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La fermeté face au nucléaire iranien, une constante de la diplomatie française

Temps de lecture : 5 min

Paris, à l’origine du processus de négociation qui se déroule depuis dix ans, peut exiger des garanties sérieuses; ce n’est pas une démarche superflue et vaut bien quelques jours de négociations supplémentaires. Surtout si les Etats-Unis sont pressés de conclure pour obtenir un succès diplomatique et redorer le blason de Barack Obama.

Le secrétaire d'Etat américain John Kerry  en route pour Genève, vendredi, après s'être entretenu avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à Tel Aviv. REUTERS/Jason Reed
Le secrétaire d'Etat américain John Kerry en route pour Genève, vendredi, après s'être entretenu avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à Tel Aviv. REUTERS/Jason Reed

Laurent Fabius a-t-il été trop bavard? Lors des négociations de Genève entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne (P5+1), le ministre français des Affaires étrangères s’est présenté plusieurs fois devant la presse pour exprimer son scepticisme sur l’imminence d’un accord sur le programme nucléaire iranien.

Il a donné l’impression de casser l’ambiance alors que les conditions semblaient réunies, pour la première fois depuis dix ans, pour que les représentants de la communauté internationale et le régime de Téhéran trouvent un compromis: un arrêt de l’enrichissement de l’uranium de la part de l’Iran contre une levée progressive et partielle des sanctions qui ont eu des effets calamiteux sur l’économie du pays.

Au milieu de la nuit du samedi 9 au dimanche 10 novembre, les négociations se sont terminées sans accord mais sans rupture. Elles reprendront dans une dizaine de jours, toujours à Genève. Les responsables de la diplomatie américaine, russe, allemande, britannique avaient rejoint le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, et la Haute représentante pour la politique extérieure et de sécurité commune de l’Union européenne, Catherine Ashton, preuve que la situation devenait sérieuse et qu’un accord était à la portée des négociateurs.

La France est-elle seule responsable d’un échec, sans doute provisoire? Officiellement, il n’en est rien mais les Iraniens ont affirmé que des divergences s’étaient manifestées entre les participants occidentaux. Officieusement, on laisse entendre que Laurent Fabius s’est montré insatisfait des garanties apportées par la partie iranienne sur trois points: la fermeture de la centrale à eau lourde en construction à Arak, le sort du stock de quelque 180 kg d’uranium enrichi à 20% dont dispose déjà l’Iran et qui peut être utilisé pour la fabrication d’une arme nucléaire, l’avenir du programme nucléaire iranien.

Le président Hassan Rohani a répété que l’Iran n’abandonnerait pas son droit à une industrie nucléaire. La communauté internationale est prête à lui reconnaître ce droit pour un usage purement civil, sous contrôle strict de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

La crainte que les Etats-Unis ne «règlent» le problème iranien comme ils ont «réglé» le problème irakien

La fermeté française n’est pas une surprise. C’est une constante de l’attitude de la diplomatie française de Chirac à Sarkozy et de Sarkozy à Hollande. Paris est à l’origine du processus de négociation qui se déroule depuis dix ans, avec des hauts et des bas, des rapprochements et des ruptures, des engagements non tenus et des sanctions.

Le programme nucléaire iranien a commencé bien avant la révolution khomeyniste, du temps du shah avec le soutien des pays occidentaux, notamment de la France. En 2003, on a commencé à s’inquiéter de la possibilité pour le régime des mollahs d’accéder à moyen terme à l’arme nucléaire. C’est l’année de l’intervention américaine en Irak destinée, selon l’administration Bush, à en finir avec les armes de destruction massive que Saddam Hussein est accusé de détenir.

Sous l’impulsion de Dominique de Villepin et de Joschka Fischer, alors chefs des diplomaties française et allemande, les Européens tirent la sonnette d’alarme. A l’époque, les Américains, obnubilés par l’Irak, négligent l’Iran avec lequel ils n’ont plus de relations depuis la prise d’otages à leur ambassade de Téhéran en 1979.

La France et l’Allemagne craignent qu’un jour, les Etats-Unis ne soient tentés de résoudre la question du programme nucléaire iranien avec les mêmes moyens qu’ils ont employés à Bagdad. Rappelons qu’au début de l’année 2003, Paris et Berlin (avec Moscou) se sont opposés à l’intervention militaire américaine en Irak. Villepin et Fischer convainquent leurs collègues européens, puis les Américains, les Russes et les Chinois, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, que les ambitions nucléaires iraniennes pourraient constituer une violation du Traité de non-prolifération (que l’Iran a signé). Il faut écarter ce danger en négociant avec Téhéran.

Commence alors un marathon de dix ans, sous la houlette du responsable de l’Union européenne pour la politique étrangère, Javier Solana d’abord, Catherine Ashton ensuite, afin de s’assurer que le programme nucléaire iranien a seulement des objectifs civils. Les protestations de bonne foi de certains dirigeants iraniens suffisent d’autant moins que dans le même temps, les «durs» du régime, autour de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad, entretiennent le doute et lancent des diatribes menaçantes contre Israël.

L'Iran, maître dans l'art de gagner du temps​

En revanche, l’Etat hébreu a affirmé que la capacité de l’Iran de produire une arme nucléaire constituait une ligne rouge qui provoquerait une intervention armée.

Pendant dix ans, les Iraniens et les représentants des P5+1 ont joué une partie de poker menteur. Les sanctions économiques décidées par le Conseil de sécurité, complétées par des sanctions unilatérales des Etats-Unis et de certains Etats occidentaux, ont changé la donne politique en Iran.

L’élection du «modéré» Hassan Rohani, acceptée voire encouragée par le guide suprême Ali Khamenei, est l’expression d’une volonté de changement. L’Iran a besoin d’une levée, en tous cas d’un assouplissement, des sanctions pour relancer son économie. Pour y parvenir, il est prêt à prendre des engagements sur son programme nucléaire.

Prendre des engagements est une chose. Les respecter en est une autre. Les Iraniens sont devenus les maîtres dans l’art de gagner du temps. Ils ont profité de la dernière décennie pour développer leur programme nucléaire malgré les sanctions et la menace d’une intervention armée contre leurs installations. Ils ont joué au chat et à la souris avec les inspecteurs de l’AIEA.

De 3.000 centrifugeuses, ils sont passés à 18.000. Ils enrichissaient déjà l’uranium à 3,5%; ils en possèdent un stock de 8 tonnes faiblement enrichies, auxquelles s’ajoutent les 180 kg d’uranium enrichi à 20%, ce qui dépasse largement les besoins s’il s’agit uniquement d’alimenter des centrales électriques.

Une petite revanche après le coup syrien

Exiger des garanties sérieuses n’est donc pas une démarche superflue et vaut bien quelques jours de négociations supplémentaires. Le point de vue français est renforcé par la crainte que les Etats-Unis soient pressés de conclure pour obtenir un succès diplomatique qui redorerait le blason de Barack Obama.

Cette crainte n’est pas nouvelle. Quand, peu de temps après son élection, Barack Obama avait tendu la main aux Iraniens, par opposition au «poing fermé» de son prédécesseur, le ministre français des affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner, s’était précipité à Washington, pour rappeler les exigences décidées en commun.

François Hollande et Laurent Fabius adressent le même message à leurs partenaires: la France défend ses principes et n’entend se laisser dicter sa conduite. C’est une petite revanche alors que les Etats-Unis et la Russie se sont entendus sur l’arsenal chimique syrien, plaçant Paris devant le fait accompli.

Daniel Vernet

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