Économie

Services à la personne ch. modèle économique...

Temps de lecture : 5 min

Le plan Borloo de 2005 était-il trop ambitieux?

L'économie sociale est-elle soluble dans l'économie de marché? La réponse ne va pas de soi. L'histoire est édifiante même si ses proportions financières restent modestes. Société anonyme, France Domicile, l'un des spécialistes des services à la personne, évolue dans l'orbite des grosses cylindrées du monde associatif, l'Union nationale de l'aide à domicile (UNA), la Mutualité Française et l'Unccas (union nationale des centres communaux et intercommunaux).

France Domicile va perdre cette année près de 3 millions d'euros, soit la moitié de ses capitaux propres, et s'apprête à se séparer de la moitié de sa vingtaine de salariés.

A l'origine de l'aventure? Le constat des dirigeants de l'UNA que faute de se doter des outils adaptés pour relever les défis du marché de l'aide à la personne lancé en grande pompe en 2005 par Jean-Louis Borloo, le monde associatif est voué à voir son pré carré dévoré par les banques et les assureurs. Inacceptable pour l'UNA! Premier réseau associatif français d'aide aux personnes âgées et dépendantes, l'organisme fédère 1.200 associations occupant 140.000 collaborateurs. Le réseau soutient 800.000 familles chaque jour et totalise 130 millions d'heures de prestations annuelles, soit la bagatelle de 2 milliards de chiffre d'affaires de soins à domicile.

En 2006, l'UNA fait une première tentative d'incursion dans le secteur marchand en lançant France Domicile, une filiale de droit privé. C'est un échec cuisant et coûteux. Une partie des subventions versées par l'Etat dans le cadre du plan Borloo est brûlée en pures pertes tant les associations sur le terrain sont réfractaires à ce qu'elles considèrent comme une tentative de main mise sur leurs prérogatives.

SOS Détresse-Amitié

Un an plus tard, l'UNA et ses partenaires reprennent le dossier en main. La direction de France Domicile est remerciée. Renaud Desvignes, un ancien du Crédit maritime et de la Maaf, reprend le flambeau. Son credo? Surtout n'opposons pas économie de marché et économie sociale et servons-nous des armes de l'une pour enrichir l'autre. Bref, faisons comprendre aux Pierre, Thérèse et autres de «SOS Détresse-Amitié» du «Père Nöel est une ordure» qu'il est possible d'évoluer vers des services de meilleure qualité et mieux organisés pourvu d'être facturés à bon escient.

La plupart des modèles d'entreprises créés pour le marché du service à la personne sont peu adaptés. D'un coté, un monde associatif de quasi bénévoles ne comptant pas leurs heures. De l'autre, des acteurs du privé rebutés par une activité aux marges trop faibles qui exige de faire de gros volumes pour devenir rentable. Qui plus est, la plupart des nouvelles enseignes de services à la personne créées sous l'impulsion du plan Borloo fonctionnent sur le modèle de l'assistance. On mutualise les coûts pour traiter et clore au plus vite un dossier ponctuel. Or le principe du service à la personne est tout le contraire: il suppose un taux de fréquence de demandes important et une durée d'intervention la plus durable possible.

Au printemps 2007, les actionnaires de France Domicile entérinent un plan de développement digne d'une start up de la nouvelle économie. La société se conçoit comme une enseigne de producteurs de services (les réseaux d'associations) et non comme un distributeur de services comme les banques ou les assureurs bien en mal de garantir la qualité des services fournis par les prestataires. Fort de la puissance de ses parrains, France Domicile se donne dix-huit mois pour s'imposer.

Réseau social

Comment s'y prendre? En agissant comme un courtier en services à la personne qui représente le client face au réseau d'associations. Fournir le marketing, l'information, l'animation du réseau, l'expertise et la surveillance de la qualité des prestations. Une plate-forme Internet propose au client en quête de conseil ou d'aide de l'information, des blogs, des forums, des simulations de budget, d'impact fiscal, ouvre et gère les comptes clients. Les bases de données alimentées par les associations sur le terrain permettent d'avoir une analyse fiable de qui fait quoi, où et comment.

