Vendredi 25 octobre, Wall Street a encore connu une séance de hausse, la onzième sur treize séances, avec un Dow Jones en hausse de 0,4%. Déjà, en septembre, la Bourse américaine avait enregistré une série de onze hausses en douze séances.
Non seulement les investisseurs saluent les bonnes nouvelles, mais ils réservent aussi un bon accueil aux mauvaises. Cela a été le cas le 22 octobre, quand ils ont pris connaissance des statistiques de l’emploi aux Etats-Unis, qui auraient dû être publiées le vendredi 4, mais n’avaient pu l’être en raison de la fermeture des administrations fédérales.
Les chiffres sont médiocres: 148.000 emplois seulement ont été créés au cours du mois de septembre, contre 193.000 en août. Le taux de chômage a reculé d’un dixième de point, à 7,2 % de la population active, mais cela s’explique principalement par le fait que des gens sans emploi, découragés, ont cessé d’en chercher un.
Bref, ce n’est pas brillant. Mais les boursiers en tirent tout de suite une conclusion agréable: la Réserve fédérale va continuer sa politique d’injections massives de liquidités en rachetant chaque mois pour 85 milliards de dollars de titres sur le marché obligataire.
Ce n’est pas à proprement parler une découverte: déjà, le caractère provisoire de l’accord conclu au Congrès entre Républicains et Démocrates sur le budget et la dette publique laissait penser que la banque centrale ne renoncerait pas à sa politique monétaire «non conventionnelle», pour employer l’expression consacrée, avant le mois d’avril. Les statistiques de l’emploi ne font que conforter ce scénario.
On peut au passage admirer la subtilité de l’analyse. Dans ce cas précis, les financiers ne peuvent être accusés de jouer la politique du pire, de se réjouir des mauvaises nouvelles.
De grosses déceptions économiques seraient sans doute fatales à la Bourse. En revanche, celle-ci apprécie beaucoup les nouvelles en demi-teinte, qui montrent que la situation américaine s’améliore, mais d’une façon tellement lente et modeste qu’il ne semble pas possible de se passer du soutien des injections de liquidités.
Toujours plus haut, sans vraie justification
Si l’indice Dow Jones, le plus étroit, avec seulement 30 stars de la Bourse américaine, n’a pas battu de nouveaux records depuis le 18 septembre (il était alors monté à plus de 15.700 points en séance, contre plus de 15.550 vendredi) et si le Nasdaq composite reste loin de son sommet de mars 2000, il n’en est pas de même du S&P 500 et du Russell 2000, qui ont eux établi des records historiques.
Le Russell 2000, qui agrège les performances boursières de 2.000 petites et moyennes sociétés américaines, atteint ainsi un niveau de valorisation extrêmement élevé: 21 fois les bénéfices (à titre de comparaison, les cours des sociétés du CAC 40 et du Dow Jones représentent un peu plus de 14 fois leurs bénéfices 2013, ce qui est déjà une valorisation relativement élevée).
Plus étonnant encore, l’indice Dow Jones Transports a progressé de 45% en un an, alors que la croissance américaine, après avoir atteint 2,5 % en rythme annuel au deuxième trimestre, est plutôt en train de ralentir. Selon Jason Furman, président du cercle des conseillers économiques du président Obama, la fermeture des administrations fédérales devrait avoir coûté au pays un quart de point de croissance au quatrième trimestre. Or, les valeurs de transports sont en principe très sensibles aux variations de la conjoncture.
Ainsi, tout ce passe comme si les marchés étaient en prise directe sur la banque centrale et déconnectés de la réalité économique. Il n’y a pas besoin de regarder très loin en arrière pour s’apercevoir que c’est que comme cela que se forment les bulles spéculatives.
Cette évolution a été au départ souhaitée par la banque centrale. La politique monétaire avait pour but de soutenir les prix dans l’immobilier et à la Bourse et de jouer ainsi sur l’effet richesse: se sentant plus riches, les ménages consommeraient plus, les entreprises recommenceraient à investir et un nouveau cycle de croissance s’enclencherait.
Mais, comme le constate l’économiste Patrick Artus, la reprise de la demande s’observe surtout de la part des Américains âgés; c’est donc essentiellement une reprise de la demande de services et des achats de maisons anciennes. Il en découle une faible qualification des emplois créés, une faible reprise de l’industrie et de l’investissement, une faible augmentation du salaire réel par tête. Avec le pétrole et le gaz de schiste, l’énergie est moins chère et le pays commence à se réindustrialiser, mais le mouvement est lent.
Retour au calme sur Apple, excitation ailleurs
On le sait, il est difficile de dire quel devrait être le bon niveau de la Bourse à un moment donné: les prix se formant par le croisement des achats et des ventes de milliers de personnes, il est difficile de dire qu’on en sait plus que ces milliers de personnes, que celles-ci se trompent et que le bon prix devrait être plus bas. Mais on a tout de même quelques indicateurs, comme le rapport cours-bénéfice déjà cité, qui montrent que le marché est cher.
Regardons Google, qui a le vent en poupe. Tout le monde s’est excité sur son cours à 1.000 dollars: le chiffre est symbolique, mais ce n’est pas le plus intéressant. Ce qui est à remarquer, c’est que le cours de Google était de 678,67 dollars le 22 octobre 2012 et qu’il a donc monté de 48% en un an en s’établissant à 1.007 dollars; on peut aussi remarquer qu’à ce niveau, l’entreprise est valorisée 28,4 fois ses bénéfices, ce qui est beaucoup par rapport à Apple (13 fois, là on est revenu à des niveaux raisonnables), mais très proche de Yahoo! (28,9 fois) et très loin de Facebook (229 fois!).
Finalement, quand on voit ces chiffres, on se demande si le plus sage n’est pas Bill Gates, qui vient d’acheter pour 113,5 millions d’euros une participation de 5,7% dans une société de Barcelone, Fomento de construcciones e contratas (FCC), société de construction ayant des filiales dans la gestion de l’eau et des déchets. Miser sur le redémarrage de l’économie espagnole est sans doute plus sage que de dépendre du fonctionnement débridé de la planche à billets américaine.
Gérard Horny