Avec le recul et à l’épreuve des faits, le bilan du Grenelle de l’environnement organisé il y a exactement six ans se révèle beaucoup moins éloquent que les responsables politiques ne l’avaient espéré en bouclant leurs travaux. L’élan national qu’ils avaient souligné en se décernant un satisfecit, s’est souvent dégonflé en se heurtant aux réalités du terrain. Comme si ces responsables avaient été déconnectés de ces réalités, ou comme s’ils n’étaient pas en mesure de concrétiser de bonnes idées.
La suspension de l’écotaxe, avant une probable suppression dans sa forme actuelle, constitue le dernier avatar d’un processus dont la gouvernance mériterait d’être révisée tant elle a connu de déconvenues en six années.
Rappelons que le Grenelle de l’environnement, auquel le mouvement associatif a participé, avait été mis en chantier en quelques semaines par Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Ecologie et de l’Energie et qui tenait, après son passage éclair au ministère de l’Economie, à mener une opération d’éclat pour s’imposer comme un poids lourd du gouvernement Fillon malgré cette éviction.
Ce Grenelle «ramasse tout» —qui avait toutefois exclu le nucléaire de son domaine d’investigation pour ne pas bloquer les travaux – avait ouvert des chantiers sur le bâtiment, les transports, l’énergie, la biodiversité, les déchets, la mer, la recherche et l’innovation, la santé et l’environnement…
Il en sortit pas moins de 268 engagements, deux lois (Grenelle 1 et Grenelle 2), 257 articles, un incroyable «machin» législatif et administratif qui, selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE) «n’a pas conduit à une meilleure lisibilité et accessibilité du droit à l’environnement». Sur 140 décrets d’application, 86% étaient publiés en février 2013, cinq ans et demi après le fameux Grenelle, indique le Commissariat général au développement durable.
Cette complexité a nui à la mise en œuvre des décisions sur le terrain: «La concertation n’a pas été conduite comme elle aurait dû l’être à l’échelon territorial, et les responsables à ce niveau n’ont pas bénéficié des marges de manœuvre qui auraient été nécessaire», commentait le CESE dans son rapport. Or, c’est justement les réactions à l’échelon territorial qui ont pris de court François Hollande sur l’écotaxe, alors que le principe de cette taxe avait été posé dès 2007.
Des reculs symboliques par manque de volonté politique
Il y eut d’autres critiques sur les suites du Grenelle. Des associations qui avaient été impliquées dans le processus du Grenelle de l’Environnement ont rué dans les brancards. A l’instar d’Agir pour l’environnement, elles ont dénoncé un rabotage des engagements initiaux dans les lois qui furent adoptées, ainsi que la complexité d’un processus qui ne peut qu’éloigner le législateur des objectifs de départ.
L’un des reculs les plus symboliques fut l’abandon de la taxe carbone censurée par le Conseil constitutionnel pour rupture de l’égalité suite aux multiples dérogations accordées à certaines installations industrielles et à des secteurs professionnels comme l’agriculture, la pêche, les transports… Après la défaite de la droite aux élections régionales de mars 2010, le gouvernement Fillon reculait sur le projet issu du Grenelle en renvoyant le principe d’une taxe carbone à l’échelon européen, façon de l’enterrer. Pour Nicolas Sarkozy, c’en était assez de l’environnement.
Au chapitre des «flops», la Cour des comptes relève que l’objectif de parvenir à 6% de la surface agricole utile exploitée en agriculture biologique en 2012 n’a pas été atteint: à la fin de l’an dernier, les 25.000 agriculteurs bio n’exploitaient que 3,7% du total, à cause notamment d’une division par deux en 2010 du crédit d’impôt accordé aux entreprises agricoles relevant du bio.
Les deux tiers du chemin n’avaient même pas été parcourus. Mais même si l’objectif n’a pas été atteint, le nombre des agriculteurs concernés a doublé depuis 2007 et la tendance se poursuit.
Un autre «flop» concerne la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), montrée du doigt par le Sénat en janvier 2013 dans la mesure où les dispositions prises ont été beaucoup moins ambitieuses que prévu. Toutefois, une plateforme a été mise en place en juin dernier par le Premier ministre pour remettre les enjeux sur la table en faisant participer les partenaires sociaux.
