Économie

Retour au franc: pourquoi le FN se trompe (et trompe ses électeurs)

Temps de lecture : 6 min

Tout est simple, voudrait nous faire croire Marine Le Pen qui fait miroiter un retour aux glorieuses années 1960...

Marine Le Pen et Florian Philippot, dans la cour de l'Elysée, le 30 novembre 2012. REUTERS/Philippe Wojazer
Marine Le Pen et Florian Philippot, dans la cour de l'Elysée, le 30 novembre 2012. REUTERS/Philippe Wojazer

Le Front national, selon un sondage de l’Ifop pour Le Nouvel Observateur, arriverait en tête aux futures élections européennes avec 24% des intentions de vote. Le parti de Marine Le Pen a attiré les autres sur ses terrains de l’immigration et de la laïcité, il a élargi son discours à la République, il serait en passe de réussir sa dé-diabolisation.

Reste l’économie. Tant qu’il n’a pas gagné en matière économique et sociale la crédibilité que les sondages lui accordent, à tort ou à raison, sur les sujets de la société civile, il ne pourra pas prétendre représenter une véritable alternance. Son édifice ne tient pas, il n’est pas cru, il récolte des votes de protestation, sans doute. Mais pas assez de votes d’adhésion.

Marine Le Pen le sait. Elle a essayé d’attirer des experts économiques et administratifs pour préparer sa candidature à la présidentielle de 2012 et pour donner de l’épaisseur à un programme qui était resté jusque-là inconsistant, puisque le cœur de sa bataille était ailleurs.

La crise qui se prolonge, les usines qui ferment, les reculades sur les promesses électorales, le chômage que le gouvernement n’arrive pas à endiguer sérieusement, les difficultés du pouvoir d’achat, les impôts qui montent, tout cela crée un terreau très favorable à ceux qui s’élèvent contre l’establishment et plaident pour des idées nouvelles et radicales.

Marine Le Pen n’en manque pas. Elle essaie de faire sur le chapitre économique le même glissement-élargissement qu’elle a pratiqué en passant de l’immigration à la République.

La triangulation du FN

Elle part des anciennes bases poujadistes, encore occupées par son père attaché à la clientèle des artisans et petits commerçants, pour aller défendre tous ceux qu’on peut appeler «les petits» (les salariés sous le niveau de revenu médian, les patrons de PME) contre «les grands» (la grande distribution, le CAC40, les banques, les riches, les élites).

Elle le fait par «triangulation», en prenant sans vergogne les thèses de la gauche et de l’extrême gauche. En matière économique, le Front national est franchement anti-libéral, il est, au sens propre, national-populiste ou national-socialiste, sans que ceci puisse être entendu en référence aux années 1930 comme fasciste.

Les chapitres du «Projet» présidentiel de Marine Le Pen sont des copiés-collés de la gauche. Il faut «mettre au pas la finance et la spéculation», «rétablir des services publics dégradés par le désengagement de l’Etat», «réindustrialiser».

Sur l’écologie, l’axe choisi est très différent de la gauche: il s’agit de défendre la Terre pour éviter les migrations.

Mais pour tout le reste, l’explication de la crise est la même: le peuple a été trahi au profit d’une petite classe «mondialiste». On ne pourra qu’être frappé par les ressemblances des propositions: la création d’une Banque nationale d’investissement pour financer la PME, une tranche supérieure de l’impôt à 46%, le maintien de l’ISF( impôt sur la fortune fusionné avec la taxe foncière), la redistribution aux PME du crédit impôt recherche (monopolisé par les grands groupes), l’attaque des «rémunérations indécentes» des PDG et le relèvement de la taxation des revenus du capital au même niveau que celle des revenus du travail.

Mais pour emporter la compétition qu’elle ouvre entre la copie (du FN) et l’original (de gauche), Marine Le Pen pousse le bouchon beaucoup plus loin. Elle double Mélenchon sur sa gauche.

Elle propose que les 50 plus grands groupes mettent 15% de leur résultat net en réserve pendant 5 ans pour alimenter un «Fonds d’industrialisation stratégique».

C'est le FN la copie, et la gauche l'originale

Elle revient au contrôle des prix, non seulement des services publics de transports et d’énergie mais des denrées alimentaires de base, des taux de prêts bancaires et des «prix de transferts» entre les filiales internationales des grandes firmes (sans jamais expliquer comment); elle réindexe les salaires sur l’inflation; elle créée une «réserve légale des titres d’entreprises» pour rendre les salariés propriétaires, elle revalorise les salaires de la fonction publique; elle remonte les pensions de reversion; elle taxe à hauteur de 33% les délocalisations de services (informatique, centre d’appels) et, at least but not the last, elle distribue 200 euros à tous les salaires inférieurs à 1,4 smic, à partir d’une «contribution sociale aux importations».

