Culture

Mort aux comédies romantiques!

Temps de lecture : 7 min

Roi du genre, Richard Curtis, le réalisateur d'«Il était temps», nous explique pourquoi le terme est galvaudé et pourquoi il préfère parler de «films d’amour».

«Il était temps», avec Rachel McAdams et Domhnall Gleeson
«Il était temps», avec Rachel McAdams et Domhnall Gleeson

Si l'idée d'un moment «surréaliste mais sympathique» vous est familière, ou que les abricots au miel font partie de votre panthéon culinaire imaginaire, vous êtes fan de Richard Curtis. Vous savez alors qu'il règne en maître sur la comédie romantique, les rencontres improbables, les obstacles surmontés et les happy ends - même pluvieux. Et pourtant, c’est en discutant avec lui que l’on comprend à quel point le concept même de comédie romantique est problématique.

Son nouveau film, Il était temps, avec Rachel McAdams et Domhnall Gleeson, sorti mercredi 6 novembre, raconte l’histoire d’un jeune homme qui apprend à sa majorité qu’il dispose du pouvoir de voyager dans le temps. Il peut ainsi revivre des moments chers et évidemment, c’est le propre du genre, essayer de changer le cours des choses pour parvenir à la perfection.

Sorte de croisement entre Un jour sans fin qui serait une vie sans fin et Peggy Sue s’est mariée, Il était temps est une charmante comédie romantique aux dialogues enlevés, qui suit les schémas du genre: rencontre amoureuse, obstacle au bonheur (on ne spoile pas), résolution de l’obstacle. Bonheur.

Si le film ne restera pas aussi culte que Quatre mariages et un enterrement (1994), dont Curtis avait écrit le scénario, c’est néanmoins une des meilleures comédies romantiques depuis bien longtemps. Mais faut-il vraiment le qualifier comme tel?

«En Angleterre, sur les affiches d’Il était temps, on n’annonçait pas une nouvelle comédie romantique, on parlait d’un "film drôle sur l’amour"», explique à Slate Richard Curtis. «Et quand j’ai écrit Quatre mariages, je ne savais pas non plus que c’était une comédie romantique. Je ne l’ai jamais présenté comme ça. Je l’envisageais comme un film amusant, semi-autobiographique, qui parlait aussi d’amour.»


Richard Curtis, le 4 avril 2013. REUTERS/Luke MacGregor

Des codes stricts

La comédie romantique comme genre hollywoodien comprend «une structure narrative extrêmement codifiée», souligne Kristine Brunovska Karnick, professeure d’histoire du cinéma, dans Classical Hollywood Comedy, et «fournit au spectateur une palette d’attentes clairement établies quant aux événements et actions qui vont se produire». Il s’agit de respecter une ligne narrative selon laquelle deux personnes se rencontrent (meet cute), font face à un obstacle (ils se détestent, ils viennent de deux milieux différents, de deux pays différents, voire de deux époques différentes…) puis le résolvent.

Richard Curtis est le roi de cette arche narrative. C’est le cas, dans Quatre mariages, de Charles (Hugh Grant) et Carrie (Andie MacDowell) qui se rencontrent à un mariage, ont des caractères très différents, viennent de deux pays différents, de milieux différents, ne sont pas disponibles aux mêmes moments, mais surmontent ces obstacles pour finir ensemble (plusieurs personnages secondaires suivent des schémas semblables).

C’est aussi le cas dans Coup de foudre à Notting Hill, dont il est également le scénariste (une grande actrice américaine et un libraire anglais au bord de la faillite: deux pays différents, deux milieux, deux tempéraments, etc). Ou du Journal de Bridget Jones qu’il a co-scénarisé à partir du roman d’Helen Fielding (une jeune femme gaffeuse face à un avocat un peu austère). Et de plusieurs histoires comprises dans Love Actually (le Premier ministre et sa secrétaire; l’écrivain et son employée de maison; le petit garçon timide et la star de la classe…)



Andie MacDowell et Hugh Grant (Quatre mariages et un enterrement), Julia Roberts et Hugh Grant (Coup de foudre à Notting Hill), Renée Zellweger et Colin Firth (Le Journal de Bridget Jones), Hugh Grant et Martine McCutcheon (Love Actually)

Le réalisateur soutient pourtant qu’il ne s’efforce jamais de suivre un schéma préétabli:

«L’idée de s’enfermer dans un genre où deux personnes sont en désaccord au début et finissent ensemble ne m’intéresse pas. Je n’ai jamais envisagé mes films de cette manière, sous la bannière "comédie romantique". Sauf pour Love Actually, ou l’idée était véritablement de tisser plusieurs mini-comédies romantiques. Mais j’y ai ajouté des histoires d’amitié, des histoires de famille. Ca ne se résume pas aux histoires d’amour, même si elles sont au cœur du film.»

Curtis suggère que «les meilleurs films sur l’amour sont écrits par des gens vraiment intéressés par le sujet de l’amour, qui se posent des questions, qui sont troublés», non par ceux qui entendent respecter le genre pour s'en servir comme d'une recette toute faite:

«Par exemple, en écrivant Il était temps, j’ai mis le mariage entre les deux personnages au milieu du film, parce que ce qui m’intéressait, c’était de réfléchir au fait que quand on tombe amoureux, on quitte une famille pour en fonder une nouvelle. Souvent, les comédies romantiques finissent par un mariage, comme si c’était un aboutissement. Mais ensuite, il y a une séparation avec la famille antérieure, qui peut être douloureuse.»

Le réalisateur ne nie pas avoir en tête «plus ou moins consciemment, un modèle. Mais je ne m’efforce pas de respecter des règles strictes». A la mention du terme meet cute, il rit.

