Gravity, le film d’Alfonso Cuarón qui sort ce mercredi 23 octobre, situe l’homme dans l’environnement hostile de l’espace.
L’espace... Pour Michel Tognini, l’un des dix astronautes français qui y est déjà allé, l’homme est, sur Terre, déjà dans l’espace. Simplement, il y est protégé par cette fine couche gazeuse qu’est l’atmosphère, cocon et «liquide amniotique qui nous maintient en vie».
Hors de l’atmosphère, c’est là que se déroule l’action de Gravity. Michel Tognini n’a pas encore vu le film, mais ses collègues américains lui en ont beaucoup parlé. Il se prête au jeu de l'entretien tablette de Slate, où les questions sont remplacées par des vidéos —en l'occurrence, des extraits de films sur l'espace.
Gravity met en scène le commandant de la navette spatiale Explorer et une astronaute victimes d’une collision avec des débris spatiaux au cours d’une mission de réparation du télescope spatial Hubble. Livrés à eux-mêmes dans l’espace, ils tentent de rejoindre la Station spatiale internationale (ISS), distante d’une centaine de kilomètres.
«Les images sont très nettes. La vue de la Terre est vraiment celle que j’avais quand j’étais dans la station spatiale Mir. Les détails de la navette sont bien rendus.
Pour ce qui est des explosions, je n’en ai jamais vues moi-même. Je ne peux donc pas dire si elles sont vraiment réalistes. Mais la cinématique des mouvements me paraît un peu trop rapide par rapport à ce qui se passerait là-haut. Tout est lent dans l’espace...
Ce que l’on voit est un scénario de crise dans lequel les astronautes sont pris de panique. Il ne s’agit pas du sentiment que l’on a là-haut non plus. Bien sûr, on pense que l’on peut y rester. Moi, j’imaginais pouvoir avoir un problème au décollage ou à l’atterrissage, mais jamais me retrouver seul dans l’espace.
On savait que l’on avait un Soyouz et que l’on allait rentrer. Il était facile de le désolidariser de la station. Je connaissais la machine. Je pouvais donc rentrer sans problème.
En dehors de l’atmosphère, si l’on sort d’un vaisseau ou de la station spatiale, les conditions sont effectivement critiques pour l’être humain. Le sang entre en ébullition en 2 minutes. On est dans le vide. Il fait +150°C ou -150°C. On est donc vraiment dans de très mauvaises conditions.
Pour ce qui est des débris spatiaux, on n'a pas encore enregistré de collision importante. Les débris augmentent mais ils sont suivis par les radars au sol et on peut les éviter. Le nettoyage serait compliqué. Les débris descendent d’eux-mêmes dans l’atmosphère. Et les nouvelles normes de lancement permettent de réduire leur nombre.
Pour en revenir à Gravity, tous mes collègues américains ou allemands qui ont déjà vu le film considèrent qu’il est remarquable de réalisme. Il s’agit aussi d’une bonne pub pour la Nasa...»
Baikonur (2011) est le premier film tourné sur le cosmodrome de Baïkonour, la célèbre base de lancement des fusées spatiale russes. Réalisé par l’Allemand Veit Helmer, il sort en France en même temps que Gravity. Le film raconte l’histoire d’une astronaute jouée par Marie de Villepin (fille de), qui tombe en plein Kazakhstan et qui est recueillie par les habitants alors qu’elle a perdu la mémoire.
«J’ai assisté à une projection en avant-première de ce film, davantage une histoire romantique et drôle qu'un film à grand spectacle. Mais il m’a appris des choses sur, par exemple, la retombée des débris spatiaux sur le sol.
A partir du moment où l’on fait un film sur l’espace, qu’il soit bon ou mauvais —même si je préfère qu’il soit bon—, je trouve que c’est positif. Quand je suis allé à la Nasa en 1995 pour la formation d’astronautes, l’un des formateurs avait dit: “Il y a une grosse différence entre l’espace et l’informatique, c’est que n’importe qui peut acheter un ordinateur et commencer à pianoter, aller sur Internet, apprendre des jeux, faire du simulateur. Le péché de l’espace, c’est la non-accessibilité, à cause de sa complexité et de son coût.” Alors, l’avantage d’un film, c’est qu’il est démocratique.»
Ciel d’octobre (1999), réalisé par Joe Johnston, raconte l’histoire vraie de Homer Hickam, un fils de mineur bouleversé par le passage du Spoutnik dans le ciel en 1957 et qui décide de se lancer dans la fabrication d'une fusée malgré l’opposition de son père.