Cette générosité est à vocation résolument clientéliste: le FN vise tous les «petits», ouvriers et fonctionnaires, «déclassés» (vocabulaire copié de la gauche) et classe moyenne, retraités et agriculteurs, anciens combattants et handicapés, pêcheurs et conchyliculteurs... personne n’est oublié dans le froid créé par le «mondialisme» ultra-libéral.

Pour faire sérieux avec ce dispendieux programme, la présidente du FN avait fourni un «chiffrage» très précis, précis au million d’euros près...

Un excès de zèle comique. En vérité, elle compte sur trois grands axes stratégiques qui structurent son projet et devraient le financer: la «priorité aux Français» dans les aides et allocations sociales, l’Etat fort et le retour au franc.

Hélas aucun n’est solide. La discrimination? Les études du FN qui démontrent que l’immigration coûte des milliards viennent de farfelus. Les sérieuses disent l’inverse, tout simplement parce que les immigrés cotisent mais dépensent moins en santé et en retraite de fait de leur jeune âge moyen.

L’Etat fort? Il est difficile d’attendre beaucoup d’économies si l’on nationalise, investit dans les services publics et l’armée. Le Projet n’avance aucun détail mais dénonce l’«austérité».

En réalité tout cela ne compte guère: l’essentiel est dans la sortie de l’euro et le retour aux politiques de dévaluations. C’est la grande solution magique qui permet de tout retrouver, depuis la souveraineté jusqu’aux emplois.

Au fond, la planche à billets, les dévaluations et le déficit budgétaire marchaient dans les Trente Glorieuses, retournons-y. Les seuls obstacles à ce glorieux programme sont l’existence de Europe et de la mondialisation, supprimons-les. C’est tout simple.

Pas si simple quand même. Marine Le Pen a compris que la sortie brutale et solitaire de la France pour un retour au franc ferait fuir trop de capitaux. Aussi parle-t-elle maintenant d’une «déconstruction ordonnée», tous les pays étant d’accord, à commencer par l’Allemagne.

Capture d'écran du site du FN

Cette affirmation d’une volonté de sortie des autres pays reste évidemment un souhait et non une réalité. Même les Grecs ont voté pour rester dans le navire.

Qu’importe pour le FN! L’euro, une «aberration», va forcément disparaître. Il «suffit» qu’un ministre «prépare bien» la transition, que les banques soient nationalisées temporairement et taxées, que les mouvements de capitaux soient contrôlés, et que la Banque de France imprime autant de billets que nécessaire.

Tout simple, on vous dit! Ce n’est plus du Mélenchon mais du Chavez.

L’erreur est bien entendu que la réalité est beaucoup plus complexe que ce radicalisme simpliste. Une sortie de l’euro même «préparée» ferait fuiter tout l’argent de France, à la vitesse électronique, celui des entreprises comme des ménages à qui il suffirait d’ouvrir un compte à la Deutsche Bank. Horrible exode, pagaille dévastatrice...

Mais l’essentiel est ailleurs, dans le fond, à la racine du lepénisme.

L'erreur à la racine

Le Front national croit nous ramener en 1960, à la souveraineté, à la croissance. Il oublie ce que l’économie française devait à l’époque à son «ouverture», au Marché commun naissant et au rattrapage des technologies et du management américains. La croissance française n’était pas autonome, au contraire, elle venait de l’ouverture.

A faire l’inverse, à refermer les portes, Marine Le Pen se prive des vrais moteurs de l’expansion. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui avec tous les marchés extérieurs des pays émergents qui s’ouvrent pour nos entreprises.

C’est l’illusion de l’extrême droite comme d’ailleurs celle de Mélenchon et de tous les «démondialisateurs»: ils ne nous ramènent pas en 1960 mais en 1930, c’est-à-dire à la crise et à la guerre.

La crédibilité économique du lepénisme n’est pas gagnée... Mais il est vrai l’irréalisme ne rebute pas tout le monde. Les erreurs des gouvernements qui se succèdent, l’Europe si impopulaire et si compliquée, le péril chinois, la puissance germanique, tout cela fatigue le difficile discours de rigueur et de réformes. Sans compter qu’aucun des partis de gouvernement, ni l’UMP ni le PS, n’assume véritablement l’ouverture. La crise, surtout, alimente la foi qu’il y a forcément une autre politique et qu’on peut s’en sortir par des «yaka».

Eric Le Boucher

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