Il y a quelques jours, le magazine The Atlantic rappelait avec une série de très belles photos, l’existence de l’originale gare Penn Station (Pennsylvania Station) à New York dont la destruction remonte à 1963, il y a tout juste 50 ans. Le bâtiment construit au début du 20e siècle en imposait et n’était pas sans rappeler une gare mythique de New York, Grand Central. Penn Station avait 84 colonnes doriques en façade et une entrée monumentale donnant sur un immense hall, sous une verrière à structure d’acier de 45 mètres de haut, inspirée des Thermes romains de Caracalla. La décision de détruire la gare avait été prise pour répondre à un manque de place et au désir de créer des immeubles de bureaux… Aujourd’hui, la gare est située sous le Madison Square Garden, un bâtiment fonctionnel… et inesthétique où se déroule spectacles sportifs et musicaux. Mais le Madison Square Garden n’en a plus pour longtemps. Il devrait disparaître dans une dizaine d’années quand sera construite une nouvelle Penn Station.
«La plus parfaite maison des Etats-Unis»
Et si Jackie Kennedy n’a pas sauvée Penn Station, elle a bien contribué à sauver Grand Central. Son rôle dans la reconnaissance et l’appréciation du patrimoine architectural américain, est presque aujourd’hui passé sous silence. Pourtant son implication et son influence ont été déterminantes. A l’origine, le patrimoine aux Etats-Unis était étroitement attaché et limité à la promotion d'une identité nationale, lié aux débuts de la colonisation et du mouvement pour l'Indépendance: notamment les lieux associés à la vie de George Washington ou d’autres figures importantes du début l’histoire américaine.
Il faudra attendre les années 1920, John Rockefeller et son implication dans la restauration de la petite ville de Williamsburg, en Virginie, une ville qui fut un temps la capitale de la petite colonie à la fin du 17e siècle et qui est aujourd’hui une ville historique… version Disney.
En 1941, Jacqueline Kennedy alors en pleine adolescence, en compagnie de sa mère et sa petite sœur, Lee Radziwill, visite la Maison Blanche. Elle gardait 20 ans plus tard en mémoire la frustration ressentie alors devant un mobilier fait de bric et de broc. En janvier 1961, tandis qu’elle s’apprêtait à y entrer comme Première Dame, Jackie Kennedy avait revisité la Maison Blanche, cette fois invité par Mamie Eisenhower (c’est son vrai prénom), l’épouse du président sortant. Choc là encore. Mamie Eisenhower, avait un faible pour le rose et le mobilier désuet. La résidence avait été négligée. Elle était lugubre. Le mobilier semblait sorti tout droit de «magasins aux rabais». Pour elle, la demeure présidentielle devait refléter l'Histoire artistique des Etats-Unis. Elle était déterminée à en faire «la plus parfaite maison des Etats-Unis».
La décoration et le mobilier dataient de la dernière rénovation réalisée sous la présidence Truman (1945-1953). Elle était particulièrement urgente puisque la structure construite en 1800 était alors jugée dangereuse. Pour meubler la Maison Blanche, on s’était alors contenté de reproductions de mobiliers anciens et pour l’ambiance, de reproduction de tissus aux vagues motifs d’époque.
56 millions d'Américains à la Maison Blanche
Etudiante Jackie Kennedy avait étudié la littérature et l’histoire de l’art au collège Vassar dans l’Etat de New York et durant son année en France à la Sorbonne et à Grenoble. Elle était passionnée. Malgré un budget limité, elle refusait d’effectuer une simple décoration. Elle voulait réintroduire des pièces d'époque, un vrai changement par rapport aux périodes passées.
En 1961, un mois à peine après son entrée officielle dans les lieux, elle crée le White House Furnishings Committee. Le comité comprend des experts en préservation et arts décoratifs dont Henry Francis duPont, fondateur du Musée Winterthur situé dans le Delaware et chantre de l’Americana. Apparu au milieu du 19e siècle, ce mot définit l’histoire, le patrimoine culturel et le folklore des Etats-Unis depuis l’époque coloniale, sous diverses formes des Beaux Arts de la peinture, la sculpture, les arts décoratifs, aux simples objets domestiques.
Le Comité traque les meubles et œuvres ayant appartenus aux collections de la Maison Blanche. Dans le même temps, un conservateur est pour la première fois nommé à la Maison Blanche. Il est alors chargé de suivre l’ensemble des collections de la résidence. Un poste encore occupé aujourd’hui.
