Boire & manger / Culture

A quel alcool correspond chaque album de Miossec?

Temps de lecture : 8 min

De «Boire» au nouveau «Mammifères», on a enchaîné cul sec les dix albums du Brestois, au risque de la douce ivresse et de la gueule de bois.

Miossec (PIAS).
Miossec (PIAS).

Miossec revient en quatuor, presque comme à ses débuts où il se présentait en trio. Pour Mammifères, le chanteur s'est entouré de quatre jeunes musiciens, et notamment de la violoniste touche-à-tout Mirabelle Gilis. «Chroniqueur du temps qui passe», Miossec en est à l'âge où on va plus souvent aux enterrements de potes qu'à leurs mariages... Et c'est lors d'un hommage à son ami Rémy Kolpa Koupol qu'il a rencontré sa nouvelle bande. L'occasion d'un nouveau départ dans la carrière du Brestois après les festivités et concerts célébrant ses vingt ans de carrière.

À cette occasion, nous nous demandions déjà s'il fallait se replonger dans l'intégralité de sa discographie. Car Miossec, c’est connu, n’aurait jamais fait aussi bien que Boire, son premier album, paru en 1995. L’album qui a redonné envie à la génération 90 d’écouter et de gueuler de la chanson en français. C'est un cliché qui lui colle à la peau: son premier effort et le suivant, Baiser (1997), seraient indépassables.

À chaque album, Miossec s'amusait à dézinguer ses disques. À chaque fois, ses fans se lamentaient. Et pourtant, il n’a jamais eu autant de succès qu’aujourd’hui. Ses disques se vendent bien et il écrit pour Johnny ou Nolwenn Leroy. Selon RTL, il serait même plus connu en tant qu’auteur qu’en tant que chanteur…

Slate a décidé de continuer à comparer les disques de Christophe Miossec à des alcools, quitte à se déglinguer le foie. Retour sur vingt et un ans de (dés)amours et portrait d'un maître de chai qui connait bien son métier.

Boire (cuvée 1995)

Degré d’ivresse: 100 % – Une bouteille de whisky (single malt).

«Je vous téléphone encore, ivre mort au matin, car aujourd’hui c’est la Saint-Valentin.» Quiconque entend ces vers se prend comme un coup de poing dans le nez un matin de gueule de bois. Une chanson bien dégueu chantée par une douce voix de cendrier. Le tout emballé en 2’25'' comme un morceau des Ramones, mais en français et acoustique.

En enchaînant avec l'emblématique Regarde un peu la France (2’41'' de dégoût et d’espoir entremêlés), Miossec achève de nous emballer. Il sera notre héros destroy des 90’s.

La musique du Brestois et de Guillaume Jouan fait mouche. Les arrangements chiadés lorgnent sur le rock, le jazz parfois et l’indé tout le temps. On est loin des canons d'une époque où IAM dansait le Mia, Axelle Red bourrinait sa sensualité, Véronique Sanson se demandait Seras-tu là et Disney nous bassinait avec Ce rêve bleu.

Réécouter Boire aujourd’hui, c’est replonger avec angoisse dans ses aspirations de jeunesse et s’apercevoir, terrorisé, que le disque n’a pas pris une ride. Il conserve son mordant, son bouquet, son arôme et ses effluves. Comme une bonne bouteille de single malt à l’agressivité sensuelle intacte.

Baiser (cuvée 1997)

Degré d’ivresse: 95 % – Un litre de vodka glacée.

Titre logique. Le deuxième album est un direct du gauche après une tournée marathon chaotique dans tous les rades de France.

Miossec se fait un nom, une réputation et commence à faire swinguer les gazettes branchées. Après Johnny Hallyday (La Fille à qui je pense), il intrigue en reprenant Salut les amoureux de Joe Dassin dans une version pas lol du tout. Zéro degré.

Les musiques de Guillaume Jouan passent du rock énervé (La fidélité et son clip, toujours sur une plage bretonne) à la tendresse vache (Je plaisante). Miossec étale son mal-être d’homme moderne dans des paroles toujours crues mais étonnamment pudiques et analyse finement la désaffection du politique dans On était tellement de gauche.

