Sports

Serena Williams: quand les sportifs craquent

Temps de lecture : 5 min

Ils n'ont pas besoin d'être plus entourés, mais plutôt d'être mieux entourés.

Serena Williams face à Kim Clijsters lors d'un tournois de l'US Open le 13 septembre à New York REUTERS/Shaun Best
Serena Williams face à Kim Clijsters lors d'un tournois de l'US Open le 13 septembre à New York REUTERS/Shaun Best

Serena Williams est tombée face à Kim Clijsters (6-4, 7-5) en demi-finale de l'US Open. La rencontre s'est terminée dans la confusion après une faute de pied de l'Américaine en faveur de Clijsters dans le deuxième set. C'est alors que Williams aurait craqué: elle aurait menacé la juge de ligne, écopant d'un point de pénalité sur balle de match. «Si je pouvais, je prendrais cette balle, je te l'enfoncerais dans la gorge et je te tuerais», aurait-elle déclaré. La juge est allée rapporter les propos tenus par l'Américaine à l'arbitre principal qui a décidé d'accorder le point à son adversaire, lui offrant le match sur tapis vert.  Williams a été condamnée à la somme maximale de 10.000 dollars d'amende pour comportement anti-sportif, plus 500 dollars pour avoir brisé sa raquette.

Slate.fr republie un papier du 15 juillet 2009.

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Esprit sain dans un corps sain? La formule a visiblement fait long feu dans les rangs des sportifs de haut niveau et particulièrement dans le monde professionnel où la course à l'argent se mène de front avec celle aux records, sous le regard de plus en plus inquisiteur des médias. «L'affaire Mathieu Bastareaud» éclaire d'une lumière crue le péril que peuvent courir les sportifs face à la pression médiatique. A 20 ans, le rugbyman espoir du Stade Français n'était pas préparé à affronter ce qui était devenu une affaire d'état en Nouvelle-Zélande. A son retour en France, il a été mis sous la protection d'un service médical spécialisé.

Samedi 4 juillet, Marie-José Pérec, originaire de Guadeloupe comme Bastareaud, a poussé un cri de colère dans «L'Equipe Magazine». «Je ne comprends pas qu'après les multiples problèmes qu'ont connus les jeunes sportifs français, comme Manaudou ou Gasquet, on n'ait pas tiré les leçons de ces erreurs et que l'on n'encadre pas plus ces gamins», a déclaré l'ancienne championne olympique qui, on s'en souvient, avait elle-même craqué, en 2000, lors des Jeux Olympiques de Sydney. Elle avait choisi de prendre la fuite alors que le monde avait les yeux braqués sur elle dans l'attente de son duel avec l'Australienne Cathy Freeman sur 400 mètres.

Comme Bastareaud, Pérec, traquée par les médias, avait terminé sa course dans une clinique. «La manière de se relever de ça est très personnelle, a-t-elle ajouté. Chacun réagit selon sa force mentale, sa manière d'être. En tout cas, il va falloir être présent auprès de Mathieu. Ne pas le lâcher, c'est fondamental.»

Dépression

La dépression dans le sport est un sujet relativement tabou, rarement évoqué par ceux qui en sont victimes et généralement étouffé par les entourages. Ancien joueur du XV de France, Christophe Dominici a été l'un de ceux qui a osé en parler franchement par le biais d'un témoignage, «Bleu à l'âme», dans lequel il a décrit avec émotion ce lourd passage après le décès de sa sœur. S'effondrer en pleine carrière comme Dominici quand on est supposé incarner la toute puissance physique et mentale ou la virilité exhibée sur calendriers en papier glacé, voilà qui ne cadre plus avec l'imagerie du sportif véhiculée et vendue partout. C'est bien connu: un champion ne craque pas parce qu'il est plus fort que tous les autres. Un champion ne peut pas aller mal.

