France

Pourquoi Dominique Bertinotti doit faire de son cancer du sein un «instrument politique»

Temps de lecture : 4 min

L’urgence n’est plus à témoigner pour «faire évoluer le regard de la société sur cette maladie» mais à agir pour réformer un système de dépistage encore trop inefficace.

Dominique Bertinotti, le 13 novembre 2013 à l'Assemblée nationale. REUTERS/Charles Platiau.
Dominique Bertinotti, le 13 novembre 2013 à l'Assemblée nationale. REUTERS/Charles Platiau.

Un cancéreux doit-il dire qu’il l’est? En dévoilant dans Le Monde, ce vendredi 22 novembre, l’existence d’un cancer du sein qu’elle avait longtemps caché à ses collègues du gouvernement, la ministre déléguée à la Famille Dominique Bertinotti ne peut pas ne pas susciter la compassion. Mais elle ne manquera pas non plus de provoquer quelques incompréhensions.

D’emblée, une précision s’impose: le parallèle avec le cancer de la prostate métastasé longtemps gardé secret par François Mitterrand ne peut ici être établi. François Mitterrand était président de la République et avait organisé le secret sur le secret de la maladie dont il souffrait.

Comme bien d’autres chefs d’Etat avant et après lui, il avait délibérément fait un choix: associer le secret d’Etat au secret médical. Lorsque l’affaire ne put plus être cachée, il s’en expliqua.

Exemplarité supposée

Non, la première ambiguïté de la révélation médiatiquement orchestrée par Dominique Bertinotti réside dans son exemplarité supposée. En quoi le fait d’occuper, à 59 ans, ses fonctions confère-t-il une dimension particulière au cancer dont elle est atteinte?

La ministre dit avoir informé le président de la République en lui demandant de garder le silence. Elle ajoute que le président lui a répondu qu’il respecterait son choix. Comment aurait-il pu en être autrement, dès lors que son état de santé n’était pas incompatible avec la poursuite de ses activités professionnelles?

Toutes les femmes salariées chez lesquelles un cancer du sein vient d’être diagnostiqué connaissent la même situation. Et il en va de même pour toutes celles et tous ceux chez qui une maladie grave d’évolution chronique mais nullement incurable est dépistée.

Rien d’exemplaire non plus dans les conséquences douloureuses des radiothérapies anticancéreuses —à commencer par la chute des cheveux. Aucune particularité non plus dans les perceptions de l’entourage professionnel, les femmes qui pressentent quelque chose et les hommes qui «tombent des nues» quand on les informe.

Aucune originalité, enfin, dans le parcours thérapeutique de la combattante qui fait suite au diagnostic. Toutes les femmes concernées par un cancer du sein sont confrontées aux mêmes difficultés pratiques, au même manque supposé d’humanité des soignants, au même jargon médical, aux mêmes cathéters, aux mêmes appareils d’imagerie, aux mêmes sueurs froides, à la même calvitie, aux mêmes tracasseries administratives, aux mêmes arrangements plus ou moins faciles concernant le temps de travail. Aux mêmes «petits réconforts».

Le regard est-il différent?

On pourra ici être conforté d’apprendre qu’il en va également pour une femme ministre comme pour une femme qui ne l’est pas. Sans doute, dans ce cas, faut-il compter avec la profession politique et médiatisée. Avec «le regard des autres». Mais les différences dans les regards tiennent-elles au nombre des spectateurs?

Le parcours de Dominique Bertinotti comporte certes des particularités ministérielles, des privilèges qu’elle a le courage de ne pas masquer. Comme ce chauffeur personnel qui l’attend à l’Institut Curie de Paris, où elle «n’attend pas trop». Et sans même parler de chauffeur, toutes les femmes souffrant d’un cancer du sein ne rentrent pas toujours chez elles en taxi après les séances de thérapie.

On comprend aussi, entre les lignes de son témoignage, que la ministre déléguée auprès de la ministre de la Santé a saisi qu’il existait des inégalités assez criantes dans ce domaine. Elles concernent par exemple ce qu’elle nomme «traitements de confort», comme la perruque et le vernis à ongles spécial, «qui sont si importants».

Conditions de dépistage inégalitaires

Mais il y a plus, et plus grave, en matière de cancer du sein. Cela concerne les conditions actuelles de son dépistage, qu'on pourrait, sans beaucoup exagérer, qualifier de scandaleuses du point de vue de l’égalité. La situation avait été décrite l’an dernier par la Haute autorité de santé et nous l’avions alors résumée: on diagnostique environ chaque année 53.000 nouveaux cas de cancers du sein en France et, dans le même temps, environ 11.500 femmes en meurent prématurément.

Il y aura bientôt dix ans, les autorités sanitaires mettaient en place un ambitieux programme de dépistage dit «organisé» (DO) dont l'objectif est de permettre à toutes les femmes de 50 à 74 ans de bénéficier au plus tôt, si nécessaire, de la meilleure prise en charge thérapeutique via un dépistage en deux temps dans le cabinet de radiographie libérale de leur choix.

Mais il existe aussi un programme de dépistage dit «individuel» (DI) qui concerne chaque année 435.000 femmes et, à la différence du précédent, est pratiqué à la demande du médecin traitant ou du gynécologue, voire à l’initiative même de la femme, et en dehors de tout cahier des charges (pas de «seconde lecture» systématique des clichés, notamment).

L’an dernier, la publication des résultats très détaillés de l’enquête de la HAS avait permis de prendre la mesure du gâchis humain et financier qui en résulte: à peine plus d'une femme sur deux concernée participe au dépistage obligatoire, le coût pour la collectivité est de 13.510 euros par cancer dépisté, 13,2 millions d'euros par an restent à la charge des femmes qui pratiquent un dépistage individuel ou de leur assurance complémentaire...

La HAS relevait en outre que le DI s’accompagne fréquemment d’échographies «en excès» susceptibles de générer des «sur-diagnostics» voire —et c’est plus grave— des «sur-traitements». Tout plaide donc pour la bascule au «tout DO».

Noble et altruiste combat

Dominique Bertinotti a, dit-on, hésité à «raconter son cancer». En le racontant, elle «ne veut pas susciter la compassion», pas plus qu’elle ne veut «en faire un instrument politique».

La ministre déléguée à la Famille a tort. Elle se doit d’en faire un instrument politique.

Contrairement à ce qu’elle croit, l’urgence n’est plus à témoigner «pour faire évoluer le regard de la société sur cette maladie dont le nom est terriblement anxiogène». Ni, pour un ministre, à «montrer qu'on peut avoir un cancer et continuer une vie au travail». Ni à «réfléchir sur les inégalités».

Elle est bel et bien d'agir sur elles, qui ne concernent pas seulement les coûts de traitements que la ministre appelle, à tort, «de confort», mais se situent également en amont, dans l’organisation égalitaire d’un système solidaire de dépistage. On peut voir là, cancer ou pas, un noble et altruiste combat pour une femme au pouvoir.

Jean-Yves Nau

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