Voici plus de 25 ans, l'illustrateur Martin Handford sortait le premier ouvrage de sa série fétiche, Où est Charlie?. Des livres où les lecteurs sont mis au défi de retrouver le personnage éponyme, avec son pull-over et son bonnet à rayures rouges, dans une image bourrée d'une foule de fausses-pistes.
Pour retrouver Charlie, vous pouvez balayer la page de haut en bas ou vous concentrer sur certains endroits, où il a le plus de chances de se cacher (dans les douves d'un château, sur un ballon dirigeable). Aucune de ces méthodes n'est particulièrement efficace. D'où la question qui s'est mise à me tarauder: et s'il y avait un meilleur moyen?
Je savais que Handford avait placé un Charlie dans tous ses dessins et, d'expérience, je savais aussi que tous les gens –même quand il s'agit d'individus dont le métier consiste à cacher des personnages dans des images sournoises– ont certaines tendances à la régularité, qu'elles soient conscientes ou inconscientes.
Le hasard absolu est difficile à atteindre, même si vous le désirez très fort et, à en croire Handford, l'imprévisibilité n'est pas forcément son objectif. «Quand je travaille sur un dessin, j'ajoute Charlie quand j'ai le sentiment d'avoir trouvé un bon endroit où le cacher», avait-il expliqué à Scholastic. Dès lors, je me suis demandé s'il était possible de devenir un as de Où est Charlie? en modélisant les habitudes de Handford.
Modélisons Charlie
Pour y répondre, j'ai fait ce qu'aurait fait tout mathématicien hermétique au ridicule en public: pendant trois heures, je me suis installé dans un coin d'un coin d'un Barnes & Noble [grande chaîne de magasins de livres] et, mètre ruban en mains, j'ai compulsé les sept tomes de Où est Charlie.
Voici la cartographie née de mon expérience.
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Si cela peut ne pas sembler flagrant à première vue, mon intuition de départ –qu'il y avait un meilleur moyen de trouver Charlie– s'est révélée exacte. Bien sûr, Charlie ne se cache pas à tous les coups au même endroit, les lecteurs auraient trouvé depuis longtemps la technique si elle était si évidente.
Ce que nous montre cette carte, par contre, c'est que 53% du temps, Waldo se cache dans une des deux bandes, larges de 3,8 cm, telles que représentées ci-dessous –l'une commençant à 17,8 cm du bord inférieur de la page et l'autre à 7,6 cm.
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Ce qui fait que, pour trouver Charlie sur n'importe quelle page, une bonne stratégie consiste à vous concentrer d'abord sur ces deux bandes, avant de balayer d'autres zones. Même si ces bandes ne sont pas particulièrement étroites, elles le sont suffisamment pour ne pas rater Charlie; et, dans plus de la moitié des cas, il y sera.
Pour tester l'efficacité de ma technique, j'ai débauché deux de mes collègues de Slate pour un redoutable match de Où est Charlie?, portant sur les 11 dessins du premier tome. L.V. Anderson s'y est attelée avec la bonne vieille méthode du balayage global, tandis que Dan Kois l'a fait armé de mes observations (et d'un mètre). Cette vidéo vous montre la décisive victoire de Dan:
Vous êtes peut-être en train de vous demander: ces résultats sont-ils vraiment sérieux? Certes, il est toujours tentant de trouver des régularités là où il n'y en a pas, et c'est d'autant plus facile à faire quand il n'y a que 68 points à analyser: l'échantillon est faible. Mais la probabilité que l'une des ces deux bandes contienne plus de la moitié des Charlie est remarquablement réduite: moins de 0,3%. En d'autres termes, ces résultats ne sont pas une coïncidence. Si Charlie s'y trouve, c'est qu'il y a une raison.