En échange, France Domicile prend une commission d'un euro sur chaque heure apportée aux réseaux. Il prouve son utilité à ces derniers en leur apportant du chiffre d'affaires supplémentaire et cible la clientèle du grand public et les grands comptes (Médéric, RMA, la mutualité des personnels d'Air France...).

Reste à boucler un budget de 5, 5 millions d'euros. Pour convaincre ses partenaires du monde associatif, le directeur général de France Domicile évoque l'idée de faire entrer des vrais capitalistes dans l'affaire. Georges Pébereau avec Marceau Investissement se dit prêt en septembre 2007 à prendre un ticket de 1 million d'euros pour 30% du capital. Mais face au risque de voir le renard introduit dans le poulailler, les trois réseaux fondateurs s'entendent pour apporter les fonds. Les promoteurs du projet récupèrent un résidu de l'aide publique du plan Borloo, des emprunts sont souscrits par la Mutualité française et l'UNA. La Macif entre à hauteur de 20% dans le capital et un cercle de partenaires financiers (Crédit Coopératif, CASDEN...) apporte 2 millions d'euros.

Viabilité du modèle économique

Las! Un an et demi plus tard, le projet France Domicile tarde à décoller. La crise économique est certes passée par là. Elle a un impact négatif de 1,5 million d'euros sur le chiffre d'affaires 2009 prévu à 3,5 millions. Loin, très loin des 15 millions visés pour 2012. En rognant sur le pouvoir d'achat des ménages, la crise a fermé brutalement le robinet pour tout ce qui a trait aux services de confort (gardes d'enfant, cours particuliers...).  France Domicile brûle sa trésorerie pour couvrir ses frais fixes. La suppression de la moitié de ses effectifs est décidée. Mais pour Renaud Desvignes, le modèle n'est pas remis en question. Les hypothèses de montée en charge ont certes été trop ambitieuses. La valeur ajoutée apportée aux clients particuliers (sur les prix, les garanties...)  n'est pas suffisante. La vente aux particuliers est mise en veilleuse. Les feux sont poussés sur les partenariats avec les grandes entreprises (Matmut, Natixis assurances...). Le retour à l'équilibre est promis pour 2010.

Derrière ce constat, se pose en fait la question de la viabilité du modèle économique dans un secteur des services à la personne où le plan Borloo promettait la création de 500.000 nouveaux emplois. L'objectif est loin d'être atteint. Les emplois, quand ils ne sont pas supprimés, restent encore trop  précaires et partiels. Sur le papier, pourtant, tout concourt à démontrer que le marché est là. Chaque année, en France 200.000 personnes tombent totalement dans la dépendance.

Un pas vers l'autre

Jean-Louis Borloo avait lancé son plan avec en tête l'idée que seul le secteur marchand s'avérerait efficace avec son modèle fondé sur une solvabilisation de la clientèle et non plus le financement à fonds perdus des collectivités locales. Le tout en tablant sur la caution des organismes de l'économie sociale invités à jouer le jeu plutôt qu'à faire de la résistance.

Sous la contrainte, chaque monde est donc en train de tâtonner et de faire un pas vers l'autre. Prudentes, soucieuses de préserver leur image, les banques et les compagnies d'assurances ont commencé par cibler les segments de marché les plus juteux. Après les grandes professions de foi, elles paraissent aujourd'hui enfin déterminées à s'engager.

Mais le problème du financement de la dépendance reste entier. En exigeant des services récurrents et sur le long terme, il offre au secteur associatif une place incontournable. Pourvu de devenir rentable. Les associations sont conscientes du piège. Avec le vieillissement de la population, le système ne pourra pas longtemps être financé sur le seul bénévolat, les cotisations et les deniers publics. Et s'il ne s'adapte pas à une certaine forme d'économie marchande, le monde associatif sera condamné à ne plus s'occuper que des plus pauvres sans jamais être parvenu à équilibrer son modèle.

Philippe Reclus

Image de une: Mars 2007. La WII fait son entrée dans les maisons de retraite aux Etats-Unis. REUTERS/Kevin Lamarque

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