Le disque parfait? Presque. On sent un peu la redite, des tics d’écriture automatique pointent. Les disques de Miossec seraient-ils uniquement des histoires de cul, des métaphores sportives (après Evoluer en troisième division, Le Critérium) et des reprises de tubes oubliés? Les mauvaises langues commencent à persifler. Baiser, pourtant, résiste pas mal à l’épreuve du temps.

À prendre (cuvée 1998)

Degré d’ivresse: 64% – Un bon vieux pack de bière (24 bouteilles, quand même).

Tout commence avec cette boutade de Miossec:

«Nous, on pense que le disque est un peu trop produit. Notre maison de disque pense que c’est un bon produit.»

À prendre a l’haleine chargée des lendemains de cuite. Il commence mal: Le chien mouillé (en silence) singe musicalement l’univers des deux précédents. Après le «zéro degré», le «zéro risque», qui sonne comme un autoplagiat.

A sa sortie, ce disque orné de cordes (toujours bien pour l’ambiance, ou pour se pendre) se doit d’être celui de la consécration. Et pourtant, les premiers fans bouderont assez fort cet album où on ne trouve ni rage sourde, ni poésie contemporaine.

Mais ce n’est pas si grave: on y trouve tout de même beaucoup de choses à prendre. Le déménagement fait mouche. Et Les bières d’aujourd’hui s’ouvrent manuellement donnent toujours envie de s’en ouvrir une. Et une autre.

Miossec n’aura de cesse de renier ce disque dans lequel il ne s’est pas forcément reconnu. A la réécoute, il a fait bien pire après.

Brûle (cuvée 2001)

Degré d’ivresse: 40% – Un beaujolais.

«Tout brille, tout luit et rien ne brûle.» Il a comme un petit goût de fraise ce nouveau cru. Ou de cendre. Ça dépend de l'humeur.

Guillaume Jouan a quitté le navire, l'excellent arrangeur Matthieu Ballet s’en donne à cœur joie dans la musicalité. Mais qu’il a été dur à accoucher, ce disque... Côté paroles, c’est mollasson: heureusement il y a Tonnerre ou Le Défroqué qui font remonter la sensation d’ivresse.

Brûle est un disque qui fait un peu mal au foie. Ne pas en abuser sous peine de délirium (ou de barre au crâne).

1964 (cuvée 2004)

Degré d’ivresse : 60% – Une bonne bouteille (à ne pas boire jusqu’à la lie).

Miossec a 40 ans. Il est devenu une marque qui écrit pour Birkin, Juliette Gréco, Bashung ou Johnny. Pour un peu, respectable.

C’est un peu ça, 1964: l’album de la respectabilité. A l’époque, je me souviens avoir défoncé ce disque dans le mag Longueur d’ondes, notamment à cause de ça… Tous les médias «adoraient» soudain le disque.

OK, Brest est une putain de bonne chanson. Je m’en vais, un incontournable (pour une fois qu’il ne se fait pas larguer en chanson…). Mais il y a trop de creux pour que ce disque soit un grand album (Le stade de la résistance et son préchi-précha: «à Lily, à Lilas, à Layla, à Lola»… Holala, la cata) … Mais assez de sommets pour en faire une belle collection de chansons.


L’Etreinte (cuvée 2006)

Degré d’ivresse : 70% – Un blanc sec (et un autre. Avec des cahouètes, s’te plaît, faut éponger).

Un album digne de ce nom. Miossec a terminé sa mue, et n’a plus grand-chose à prouver. Le succès de 1964 l’a rassuré.

Exilé à Ixelles, joli quartier de Bruxelles, il rencontre Stef Kamil Karlens de Zita Swoon. Et la musicalité reprend ses droits. Gérard Jouannest, mari de Juliette Gréco et accordéoniste de Brel, lui offre 30 ans. Le disque part parfois dans tous les sens mais reste cohérent.

La tendresse à fleur de peau ne sonne pas gnangnan. Ou alors, c’est qu’on s’est ramolli. On peut se l’écouter en boucle, ça faisait longtemps. Un autre, s'il vous plaît!

Finistériens (cuvée 2009)

Degré d’ivresse: 80% – Un très grand cru (garder en cave, aérer, servir dans des jolis verres… Et écouter très fort)

Retour en Bretagne, avec une équipe réduite: Christophe Miossec + Yann Tiersen = Finistériens. Un album à deux, l’ingénieur du son Dominique Brusson n’intervenant qu’à la toute fin du processus. Pour un Miossec devenu habitué du travail de groupe, c’est perturbant mais salvateur.

