France

Trente ans de lutte, et un niveau de sida toujours élevé chez les gays

Temps de lecture : 5 min

La journée mondiale de lutte contre le sida, autrefois considérée comme un rendez-vous impossible à rater, comme le jour de la Gay Pride, a perdu toute son urgence. Pourtant, cette année, il y a eu des informations intéressantes, surtout en ce qui concerne le maintien à un niveau élevé de l'infection chez les gays.

A Puri, en Inde, le 29 novembre 2013, REUTERS/Stringer.
A Puri, en Inde, le 29 novembre 2013, REUTERS/Stringer.

Le 1er décembre, c'est la journée mondiale de la lutte contre le sida. Comme cela fait plus de 25 ans qu'on «célèbre» cette journée, l'intérêt s'est érodé.

Ce moment fort, qui était considéré comme un rendez-vous impossible à rater, comme le jour de la Gay Pride, a perdu toute son urgence. Pourtant, cette année, il y a eu des informations intéressantes, surtout en ce qui concerne le maintien à un niveau élevé de l'infection chez les gays. Et un mouvement de remobilisation semble sur le point d'apparaître.

Les années précédentes n'ont pas fourni des données statistiques aussi fines que celles apportées pour ce 1er décembre 2013. Première leçon: dans tous les pays occidentaux, le VIH se maintient à un niveau élevé chez les gays. Le New York Times annonce une nette augmentation du sexe non protégé chez les gays américains, un phénomène similaire au Canada, en Grande Bretagne, en Hollande, en France et en Australie.

En France, Le Monde s’inquiète de l’abandon du préservatif d’une manière plus polie: 6.400 personnes ont découvert leur séropositivité en 2012 selon l'Institut de veille sanitaire, un chiffre stable depuis 2007. Les hommes qui ont des relations avec les hommes restent le groupe le plus touché avec 42% (alors qu'ils ne représentent que 5 à 10% de la population).

Abandon du préservatif

L'autre groupe le plus atteint concerne les hétérosexuels nés à l'étranger (38%). Les hétérosexuels nés en France ne représentent que 17% et les toxicomanes 1%, preuve que l'épidémie s'est tarie parmi ce groupe très exposé dans les années 80.

L'info qui inquiète chaque année d'avantage est la tendance à l'abandon du préservatif chez les gays, qui se confirme. 53% déclarent ne plus se protéger systématiquement lors de leurs rapports sexuels.

L'enquête presse gays et lesbiennes 2011 (EPGL) auprès de 10.000 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, publiée dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire atteste qu'un gay sur deux seulement (47%) utilise à chaque fois la capote avec ses partenaires occasionnels. Et ceci encore plus chez les séropositifs puisque moins d'un sur 5 l'utilise pour la pénétration anale alors que c'est le rapport sexuel le plus à risque.

Les effets pervers du «je suis indétectable»

Et ceci pour une bonne raison: les séropositifs sous traitement ont souvent une charge virale indétectable, ils sont donc moins contaminants. Mais l'Institut de veille sanitaire rappelle que ce n'est pas le cas pour tout le monde.

Cette charge virale contrôlée s’est effectivement généralisée depuis l'arrivée des multi-thérapies plus efficaces (elle était de 60% en 2004 chez les personnes suivies, elle est de 75% en 2011), mais cela veut dire que 25% des personnes sous traitement ont une charge virale résiduelle dans le sang, ce qui veut dire qu'ils sont potentiellement contaminants. Donc l'argument très facile lors des rencontres («je suis indétectable») ne concerne pas tout le monde et l'épidémie française chez les gays est nourrie par les contaminations auprès de ceux qui se croient débarrassés du préservatif.

Enfin, n'oublions pas qu'entre 20.000 et 30.000 personnes séropositives en France et dans les territoires outre mer ne savent pas qu'ils portent le virus. Celui-ci, sans traitement, est beaucoup plus virulent, chez les gays comme chez les hétérosexuels.

Il est à noter aussi, ce que ne révèle pas l'étude EPGL, que le contact avec le sperme s'est énormément banalisé depuis cinq ans. Ce qui favorise une banalisation des prises de risques, au niveau du VIH, du VHC et des autres infections sexuellement transmissibles (IST).