«En octobre 1957, un petit garçon voit le premier Spoutnik qui passe au dessus des Etats-Unis. Tous les Américains sont rivés à leur radio pour comprendre ce qu’est ce truc lancé par les Russes et qui fait bip-bip.
Ce gamin de dix ans, dont le père est mineur, décide alors "d’aller dans l’espace". Ce gars-là a tout fait pour entrer à la Nasa.
Il n’a pas réussi à être astronaute parce que, semble-t-il, il était trop grand ou avait des problèmes médicaux. Mais il est parvenu à être instructeur, ce qu’il est encore aujourd’hui, à une soixantaine d’années.
Je recommande ce film-là, qui n’est pas un film sur l’homme dans l’espace, mais sur le rêve d’y aller.»
L’étoffe des héros (1983) de Philip Kaufman raconte les débuts de l’aventure de l’homme dans l’espace, depuis le passage du mur du son par Chuck Yeager jusqu’aux premier vols spatiaux habités.
La fin de cet extrait concerne le décollage de l’astronaute Gordon Cooper lors de la dernière mission du programme Mercury, battant le record américain de la mission la plus longue avec plus de 35 heures dans l’espace au cours de 22 orbites autour de la Terre.
«Comme dans le film, quand on décolle dans une fusée, cela vibre au départ. Il y a beaucoup de bruit et une accélération qui est assez forte. Les hublots s’ouvrent au bout d’une minute et demi environ. On voit alors le sol, la mer, comme si on était en avion. Mais très très haut et très très vite. C’est assez bluffant... Cela dure 8 minutes 30.
On atteint alors 200 km d’altitude et 28.000 km/h. Sur le Soyouz, on se trouvait alors à 200 km de la station spatiale en orbite à 400 km d’altitude. On se retrouve donc en dessous et derrière. Comme on va plus vite qu’elle, on monte tout doucement par marches d’escalier. Et il faut ensuite deux jours pour se docker.»
En 2000, deux films sont sortis mettant en scène la conquête de Mars par les hommes. Par les Américains, plus précisément.
Dans Planète rouge, réalisé par Antony Hoffman, Mars est la dernière chance de salut pour l’humanité. Une éruption solaire contraint l’équipage à un atterrissage en catastrophe.
Dans Mission to Mars, réalisé par Brian de Palma, le scénario s’égare dans une recherche improbable d’une vie présente sur la planète rouge.
«La situation actuelle de l’homme dans l’espace peut être vue comme une régression par rapport à la limite déjà atteinte, la Lune, et aux projets non réalisés de mission habitée sur Mars. Il faut néanmoins rappeler que nous ne sommes pas allés sur la Lune pour des raisons scientifiques mais bien politiques, c’est-à-dire la course entre les Russes et les Américains. Ce qui nous a conduit à aller sur la Lune trop tôt, peut-être, sans renier l’exploit que cela représente.
Pour Mars, il s’agit d’un voyage qui coûte très cher. Et on n’est pas au point au niveau technologique. On ne sait pas, par exemple, se protéger des radiations.
Bien sûr, il serait possible de programmer un décollage entre deux des pics de radiations qui se produisent tous les deux ans. Mais cela ne résout pas le problème des éruptions solaires qui sont imprévisibles et qui nécessiteraient de trouver un refuge lorsqu’elles se produisent... C’est complexe et on ne sait pas faire.»
Armageddon (1998) met en scène une Terre frappée par une pluie de météorites qui détruit la navette Atlantis et s’abat sur New York. Ce n’est rien en comparaison avec l’astéroïde de la taille du Texas qui s’approche et doit entrer en collision avec la Terre dans 18 jours. La Nasa lance une mission de la dernière chance.
«L’un des objectifs auxquels je crois le plus, ce sont les astéroïdes. D’abord pour des raisons scientifiques, parce qu’il regorgent de minéraux et minerais très importants qui pourraient nous aider sur Terre. Mais la motivation la plus déterminante, de mon point de vue, est liée à un événement marquant de l’histoire de la Terre, la disparition des dinosaures.
De même, ce qui s’est produit en Sibérie cet hiver quand une grosse météorite s’est écrasée à Tcheliabinsk —avec ses 15 à 17 mètres de diamètre pour une masse de 7.000 à 10.000 tonnes, l'énergie qu'elle a libérée représentait 30 fois celle de la bombe atomique d’Hiroshima et provoqué un millier de blessés— démontre que l’on va, un jour, entrer en collision avec un gros astéroïde. Et cela peut être catastrophique.