«Je n’avais jamais entendu le terme meet cute jusqu’à ce que j’écrive un épisode de la série de science fiction Dr. Who. Le personnage devait rencontrer Van Gogh et j’ai reçu un e-mail du producteur qui me disait: "Chaque fois que je demande à un scénariste d’écrire une rencontre intéressante entre deux personnages, je dis: 'Il faut un meet cute à la Richard Curtis'. Et aujourd’hui, je me retrouve à te demander à toi un meet-cute à la Richard Curtis".

Il existe énormément de manuels de scénarios, de construction de films, et notamment de comédies romantiques. Mais je n’en ai jamais lu. Vouloir coller au genre pour réaliser à tous prix une comédie romantique est une erreur. Moi, je préfère parler de films d’amour, c’est moins restrictif.»

Renommer les comédies romantiques

Pêle-mêle, Curtis cite ainsi les films récents sur l’amour qu’il préfère: Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Lost in Translation, 500 jours ensemble. Et là intervient le hiatus entre le terme de comédie romantique et de film d’amour.

Dans The Atlantic, en février dernier, on pouvait lire que «la comédie romantique vit une période difficile. Après une décennie à s’en servir comme vaches à lait, elles ont tout bonnement déserté le box-office en 2012». Quelques mois avant cela, Lynda Obst, productrice des célèbres Nuits blanches à Seattle (avec Meg Ryan et Tom Hanks) ou Un beau jour (Michelle Pfeiffer et George Clooney) constatait dans le New York Magazine: «Depuis trente ans que je suis dans ce métier, les temps n’ont jamais été aussi durs.»

Seulement, ce constat sur la mort des comédies romantiques, son état désastreux, ses terribles résultats au box-office, est un marronnier qui revient depuis des décennies. La question réside bien dans l’appellation, comme le remarque Richard Curtis.

Beaucoup de films de Judd Apatow sont des comédies romantiques. Happiness Therapy de David O. Russell en est une. Les films de Woody Allen aussi (la plupart, du moins). Même Moonrise Kingdom de Wes Anderson, qui a fait l’ouverture du Festival de Cannes en 2012, en est une. Ainsi que Warm Bodies, histoire de zombies amoureux de Jonathan Levine.

Seulement, ce dernier est présenté comme un film de zombies, les films de Judd Apatow comme des comédies, des films générationnels; ceux d’Allen et de Wes Anderson comme des films indépendants: ils ne sont pas vendus sur le concept de la comédie romantique. Les films présentés comme tels sont le plus souvent ceux qui s’y résument.

Billy Mernit, auteur de Writing the Romantic Comedy, expliquait ainsi en mars dernier que «lorsque la plupart des gens pensent aux comédies romantiques, ils pensent aux classiques les plus connus»: ceux qui suivent un modèle qu’il nomme CGGAG (Career Girl Gets Alpha Guy: une fille faisant carrière rencontre le mâle dominant). «C’est ce genre de films qui ont fini par saturer le marché», c’est donc une sous-catégorie très particulière de la comédie romantique que l’on peut déclarer sur le déclin. «Ce que l’on continue d’ignorer en revanche, c’est que les comédies romantiques au sens plus large» (de Happiness Therapy à Moonrise Kingdom) «se portent plutôt bien».

Le talent va au talent

Un autre enjeu des comédies romantiques labellisées comme telles est d’attirer de bons acteurs. En 2008, un journaliste du New York Times se lamentait dans un article fort pessimiste (qui reléguait Matthew McConaughey au rang d’acteur de seconde zone…):

«Les quelques stars restantes qui possèdent l’audace et le charisme nécessaire à de grandes comédies romantiques ont tendance à être occupés à autre chose.»

Evoquant 500 jours ensemble, qui commence par la fin pour déconstruire une histoire d’amour, l’actrice principale, Zooey Deschanel, avait d’ailleurs expliqué:

«J’aime les comédies romantiques, mais elles sont parfois bloquées dans leur carcan. Donc j’étais ravie de lire un scénario de comédie romantique qui soit frais et différent et qui raconte une histoire radicalement nouvelle.»

Mais ce n’est justement qu’une question d’appellation marketing, selon Richard Curtis:

«S’ils se disent qu’ils vont être catégorisés, voire enfermés dans un genre, les acteurs qui ont le choix ne feront peut-être pas celui d’une comédie romantique. Certains genres portent certains stigmas à certaines périodes. Ca a été le cas des westerns. Aujourd’hui vous retrouvez des stars, Brad Pitt, Casey Affleck, Rooney Mara qui ont envie d’en tourner.»

Et Curtis (qui n’écrit pas de tendres histoires d’amour pour rien) reprend:

«Je crois qu’il faut simplement écrire des films sincères. Je serais curieux de savoir, parmi les très mauvaises comédies romantiques qu’il y a, et labellisées comme telles, combien ont été réalisées pour l’argent et combien parce qu’il y avait un véritable intérêt des scénaristes ou du réalisateur derrière. Je me souviens que, quand nous avons fait Quatre mariages un enterrement, j’avais une feuille de papier sur lequel nous avions noté, avec les producteurs, les recettes attendues par pays. En face des Etats-Unis, il y avait 0 $.»

Le film engrangea finalement plus de 53 millions de dollars de recettes en Amérique du Nord. «Hollywood a tellement voulu fabriquer des recettes idéales qu’ont émergé des genres artificiels. La catégorie des comédies romantiques en est peut-être une. Il faut simplement continuer à raconter des histoires d’amour», conclut Curtis.

Renommer les films, et en quelque sorte échapper ainsi au marketing. Une perspective aussi réaliste que l’histoire d’amour d’une actrice de Los Angeles et d’un libraire de Notting Hill?

Charlotte Pudlowski

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