Le foyer infectieux gay subsiste alors que tous les groupes à risques (femmes issues de l'immigration, etc.) assimilent plus rapidement le message préventif. Chez les gays, le «retour» vers le sperme entraîne une forte érosion du comportement de protection face au partenaire, à un moment où Internet favorise le multi partenariat, les prises de risques avec des pratiques hard de plus en plus communes (fist, etc.) et surtout la prise de drogues. Comme on l'avait prévu au milieu des années 2000, le message de la réduction des risques a fragilisé la prévention. La banalisation du sans capote a germé dans les esprits.

Toujours peu de dépistages rapides

Et la grande erreur stratégique des associations de lutte contre le sida a été leur timidité face aux tests de dépistage rapides. Ces derniers sont loin d'être généralisés à travers le territoire.

Beaucoup de grande villes de France dépistent encore à l’ancienne, quand il faut attendre une semaine pour avoir le rendu du test (ce qui provoque 30% de perdus de vue, ceux qui ne viennent pas chercher leur résultats).

Pour la première fois cette année, une campagne de dépistage du VIH a été lancée au niveau européen. Comme cette dépêche de Reuters le rappelle, le sida s’accroche à l’Europe malgré des systèmes de santé plus efficaces qu'ailleurs.

131.000 personnes ont été contaminées pour la seule année de 2012, une augmentation de 8% par rapport à l'année précédente. Mais ce pic des contaminations est largement dû à l'explosion du sida en Russie avec 76.000 cas et si l’on y ajoute la fragilité grandissante de l’Asie Centrale et de la Grèce, l’augmentation atteint le chiffre inquiétant de 113%.

Mais même en Allemagne, pays qui attire beaucoup de gays du monde entier pour la réputation de son clubbing, 30% des personnes porteuses du VIH ne connaissent pas leur statut car elles ne font pas le test de dépistage. De plus, 3.700 cas de syphilis ont été rapportés, dont 80% chez les gays.

«Les relations entre gays représentent les deux tiers de toutes les nouvelles contaminations» déclare Osamah Hamouda du Robert Koch Institute (RKI), une organisation gouvernementale pour la prévention des maladies sexuellement transmisses. Cependant, le nombre total des personnes récemment contaminées culmine à 3.400 pour l'Allemagne alors que la France doit faire avec le double.

Pas d'embellie en vue

Il est donc difficile d’espérer que l'épidémie européenne et américaine va se contracter. Elle subsiste, au contraire, à un plateau élevé.

L'espoir s'éloigne de voir cette transmission s'assécher d'elle-même. Année après année, c'est toujours un tiers des personnes non testées et non traitées qui reste le même, nourrissant une épidémie avec un VIH virulent.

En Guyane et dans les départements antillais, cette situation devient encore plus révoltante car elle est connue depuis plusieurs années. Loin de Paris, malgré l'aura de Christine Taubira, députée de Guyane, l'Etat n'a pas lancé de grande stratégie pour une prévention massive et surtout adaptée à la culture locale.

La Guyane reste marquée par un taux d’incidence bien plus élevé que dans l’hexagone. La situation est aussi grave à Mayotte et St-Martin.

Les prémices d'une révolte

Les dépistages y sont encore plus rares, l'accès aux médicaments aussi. Pas étonnant que cette détresse déborde sur un mouvement syndical sur le point d'exploser.

Seul point positif pour ce 1er décembre 2013, c’est peut-être un renouveau de l’engagement. L'arrivée du PS au pouvoir n'a pas fait grand chose en matière d'information dans les lycées, le dépistage traîne et la base LGBT, déçue par le trop long débat sur le mariage gay, commence à montrer de la voix.

On a l'impression que les jeunes gays en ont marre de subir le diktat de ceux qui ne veulent plus de la capote. Ils se sentent menacés. Comme rien ne change sur le front du sida, une relève est peut-être en train de s'amorcer, exacerbée, elle aussi, par le ras-le-bol.

Didier Lestrade

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