Même en se réfugiant dans des grottes, on restera dans le noir complet pendant des années, des dizaines, des centaines ou des milliers d’années peut-être. La vie disparaîtrait alors. Et donc l’être humain.
Aujourd’hui, nous disposons des ressources financières nécessaires pour aller vers un astéroïde. On peut y envoyer des hommes. C’est plus facile. On ne se pose pas sur un astéroïde mais on peut s’y docker car sa gravité est très faible en raison de sa faible taille.
Le problème à résoudre serait de dévier, en le poussant, l’astéroïde d’une trajectoire d’impact avec la Terre. On y atterrirait un an avant le moment de la collision, ce qui représente un voyage deux fois plus long que celui vers Mars. D’ici quelques années, on disposera de moyens de détection plus puissants qui permettront une telle anticipation.
On pense qu’un tel astéroïde sera en rotation sur lui-même, d’où la nécessité d’un actionnement précis des moteurs chargé de le dévier de sa course. Si vous les pilotez en temps réel depuis la Terre, lorsque vous donnerez l’ordre au moteur droit, par exemple, de donner une impulsion, il y aura un délai de 40 minutes pour qu’il soit exécuté. Idem lorsque vous donnerez l’ordre d’arrêt de l’impulsion... Pour de telles missions, la présence de l’homme sur place sera nécessaire afin qu’ils commandent eux-mêmes les moteurs.
Il s’agit de projets grandioses, tels que le film Armageddon les aborde. On n’est pas nombreux à y croire. J’appartiens à l’association internationale Space Explorers (ASE), qui possède un petit groupe sur ce sujet dans lequel les Américains s’occupent de la déviation avec Ed Lu, un ancien collègue de la Nasa qui a été numéro 2 chez Google. Moi, j’y crois. C’est mon scénario, mais cela n’engage que moi... »
«Le projet américain de capture concerne un petit astéroïde, sans doute de la taille de celui qui s’est écrasé sur la Sibérie. Moi, je pense à un géocroiseur tel que celui qui devrait atteindre la Terre dans 60 ans.
Le premier homme est allé dans l’espace il y a 50 ans, cela nous laisse donc un délai conséquent. Cet astéroïde pourrait passer à 10.000 km ou bien entrer en collision.
En tout état de cause, la question finira par se poser. Il faudra alors choisir entre rester immobile en attendant la fin et agir. Sachant que l’on a les moyens financiers et intellectuels de le faire, sachant aussi que, dans une telle mission, le retour est gratuit puisque c’est l’astéroïde qui vous ramène vers la Terre.
Bien entendu, comme pour le voyage vers Mars, une mission habitée vers un astéroïde situé à un an de la Terre sera confrontée aux problèmes de radiations. On peut néanmoins compter sur des progrès dans ce domaine d’ici 60 ans, tout comme dans nos capacités de détection.
Toujours est-il qu’aujourd’hui, une telle mission me semble présentable. Le reste, le village international sur la Lune, les microbes sur Mars ou l’exploitation minière d’un astéroïde, me paraît moins défendable.
Une mission sécuritaire vers un astéroïde est une mission complexe, qui demande une dizaine d’astronautes sur place. C’est pour cette raison qu’il faut continuer à s’entraîner et que l’ISS reste le moyen le plus économique pour maintenir l’aptitude des astronautes à exécuter des opérations spatiales, à se déplacer en dehors des véhicules, à communiquer avec le sol. Il s’agit de conserver ce monde là sous pression avant de lancer la grande mission vers un astéroïde.
L’ISS se justifie ainsi. Elle nous permet de conserver l’entraînement de l’homme en dehors de l’atmosphère dans la perspective d’une interception astéroïdale.
Dans ce contexte, la notion de risque pour la santé n’est plus la même. Certes, les radiations peuvent engendrer des cancers. Mais même si l’on n’est pas parvenu, dans 60 ans, à résoudre ce problème, le sacrifice de dix personnes est à mettre en balance, dans ce cas, avec le sauvetage de la planète. Aujourd’hui, on parle de voyage sur Mars sans retour et des milliers de personnes sont candidates.
Face à un astéroïde menaçant la vie sur Terre, on se retrouve dans une situation de guerre. Le sacrifice prend un autre sens. La Sibérie a été une alerte. Cela va arriver. Il me paraît souhaitable de nous y préparer.»
Propos recueillis par Michel Alberganti