personne avant eux. Ils ont fait bouger les lignes. Mouvement qu'ils continuent de perpétuer en persistant à affiner les réglages de leur performante mécanique, à l'image de Michael Phelps qui, après les Jeux de Pékin, a expérimenté une nouvelle technique de coulée. Leur horizon est sans frontières. Quelle que soit l'adversité, qu'il s'agisse de l'opposition d'un adversaire ou de la survenue d'une blessure, ils continuent d'avancer. «Il ne faut mettre aucune limite sur rien, dit Phelps. Plus vous rêvez plus vous allez loin.»
Federer s'est ébroué face à la résistance de Nadal. Woods a remporté, en 2008, l'US Open sur les fairways de Torey Pines en triomphant de Rocco Mediate et d'un genou en morceaux source d'une douleur insoutenable. Bolt a fait des claquettes sous le déluge de Lausanne. Et Armstrong s'est moqué de tout ce qu'on pouvait penser de lui pour sortir de sa retraite. «J'ai réalisé certaines choses, mais je ne suis pas au bout du chemin», affirmait Bolt, samedi 11 juillet, dans les colonnes de L'Equipe Magazine. «Je ne veux pas qu'on se souvienne de moi comme quelqu'un qui a gagné trois médailles olympiques en telle année, ajoutait-il. Mais comme quelqu'un qui a marqué son temps. Je veux entrer dans la légende.» Car s'il y a bien quelque chose qui ne bouge pas chez ces cinq-là, c'est leur croyance au fait qu'ils sont les meilleurs... et que le meilleur est encore à venir. Lors de sa conférence de presse après sa victoire homérique contre Andy Roddick à Wimbledon, Roger Federer portait un tee-shirt sur lequel était écrit la phrase suivante : «Il n'y a pas de ligne d'arrivée».
Yannick Cochennec
Image de Une: Bolt vient de battre le record du monde du 200m, REUTERS/Kai Pfaffenbach