Ce retour en terres bretonnes n’est pas forcément facile d’accès. Mais comme le Nord-Finistère, les paysages sont sublimes, les arômes forts et les embruns fouettent. Il émane de ce disque une tension sourde, une douleur et une colère rentrées qui éclatent parfois dans un torrent sonique post-rock (merci Tiersen).

Du coup, Miossec lâche son dictionnaire de rimes pour écrire avec ses tripes (Seul ce que j’ai perdu, Nos plus belles années, A Montparnasse, Les chiens de paille…). Incontestablement, c’est un grand cru. Un bon Bordeaux qui sent le tanin, mais avec du gros son.

Chansons ordinaires (cuvée 2011)

Degré d’ivresse: 10% – Du cidre doux.

Il commençait bien ce disque, avec sa Chanson que personne n’écoute aux paroles attendues mais sonnant juste. Le reste sonne hélas comme du bavardage.

Le chanteur préféré de Nolwenn Leroy nous pond un exercice de styles à la Raymond Queneau… mais il enchaîne poncifs et rimes faciles («Et ça fait mal mal/De n'être qu'un vieux mâle»). Le disque porte bien son nom. On attendait tellement mieux que cette bouteille de cidre éventée et sans bulle. La suite, patron!

Ici-bas, ici même (cuvée 2014)

Degré d’ivresse: 80% – Un rhum ambré.

Le Breton a cinquante piges et il est content de pouvoir le raconter. L’entrée dans la dizaine lui va bien et Miossec nous livre un très bon cru. La cinquantaine lui offre l’opportunité d’y aller de son couplet sur les regrets et la nostalgie… mais avec l’envie d’aller de l’avant: «C’est pas fini, on peut encore recommencer» mais «On ne se refait pas, on veut toujours ce qu’on n’a pas»… Moralité: plus on change, plus c’est la même chose.

La mort, par contre, est omniprésente. On y pense, on la voit arriver, faucher les copains, les aïeux… Mais au final, «on est quand même plus beau vivant que mort/Même si on est plus reposé/C’est qu’ici on fait trop d’efforts».

Ce disque n’est pas un effort solitaire, il est le fruit d’un échange constant entre Miossec, Jean-Baptiste Brunhes et Albin de la Simone. Le trio compose une musique organique réalisée en peu de temps chez Miossec, dans le Finistère Nord. Le produit n’est pas frelaté avec des ordinateurs et ne cède à aucune mode, ce qui le rend d’emblée classique et intemporel.
Au final, c’est bien écrit, bien chanté, les musiques sont travaillées et renforcent le propos. Et touchant comme jamais. Comme un petit rhum tout sucré qui vous reste dans la bouche et dans la tête toute la soirée.

Mammifères (cuvée 2016)

Degré d’ivresse: 90 % – Un beau malt tourbé (single cask, produit par un maître de chai indépendant)

Miossec a ressorti l’alambic et nous fait le coup du «C’est exactement comme mon premier album». Non Christophe, ton premier album était un coup de poing dans la gueule de la chanson française. Aujourd’hui, tu as rencontré un gang de jeunes musiciens très talentueux et tu as joué avec eux à l’instinct. Et c’est super bien, mais ce n’est pas comme avant.

Avant, il se contentait de produire du brutal mais depuis une décennie, le maître musicien peaufine ses breuvages. Alors, même quand il décide de produire quelque chose au débotté, on sent maîtrise et savoir-faire.

L’alcool y est à la fois doux et amer. Les effluves de violon sont multiples. On y convoque un esprit rock aux airs de musette. On se croirait parfois dans des chorus des rockers belge dEUS ou des punks tsiganes de Bratsch. Parfois on trace des notes d’accordéon qui apportent chaleur et rondeur à l’ensemble. Et on se laisse prendre par ces histoires de bonheur, de vie ou d’innocence.

C’est subtil, fin et assurément pour consommateur exigeant. Au final, on finit totalement grisé au moment de se lever de son siège. On commandera un taxi pour rentrer.

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