(Une remarque rapide sur ma méthodologie: les livres que j'ai examinés sont les sept tomes «primaires». Si, au fil des ans, Handford a produit divers livres-jeux et autres hors-série, le canon officiel deCharlie, tel que je le définis, est constitué de ces sept volumes originaux. Par ailleurs, les versions actuelles des cinq premiers volumes sont des «Nouvelles Éditions», publiées à partir de 1998. Cela fait donc quinze ans que Charlie s'y cache. Si vous avez un Où est Charlie? sur vos étagères, il y a de grandes chances que ce soit une de ces versions. Ce qui fait que, pour mon analyse, je me suis penché sur ces éditions-là, et pas sur les éditions originales. La majorité des dessins de la série s'étendent sur une double page –d'environ 63,6 x 25,4 cm–, et je n'ai intégré que ces pages dans mon analyse).
Pourquoi es-tu là Charlie?
Pour l'instant, nous nous sommes donc occupés de la question où est Charlie. Une autre, plus troublante, reste à examiner: celle du pourquoi Charlie est à cet endroit-là. Dis-moi, Charlie, pourquoi te caches-tu le plus souvent dans ces deux bandes? Pourquoi n'es-tu que rarement dans les coins? Pourquoi ne te trouve-t-on quasiment jamais en plein milieu? Pourquoi, Charlie?
J'aurais aimé pouvoir poser directement la question à Charlie ou, à défaut, à Martin Handford, mais l'illustrateur, par le biais de son attaché de presse, n'a pas voulu être interviewé pour cet article. Ce qui ne me laisse que des conjectures pour expliquer les penchants de Charlie.
Commençons par les contraintes techniques auxquelles Handford a dû se plier dans la conception de ses livres. La plupart des doubles-pages comportent une «carte-postale» de Charlie, dans le coin supérieur gauche de l'image. Il est évident que Charlie ne peut pas s'y trouver. Pourtant, on ne tombe sur Charlie dans le coin droit qu'à quatre reprises, soit un peu moins que si sa cachette avait été placée de manière purement aléatoire. Ce qui laisse entendre que la carte-postale ne prive en rien Handford d'un quelconque territoire fétiche.
L'aversion des extrêmes et du centre
En général, Handford évite de placer Charlie tout en bas de la page, ce qui m'incite à théoriser que le placement de Charlie n'est, globalement, qu'une fonction de deux facteurs: l'aversion des extrêmes et l'aversion du centre. Si on pourrait s'attendre à ce que Charlie se cache, dans 25% des cas, à deux centimètres des bords supérieur et inférieur, dans toutes les pages, il ne s'y trouve que dans 12% des cas. Plus surprenant, le fait que Charlie soit aussi si peu souvent au milieu.
Il est possible que Handford évite les coins et le milieu par peur que cela ne ressorte pas très bien à l'impression. Pour autant, il arrive que Charlie s'y trouve, ce qui restreint la portée de cette hypothèse. A mon avis, Handord évite surtout des emplacements qui pourraient sembler trop évidents –le centre et les coins, là où les adultes et les enfants ont le plus de chances de commencer leur quête.
Mais si cela rend Charlie plus difficile à trouver pour ceux dont les yeux se dirigent spontanément vers ces endroits, une fois que vous avez compris qu'il a peu de chances de s'y cacher, votre traque n'en devient que plus facile.
Isoler de telles régularités n'est en rien une critique du travail de Handford. Si vous êtes assez fou pour suivre mes conseils et aller à la recherche de Charlie un mètre à la main, non seulement on vous regardera de travers –faites-moi confiance–, mais vous raterez aussi bon nombre des blagues visuelles, très malines, du dessinateur (une ligne d'arrivée où les coureurs arrivent des deux côtés, une arche remplie d'animaux s'envolant d'un zoo) qui font tout le sel de l'expérience Où est Charlie?, autant, sinon davantage, que la découverte du petit personnage.
Maintenant, si vous devez participer à un concours de Où est Charlie?, utilisez ma méthode. Sinon, votre chasse sera bien plus rigolote si vous faites comme si vous n'aviez rien lu.
Ben Blatt
Ben Blatt est journaliste à Slate.com
Traduit par Peggy Sastre