L'exemple de Dominici est intimement lié à un événement, tragique, de sa vie personnelle mais les causes d'une dépression chez un sportif sont multiples, comme l'a détaillé Serge Simon, ancien joueur de rugby lui-même et médecin, qui focalise son travail sur le suivi psychologique des sportifs dans le cadre du Centre d'Accompagnement et de Prévention pour les Sportifs (CAPS) implanté au CHU de Bordeaux. Ce CAPS assure des missions de prévention, d'accompagnement et de prise en charge des difficultés psychopathologiques liées à la pratique sportive. Six types de problèmes y sont traités: prévention et lutte contre le dopage, mauvaise gestion du stress, préoccupations liées à l'image corporelle et à la performance, troubles anxieux et dépressifs, troubles du comportement alimentaire et surinvestissement sportif et dépendance à des produits ou à la pratique elle-même.

Etre un sportif de haut niveau, ou un apprenti champion dans un sport-études, c'est être, en effet, sur une corde raide en permanence. C'est parfois jouer son destin sur une course, sur un saut ou sur une balle avec des séquelles qui peuvent être dévastatrices en cas d'échec mal digéré - on l'a vu avec le joueur de tennis argentin Guillermo Coria qui a complètement plongé psychologiquement après être passé à un point de la victoire à Roland-Garros en 2004.

Médiatisation

C'est aussi se retrouver brutalement catapulté sur le devant de la scène en passant en l'espace de quelques minutes de l'état d'inconnue à celui de superstar, comme Laure Manaudou aux Jeux d'Athènes. C'est imposer à son corps des doses de travail ou des régimes alimentaires draconiens qui peuvent influer sur l'humeur -boxeurs, gymnastes, jockeys font du yo-yo en permanence. C'est affronter des blessures qui remettent tout en cause, à l'image de la skieuse américaine Picabo Street qui avait reconnu avoir descendu, après une opération chirurgicale, une piste noire bien différente de celles qu'elle dévalait d'habitude : la dépression.

Et c'est aussi, hélas, se retrouver sous l'emprise de drogues dont il est difficile de se défaire une fois la carrière terminée et une fois le dopage rendu inutile. C'est, enfin, mal négocier le virage d'une fin de carrière, ce qui fut, par exemple, le cas de Marc Cécillon, autre joueur du XV de France, devenu dépressif et qui tua son épouse lors d'un coup de folie. Il y a eu, bien sûr, le cas d'école, si l'on peut dire, qu'a constitué le décès, en 2004, de Marco Pantani, vainqueur du Tour de France en 1998. Victime à la fois du dopage, qu'il avait remplacé par une consommation régulière de cocaïne, et incapable de redonner un sens à sa vie sans le vélo, il mourut d'une overdose dans une chambre d'hôtel.

Cette litanie n'est pas finie, malheureusement, et Mathieu Bastareaud ne sera certainement pas le dernier à «disjoncter» malgré les garde-fous dressés ici ou là par des médecins comme Serge Simon. Roland Jouvent, psychiatre, avait été l'un des premiers à traiter du narcissisme extrême propre aux sportifs de haut niveau. Patrick Bauche, docteur en psychopathologie, en avait fait un livre «Les héros sont fatigués: sport, narcissisme et dépression». Avec le temps, ce narcissisme est devenu triomphant et les champions, dans les disciplines médiatiques, sont de plus en plus coupés du réel. Un niveau de vie sans cesse amélioré et des entourages pléthoriques constamment aux petits soins pour leurs protégés brouillent tous les repères. Ces sportifs vivent en pilotage automatique et sont donc plus sensibles à la moindre secousse.

Qui s'est occupé de l'hospitalisation de Mathieu Bastareaud à son retour en France? Max Guazzini, le président du Stade Français, qui s'est substitué aux parents du joueur. Est-ce normal? Pour reprendre le cri de Marie-José Pérec, les sportifs n'ont pas besoin d'être plus entourés. Ils ont besoin d'être mieux entourés.

Yannick Cochennec

Image de une: Serena Williams face à Kim Clijsters lors d'un tournois de l'US Open le 13 septembre à New York REUTERS/Shaun Best

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