Roy Hargrove, le grand mix

Temps de lecture : 3 min

Live from Juan-Les-Pins.

Il est plus de 23 heures, lundi 12 juillet, à Juan-les-Pins. Le concert de Roy Hargrove touche à sa fin. MC Solar, qui l'avait rejoint en guest pour interpréter quelques-uns de ses textes les plus connus vient d'être rappelé sur scène pour improviser un ultime rap. L'ambiance est un peu survoltée. Après plus de deux heures de concert, Hargrove salue le public et bondit backstage. Il tourne un instant en coulisses, comme un lion en cage, avant de décider un bis. Il se concerte avec ses musiciens du RH Factor. OK pour 10 minutes. Jazz à Juan connaît son premier grand moment de la saison 2009.

Hargrove est certainement aujourd'hui l'un des musiciens de jazz les plus complets et les plus inventifs, qui aime partager avec ses pairs comme avec des nouveaux venus, dans des clubs, en studio ou dans de longues tournées comme celle qu'il effectue en ce moment en France et en Europe. Se limite-t-il à ce seul univers, pourtant largement ouvert? Non. Dans les toutes dernières semaines de la campagne électorale de Barack Obama, c'est un «Jazz Obama Band» qu'il avait dirigé à la Jazz Gallery, à New York. Le trompettiste avait alors accueilli, entre autres, pour cette occasion spéciale, Ron Blake, Steve Coleman, Marcus Gilmore, Vijay lyer, Aaron Parks, Gretchen Parlato et Matana Roberts.

Quand je lui pose la question de ce qu'il pense de l'arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche et du soutien qu'il lui a apporté, il minore immédiatement la part politique de son geste: «Je l'ai fait parce que la Jazz Gallery me l'a demandé. Pour moi, l'important, c'est de jouer avec des musiciens que j'apprécie. Si cela a aidé à rassembler des fonds pour Obama, c'est tant mieux».

Hargrove, né en 1969, appartenant à la génération venue après les grandes batailles pour l'égalité des droits civils, a toujours été soucieux de s'inscrire dans le respect, voire même la revitalisation, de l'héritage afro-américain du jazz, tout en étant réceptif aux nouvelles expériences de son temps.

C'est alors qu'il est encore lycéen à la Arts Magnet High School de Dallas, que Wynton Marsalis, devenu depuis le patron du fameux «Jazz at Lincoln Center», le repère. Très vite, Hargrove participe à des jam sessions à New York, où il intègre la New School à l'âge de 20 ans. Mais son apprentissage se fait surtout au contact de la tradition orale, à l'écoute, puis en compagnie des grands anciens: en 1991, il partage l'affiche de Carnegie Hall avec Sonny Rollins.

Puis, après plusieurs disques à son actif, il crée The RH Factor, «un groupe, écrit Vincent Bessières, dont le répertoire emprunte au R'n'B, au funk et au hip-hop et dont les albums, qui bénéficient d'une production de type pop, dans lesquels il joue également des claviers et s'essaye à chanter, accueillent une pléthore de stars en vue et l'érigent en prince du "groove"».

C'est donc la variété de ses inspirations, son énergie, et son sens du partage qui le caractérisent. L'année dernière, toujours à Juan, après avoir assuré la première partie, il avait surgi inopinément pour rejoindre le compositeur et bassiste Marcus Miller dans un beau moment d'improvisation. Cette année, MC Solaar était son invité. Mais c'est surtout ses musiciens qu'il aime mettre en avant, en les faisant chacun à leur tour sortir du groupe pour occuper le devant de la scène. Au sein du Band, composé de 17 instrumentistes, principalement des cuivres, il faut souligner la présence de sa pianiste, Renee Neufville, qui se révèle être également une chanteuse très groove, avec laquelle il fait à l'occasion un duo, comme avec Roberta Gambarini.

Trompettiste, compositeur, créateur d'un groupe (The RH Factor), leader d'un Big Band (renouvelé depuis les concerts de la Jazz Gallery), amateur de jam sessions, jazzman venant du Be-Bop, mais sans exclusive (hip-hop, rap...), musicien exigeant mais soucieux de faire partager son plaisir de jouer avec un public large, Hargrove est également chanteur. Pourquoi? «Parce que, visiblement, cela fait plaisir aux gens», nous répond-il. Que pense-t-il de ceux qui, comme Chet Baker, ont fini par chanter autant que jouer ? «J'aime beaucoup Chet Baker. Si je ne le cite pas dans mes entretiens, c'est qu'il y a tellement de musiciens dont je me sens proche!».

Hargrove a su se faire adouber par ses aînés. Il est en bonne compagnie avec les compositeurs d'autres musiques de son temps. Sur scène, il est très tonique, pratiquant volontiers des tempos saccadés, des mélodies à la limite de l'atonalité, mais toujours vives, cool, parfois intériorisées car c'est seulement incidemment qu'il se laisse aller à une certaine mélancolie, quand il interprète «Remember that September in the Rain».

Let's get Lost with Roy Hargrove.

Christian Delage

(Photo: Roy Hargrove Live @ Blue Note NYC, Thomas Faivre-Duboz / Flickr )

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