L’une des premières salles à être rénovées, est le bureau ovale. Jackie Kennedy fait appel à Stéphane Boudin, un designer parisien de la Maison Jansen. Le premier bureau ovale, datant de 1909, était alors situé sur le côté sud, de l'aile ouest. En 1934, il est déplacé à son emplacement actuel, surplombant le Rose Garden. Le bureau choisi est fabriqué en bois issu d’un voilier britannique. Les travaux ont pris du temps et n’étaient pas terminés le 22 novembre 1963, quand le Président Kennedy a été assassiné. Jackie Kennedy n’a jamais eu la possibilité de voir de près le bureau ovale achevé selon ses vœux. Lyndon B. Johnson devenu président, n’aimait pas le bureau, et celui-ci à peine dépoussiéré, est vite retourné dans les collections fédérales.
Pour éviter l'utilisation toujours controversée d'argent public aux Etats-Unis, Jackie Kennedy a aussi créé la White House Historical Association, qui publie depuis le premier guide officiel de la Maison Blanche. Tous les profits de la vente au public servent à financer le projet de restauration et d'achat de mobilier.
En février 1962, Jackie Kennedy propose une visite pour la première fois à des millions d'Américains par l'intermédiaire de la télévision. Pas moins de 56 millions d’entre eux auraient alors regardé le programme. Elle alimente ainsi l’intérêt pour dans tout un pays pour la sauvegarde du patrimoine commun. Grace à elle, la Maison Blanche connaît alors un changement radical avec l’introduction d’un style, d’une sophistication jamais vue auparavant. La résidence officielle du Président, entre enfin dans l’histoire des Etats-Unis.
Un Comité pour empêcher la destruction de Grand Central
Après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, elle a continué et a joué un rôle important dans l'adoption en 1966 de la National Historic Preservation Act (Loi de préservation historique). Elle avait milité très tôt pour la création d’un classement au Monument Historique ressemblant à celui qui existe en France.
La Maison Blanche n’a pas été le seul projet de Jackie Kennedy, pour lesquels elle s’est engagée. En 1962 à Washington, juste en face de la Maison Blanche le long du Lafayette Square, tout un quartier de maisons datant du 19ème siècle devait être rasé par les promoteurs pour faire place à des immeubles de bureaux fédéraux. Le projet initial visait à faire place nette. La première dame a proposé un plan érigeant des immeubles de bureaux derrière des façades en briques pour maintenir l'identité historique de la place. Autre projet l’aménagement de la Pennsylvania Avenue, l'artère principale qui relie la Maison Blanche au Capitole et la création d'un complexe culturel national, qui devint le Centre Kennedy pour les Arts
Après 1963, vivant désormais à New York, Jackie Kennedy continue ses combats. En 1975, elle a formé un Comité pour bloquer la destruction de la gare Grand Central allant même jusqu'à la Cour suprême pour sa défense. Dans les années 80 elle continue comme celui a autour de la sauvegarde de la salle paroissiale de l'église de Saint-Barthélemy, située au coin de 51e rue et de Park Avenue, là encore menacée par des immeubles de bureaux, ou encore contre le projet de réaménagement de Columbus Circle.
Avec Jackie Kennedy, la préservation et la sauvegarde ont reçu une impulsion jamais connues jusqu’alors. Des efforts qui permirent à d’autres projets de rencontrer d’importants succès pour les restaurations et les conservations de quartiers historiques entrepris dans des lieux aussi divers que Charleston en Caroline du Sud, le French Quarter à la Nouvelle Orléans ou encore l’étonnante Savannah en Georgie .
Mais rien n’est jamais acquis aux Etats-Unis où les promoteurs s’embarrassent rarement de l'histoire. A New York, en avril, dans une indifférence quasi générale, l’un des rares exemples d’aménagement intérieur réalisé par l’architecte Frank Lloyd Wright (l’architecte du Musée Guggenheim), a été démoli en même temps que le bâtiment et le garage qui l’abritait. Quelques semaines plus tard, on apprenait que le MoMA (Museum of Modern Art) avait l’intention de raser le bâtiment qui a abrité l’American Folk Art Museum, pour construire un nouvel espace plus vaste Torre Verre dessiné par Jean Nouvel. Racheté en 2011, l’immeuble a été construit par un duo d’architecte américain, Tod Williams et Billie Tsien et inauguré deux mois juste après le 11 septembre 2001. Mais le musée a toujours été en proie à des difficultés financières et a dû déménager dans un immeuble plus modeste. Devant la levée de boucliers, les dirigeants du MoMA semblent avoir renoncés… pour le moment!
Anne de Coninck