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Le hacking prend (lentement) des couleurs

Temps de lecture : 7 min

Né aux Etats-Unis à la fin des années 1950, le mouvement hacker reste pour le moment présent surtout en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. Les raisons de ce tropisme sont multiples.

Makers Faire Africa 2010 - Nairobi  via Flickr CC License By

Chercher non pas le garçon, ça il y en a même trop, mais le Camerounais, le Tunisien, le Chinois, le Brésilien...

Le milieu du hacking, ou du moins sa face visible, reste désespérément peuplé d’Occidentaux blancs originaires d’Amérique du Nord et Europe.

Ce constat était flagrant lors du dernier récent grand festival, Observe, Hack, Make, qui s’est tenu aux Pays-Bas début août. Comme les JO d’hiver et d’été, il a lieu tous les quatre ans en alternance avec le Chaos Communication Camp. Mais on peut reprocher beaucoup de choses aux JO, au moins chaque pays est représenté.

Balayons vite un soupçon de racisme: la communauté du hacking est ouverte (un peu moins aux femmes...). «Je n’ai jamais ressenti de rejet racial, même s’il y a essentiellement des gens blancs, ils sont très accueillants et compréhensifs», explique le Libanais Nadim Kobeissi, une figure de la cryptographie[1] qui vit au Canada. «Je ne pense pas que les gens soient focalisés sur les origines ici, ça n’a pas d’importance, ils ne font pas la différence, en général, c’est la dernière chose à laquelle nous faisons attention.»

Effectivement, la question raciale a été réglée par l’éthique hacker, un ensemble de règles tacites élaborées dans les années 1960-70, et synthétisées par le journaliste américain Steven Levy dans son ouvrage culte Hackers: Heroes of the Computer Revolution (enfin traduit en français):

«Les hackers devraient être jugés selon leurs œuvres, et non selon des critères qu'ils jugent factices comme la position, l’âge, la nationalité ou les diplômes.»

Résumé ainsi, cela parait évident, mais aux Etats-Unis voilà quarante ans, ça l’était moins (ou pas). Cette plongée dans l’histoire du hacking moderne est nécessaire pour comprendre ce tropisme occidental.

Le coût d’entrée

Le mouvement est né à la fin des années 1950, au fameux MIT de Boston: des mordus de petits trains, rassemblés dans un club, vont s’emparer des machines et inventer l’informatique moderne, d’abord pour améliorer leurs circuits et très vite pour le seul plaisir du code. Rappel contextuel: à l’époque, un ordinateur est gros comme une armoire normande et coûte une blinde, leur accès est très restreint.

On en trouve dans les universités, les grosses entreprises, l’armée, pas le genre de lieux connus alors pour leur diversité ethnique. Dans les années 1970, ils deviennent plus petits et (un peu) moins coûteux, avec l’arrivée des mini-ordinateurs. Puis ce seront les PC dans les années 1980 qui marqueront la vraie démocratisation.

Mais quand on habite dans un pays où le salaire moyen est de quelques dizaines d’euros, un ordinateur reste un luxe. Quant à se payer un voyage pour participer à un rassemblement, n’en parlons pas, même si des collectes sont parfois mises en place.

L’émergence des cybercafés

Les cybercafés ont toutefois pu atténuer un peu la porte d’entrée, comme l’explique ici Moussa Bakayoko, ex pirate ivoirien qui est désormais consultant en sécurité des systèmes d'information:

«Je me rappelle qu’en classe de CM, je dessinais déjà des claviers sur des feuilles et je me fabriquais des ordinateurs en papier sur lesquels je tapais des textes imaginaires tout seul dans mon coin [...], je devais avoir moins de 11 ans.

Une fois au collège, je suivais les maintenanciers du quartier [...] afin d’avoir les composants d’ordinateurs comme trésors, je conservais tout ce que je trouvais. Etant donné que mes parents ne pouvaient pas m’offrir un ordinateur, il me restait les cybercafés, très rares à l’époque, et j’ai quand même créé pas mal d’histoires pour que ma mère me donne quelques sous pour acheter un temps de connexion, 5000 francs CFA de l’heure, c’était pas donné pour un enfant de famille modeste, donc je donnais des coups de main pour qu’on me laisse toucher à un ordinateur [...].

On a même vendu certains livres, mon pote Jean-Louis et moi, pour avoir de quoi se connecter dans un cybercafé où on pouvait être très heureux d’entendre le modem de l’époque faire tout le bruit pour avoir une connexion au réseau mondial.»

Des hackerspaces partout... en anglais

Le mouvement hacker connait un nouvel essor en 2007, après une conférence donnée au Chaos Communication Congress en Allemagne, un événement annuel qui rassemble la communauté autour de Noël. Intitulée «building a hackerspace», elle marque le début de l’essaimage des hackerspaces, ces espaces physiques où les hackers se réunissent.

On en compte aujourd’hui environ 1.000 selon le site hackerspaces.org, en majeure partie toujours en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest.

Un petit coup d’oeil sur hackerspaces.org donne un indice sur une des autres raisons du manque de diversité: tout est en anglais. Et tant pis pour une zone comme la Chine, où l’anglais est loin d’être une seconde langue naturelle. «Je pense que c'est vraiment plutôt une barrière de langue», estime Ricky Ng-Adam, qui a co-fondé le premier hackerspace chinois en 2010 à Shanghai, avec sa femme Min Lin Hsieh et David Li XinCheJian. Lui-même est parfaitement bilingue puisqu’il est né au Canada avant de revenir en Chine.