L'échec le plus lourd, dans les transports
Mais les échecs les plus lourds concernent le transport, essentiellement le transport de marchandises. La part du fret non routier devait progresser de 25% en 2012 par rapport à 2007, et atteindre 25% du total transporté en 2022. Or, l’évolution a été inverse. En cause: une politique des transports qui favorise la productivité des camions (baisse de la taxe à l’essieu en 2008, passage à 44 tonnes en 2011) et tarde à investir dans le fret ferroviaire, analyse la Cour des comptes.
La libéralisation du transport ferroviaire de marchandises n’a pas enrayé le mouvement constaté depuis plusieurs décennies, malgré une part de marché de 30% aujourd’hui des opérateurs ferroviaires privés. Et la SNCF continue de reculer dans le fret.
Justement, le Grenelle de l’environnement avait prévu de rétablir des équilibres économiques en instaurant une taxe sur le transport routier pour dégager les moyens d’investir dans le chemin de fer. L’écotaxe, précisément! Six ans plus tard, elle n’est toujours pas appliquée.
Une expérimentation en Alsace de cette taxe sur le kilométrage des camions avait bien été programmée pour 2010, mais elle n’a jamais été menée. On assista au contraire à une succession de reports – le dernier ayant été notifié en septembre 2013 pour une application nationale de l’écotaxe au 1er janvier 2014— avant la suspension pure et simple annoncée le 29 octobre par Jean-Marc Ayrault face à la pression des «bonnets rouges» breton.
Succès de dispositifs incitatifs, parfois revus en baisse
A l’inverse, dans certains domaines, le Grenelle de l’Environnement enregistre plutôt des succès, notamment dans le bâtiment et les énergies renouvelables. Dans le secteur résidentiel à l’origine de 40% des émissions de CO2, des avancées ont été constatées dans les bâtiments neufs, et les diverses mesures adoptées en matière de crédit d’impôt, de prêt à taux zéro et subventions diverses pour les économies d’énergie ont porté leurs fruits.
Malgré tout à cause de la crise, des avantages ont été réduits de sorte que l’objectif initial d’une réduction de 38% des consommations d’énergie du parc résidentiel entre 2007 et 2020 ne sera pas forcément atteint. C’est dans ce registre que s’inscrit l’utilisation des ampoules à basse consommation, obligatoires depuis 2012 (après une décision de l’Union européenne de 2008).
Le Grenelle a aussi focalisé l’attention sur les énergies renouvelables. Mais là également, les mesures d’incitation ont été revues à la baisse, notamment dans le photovoltaïque où les conditions de rachat de l’électricité fort attractives ont été revues à la baisse après un gel imposé par le Premier ministre François Fillon pour remettre le système à plat. Il est vrai que la formule avait fait naître des pratiques spéculatives qui détournaient l’objectif des aides.
Par ailleurs, dans l’éolien, la réglementation a durci les conditions pour l’implantation d’éoliennes terrestres, mais les programmes dans l’éolien maritime ont fini par voir le jour. L’effort a aussi porté sur la biomasse. Globalement, grâce toujours à l’hydroélectricité, la part des renouvelables de l’ordre de 10% avant le Grenelle est passé à 13,1% en 2011.
Mais l’objectif de 23% en 2020 sera difficile à atteindre, considère la Cour des comptes, à cause du coût à supporter par les consommateurs via la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui pourrait dépasser 40 milliards d’euros sur la période 2012-2020.
Enfin, le bonus-malus écologique concernant les automobiles a survécu. Il a permis de faire passer la proportion vente de véhicules neufs émettant peu de CO2, de 30% en 2007 à 56% en 2009. Mais ses résultats sont à nuancer. Car sur le court terme, selon l’Insee, le système mis place en 2008, aurait augmenté les émissions totales de CO2 de près de 170 kilotonnes par trimestre, soit une hausse de 1,2%. Ce résultat s'explique essentiellement par le surcroît de ventes de véhicules neufs, dont la production augmente les émissions.
Gilles Bridier