Il avance aussi la mentalité propre à son pays:

«Je pense que ce qui compte pour les Chinois c'est le succès financier. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de gros succès découlant du hackerspace tel qu'une entreprise démarrée et profitable par un membre du hackerspace, alors l'attrait est très mineur pour la communauté chinoise. Indirectement, il y a eu des opportunités de guanxi (relations interpersonnelles, NDLR), mais encore une fois pas suffisamment remarquables. La plupart des membres chinois sont des individus exceptionnels qui comprennent l'attrait de "jouer" avec la technologie. Ce genre de membre deviendra de plus en plus commun dans les prochaines génération au fur et à mesure que les Chinois s'enrichissent.»

Pas assez de partage

En effet, on l’oublie parfois mais l’industrie du PC est née dans des hackerspaces, qui ne portaient pas alors ce nom. Apple est ainsi né au fameux Homebrew Computer Club, dans un contexte d’ouverture et de partage des connaissances propre à ces lieux.

«Je suis beaucoup allé dans les pays africains, témoigne Franck Ebel, qui s’occupe de la licence de hacking éthique à l’IUT de Valenciennes, et a monté le CICERT[2] (où a été embauché Moussa Bakayoko, l’ex-pirate ivoirien) il y a des gens qui font du hacking mais il n’y a pas de rassemblement pour dire "je fais ça", on garde pour soi.»

Il déplore aussi leur complexe d’infériorité:

«Ils prennent les Blancs pour des dieux du hacking et n’osent pas poser de questions. Je leur explique que c’est juste une personne qui manipule et surtout qui a un groupe derrière elle.»

Franck Ebel s’active pour que la situation évolue: il a monté le Hacknowledge Contest, un concours de hacking éthique afro-européen. La dernière finale a eu lieu les 7 et 8 décembre à Valenciennes. L’issue de l’étape précédente était révélatrice: «Les gagnants ont hurlé de joie, les perdants ont pleuré, car ils perdaient aussi le voyage en France.» Le succès de la compétition, qui va s’élargir, témoigne du manque à combler: «L’Afrique est la plus demandeuse, ils ont vraiment envie d’apprendre, ils font de gros progrès et seront en avance dans peu de temps», se réjouit-il.

Répondre aux problématiques locales

L’explosion des hackerspaces a aussi marqué le développement du hacking des objets physiques, le hardware. Et le problème financier demeure: un kit Arduino, un micro-contrôleur open source très populaire, ne coûte «que» quelques dizaines d’euros, ce qui équivaut dans bien des pays à un mois de salaire. De plus, dans certains pays, comme en Algérie, le commerce électronique n’existe pas, ou alors il est interdit de payer avec la devise locale, ce qui rend impossible les commandes. Et il n’y a pas forcément de revendeur sur place.

Un milieu plus varié permettrait de mieux répondre à ces problématiques locales, comme l’explique Mitch Altman. Cette figure du milieu fait partie des gens motivés pour changer la donne, en particulier à travers des voyages.

Il s’apprête à partir une seconde fois en Chine pour le programme «Hackers In Residence» qu’il a organisé à l’université Tsinghua de Pékin. Lors de son premier séjour, Mitch Altman avait participé à Maker Faire Shenzen et Maker Carnival à Pékin, d’immenses foires originaires des Etats-Unis où les bidouilleurs en tous genres montrent leurs réalisations et échangent.

Et rebelote cette année. «J’ai été en Egypte, en Chine, dans des endroits avec très peu d’argent, y compris Detroit aux Etats-Unis, détaille-t-il, ils se concentrent sur différents problèmes qui résultent de leur économie.» Si certains pays ont moins d’argent, ils disposent de ressources qui ne sont pas disponibles ailleurs et recyclent davanatage de déchats électroniques.

Franck Ebel déplore aussi que les hackers occidentaux ne s’intéressent pas au failles de sécurité du WiMAX, une technique de téléphonie sans fil très utilisée en Afrique, mais peu dans nos contrées.

Maker Faire Africa compte parmi les autres initiatives témoignant de ponts entre les continents. Elle est organisée chaque année dans un pays différent, avec l’aide de l’Américain Emeka Okafor. En 2011, elle s’était tenue au Caire. Mitch Altman était présent et a même lancé un appel aux dons, en compagnie d’un autre compatriote, Bilal Ghalib. Cet Américain d’origine irakienne, au sens certain de la communication, a lancé l’association Gemsi, qui aide l’installation de hackerspaces/makerspaces dans les pays arabes.

Marc Farra, un des créateurs de Lamba Labs, le premier hackerspace libanais, commente avec enthousiasme le travail d’un Bilal Ghalib:

«A Lamba Labs, il a donné l’étincelle initiale, et il a souhaité que nous donnions notre propre vision du hacking car nous devons bosser dans le contexte libanais, ce qui signifie que nous devons connecter de nombreuses cultures, comprendre les problèmes que nous avons et que nous essayons de résoudre. Il n’a jamais dit "c’est comme ça que les hackerspaces sont", il a dit "définissez ce qu’est le hackerspace."»

Car si les choses bougent, tout l’enjeu reste de ne pas plaquer une conception occidentale du hacking, dans le respect de cultures locales.

Sabine Blanc

[1] Si vous pensez que le chiffrement, c’est compliqué, essayez son système de chat Cryptocat, joli comme tout et Mme Michu-friendly, même s’il y a des débats sur son degré de sécurité, ça reste mieux que Facebook. Retourner à l'article.

[2] Côte d’Ivoire Computer Emergency Team. Les CERT sont des organismes officiels qui gèrent les problème de sécurité informatique des entreprises et des administrations. Retourner à l'article.

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